III. PERCEPTIONS ET STRATÉGIES D'ACTIONS
MERCANTILISTES DES ACTEURS À TRAVERS L'ARÈNE DU JEU
À l'entame de cette partie, il est judicieux de
présenter les différents acteurs sociaux du jeu avant de
définir par la suite, les logiques qu'ils attribuent à ces
pratiques. De ce fait, les protagonistes des jeux d'argent dans la ville de
Yaoundé, se déclinent sous trois registres parmi lesquels on
distingue : l'acteur institutionnel qu'est l'État, donc les pouvoirs
publics. Celui-ci, dans son principe, a la responsabilité de
définir la politique du jeu et les mesures d'encadrement de ces
activités. Il agit alors en infléchissant sur les
décisions prises en fonction de ses propres avantages, des
intérêts des promoteurs et ceux des bénéficiaires
(les joueurs). Le deuxième registre est celui des détenteurs de
structures. Pour ceux-ci, les jeux d'argent constituent une entreprise comme
toute autre, elle doit être rentable c'est la raison pour laquelle les
promoteurs de jeux mettent en oeuvre des stratégies managériales
pour attirer la clientèle et maximiser leur profit. Enfin, le
troisième registre implique les joueurs, pour qui le jeu d'argent est
d'abord une activité ludique qui passionne, mieux encore un loisir,
facteur d'enjeux économiques importants.
Quant au concept de logique, il renvoie aux formes de
rationalités, de représentations ou de perceptions que les
acteurs se font des pratiques ludiques qui sont légion dans notre
société. La logique du jeu s'apparente ici à une
réalité mouvante, effervescente et dynamique. Il s'agit
par-là, de comprendre une pensée sociale en mouvement, produisant
un contenu cognitif et menant à des comportements et à des
actions de la part des acteurs vis-à-vis de ces jeux. La logique entre
donc en droite ligne avec les manières d'interpréter et de penser
la réalité quotidienne à partir du jeu, dans un contexte
où prédominent certains aspects économiques sur les
aspects culturels.
1. L'acteur institutionnel : les pouvoirs publics et la
politique du jeu
Si les pouvoirs publics constituent l'outil de contrôle
et de promotion du jeu, c'est d'abord parce qu'ils sont l'un des garants de la
moralité publique et ils doivent parallèlement jouer un
rôle déterminant de par leurs qualités de
législateur et de percepteur dans l'épanouissement
économique des industriels du jeu. À ce titre, au Cameroun, les
jeux d'argent sont régulés au niveau central par le MINATD, le
MINFI et le MINTOUL. À
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l'échelle des collectivités, ce sont
respectivement les services du gouverneur, du préfet et des communes
d'arrondissements qui sont assujettis à ce rôle. Dans ce contexte,
de nombreux acteurs s'interrogent sur la responsabilité de l'État
dont l'implication dans ces jeux laisse entrevoir des zones d'ombres au regard
de l'ambigüité du rôle qu'il est tenu de jouer dans ce
système. En effet, d'après les informations collectées
auprès du chef de service de l'aménagement des parcs du MINTOUL
:
Le ministère est chargé d'organiser et de
coordonner les jeux de diversement à but non lucratifs (...) À
l'instar du championnat national de Damme et de scrabble organisé chaque
année, nous sommes disposés à soutenir toutes autres
initiatives allant dans le sens de la promotion des activités ludiques
culturelles et traditionnelles sur toute l'étendue du territoire
national. Car, ces jeux sont aussi destinés à promouvoir
l'activité touristique dans notre pays.
À en croire ces propos, un contraste émerge
quand on sait combien même ces jeux dit de divertissement ont depuis
longtemps transcendé leur dimension de gratuité pour
s'ériger en des jeux d'argent pour les citadins des quartiers
populaires. En réalité, nul ne peut douter du fait que le secteur
des jeux constitue aujourd'hui une industrie bien organisée. Elle est
tellement florissante qu'il serait maladroit de continuer à la classer
dans la catégorie des loisirs improductifs. Le rôle du loisir,
avec ce que certains nomment « les industries culturelles »
J.P WARNIER (1999 :88), est devenu déterminant dans la question
économique ; la preuve en est que nos trottoirs, nos rues et
marchés sont inondés de gadgets, d'effigies et d'autres appareils
électroniques de jeux d'argent. De même, les reformes en cours
dans la législation en matière de jeux et loteries viennent
confirmer s'il en était encore besoin, la dimension économique
considérable à ces jeux.
C'est dire qu'économiquement parlant, la politique du
jeu mis en place par les pouvoirs publics a toujours progressé au fur et
à mesure que les institutions ont voulu en tirer profit. T. JEFFERSON
disait des jeux d'argent qu'ils étaient « a wonderful thing »,
c'est-à-dire une chose merveilleuse ou « un impôt indolore
» qu'il comparait à une taxe payée
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selon l'envie de chacun et sans aucune obligation, parce
qu'ils rapportent de l'argent à l'État. Un argent que les
citoyens sont contents de dépenser, puis qu'ils le font en s'amusant T.
CLOTFELTER (1989). Ces formes de jeux seraient alors un moyen
déguisé pour le gouvernement de gagner de l'argent même
quand il serait impossible de créer un nouvel impôt. Cela
présage que ces jeux représentent une source potentielle de
revenus financiers importants pour les pouvoirs publics.
Dans cette veine, le code général des
impôts camerounais définit les modalités de contribution du
secteur des jeux d'argent et de divertissement à l'économie. Dans
son article 207, cette loi assujettie à la taxe toute personne physique
ou morale qui exploite sur le territoire national à titre principal ou
accessoire les jeux qui, sous quelque dénomination que ce soit, sont
fondés sur l'espérance d'un gain en nature ou en argent,
susceptibles d'être acquis par la voie du sort ou d'une autre
façon. Il en est de même pour ceux qui sont destinés
à procurer un simple divertissement. Ceci étant, chaque
opérateur devra verser au compte du trésor public le montant
inscrit dans son cahier de charge. Quant aux dispositions spécifiques
relatives aux jeux de divertissement et aux machines à sous
placés sous le contrôle des communes d'arrondissement, l'article
217 de la même loi fixe la liquidation de la taxe, quel que soit le
régime d'imposition de la manière suivante :
a) Première catégorie : baby-foot, vingt mille
francs par appareil et par an.
b) Deuxième catégorie : flipper et jeux
vidéo, quarante mille francs par appareil et par an.
c) Troisième catégorie : machines à sous,
cent mille francs par machine et par an.
Tous ces montants sont majorés de 10 % au titre des
centimes perçus au profit de la commune du lieu d'exploitation. De toute
évidence, il est établi que le secteur des jeux d'argent est
« porteur » et que les revenus générés, au lieu
d'être laissés à la portée de n'importe quel
individu ou groupe dans une économie, sont captés par les
pouvoirs publics pour servir à certains droits de la population à
travers la politique de l'action sociale inscrite dans le cahier de charge des
détenteurs de structures de jeux.
Outre les bénéfices économiques
prélevés sous forme de taxe, la stratégie de l'État
vise aussi à appréhender les retombées sociales du jeu
sous forme de sponsoring saupoudré dans des opérations
très diverses : manifestations culturelles, sportives et humanitaires
ainsi que le soutien économique de certains secteurs d'activités
comme l'imprimerie, la presse, l'audiovisuel etc. Aussi, les nombreuses
personnes employées dans ce secteur représentent
déjà un groupe d'intérêt pour le gouvernement dans
sa politique de lutte contre le chômage en
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milieu urbain. C'est du moins ce que nous enseignent les
propos de monsieur A. MBA MBA, chef de service des jeux au MINATD, lors de
l'entretien réalisé en novembre 2016 qui affirme que :
La politique d'emploi est inscrite dans le cahier de
charge des opérateurs de jeux à travers ce qu'on appelle l'action
sociale. À cet effet, le gouvernement s'attèle à ce que
ces emplois ne soient pas que de simples tremplins. Les inspecteurs du travail
sont là pour s'assurer que tous les employés dans ce secteur
bénéficient de garanties sociales en les affiliant à la
CNPS.
Des éclaircis qui semblent aller en harmonie avec ceux
de madame S. NOUADE, agent commerciale au PMUC qui en toute
sérénité déclare :
Je travaille dans cette société (PMUC)
depuis bientôt 9 ans ! Voyez-vous, je sors chaque matin et j'ai un
salaire chaque fin de mois hormis mes petits avantages de service (...) Je ne
me plains pas en tout cas, d'autant plus que mon activité me permet
d'épauler financièrement mon mari dans certaines charges
ménagères.
Eu égard à cette affirmation, on peut dire que
le secteur des jeux d'argent à travers certaines entreprises est
pourvoyeur d'emplois au Cameroun.
Sur le plan politique, depuis la défunte LONACAM, une
société de jeux d'argent prônée par l'État
camerounais dans les années 1970, l'État a cédé son
monopole d'organisateur du jeu aux sociétés privées en vue
de tenir son rôle de régulateur dans ce secteur. Les
sociétés privées ont eu dès lors la latitude
d'organiser ou d'exploiter les activités relatives aux jeux d'argent.
Ces entreprises ne sont autres que des partenaires de l'État et souvent
autonomes dans leur fonctionnement, bien qu'étant toujours au service
des citoyens. Comme conditions essentielles pour le fonctionnement harmonieux
de cette activité sur le
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territoire national, le MINATD, autorité de tutelle,
est alors chargé sur le plan politique de traiter chaque année le
nombre de demandes d'agrément d'établissements de jeux, le nombre
d'établissements de jeux agréés et le nombre
d'établissements de jeux contrôlés. Ces mesures impliquent
les normes pour la transparence dans le traitement des jeux, le paiement rapide
des gains, la recherche permanente et le maintien de la confiance entre les
joueurs7.
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