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Jeux d'argent et changement social a Yaounde

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par Badel ESSALA
Université de Yaoundé I - Master en sociologie 2018
  

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III. PERCEPTIONS ET STRATÉGIES D'ACTIONS MERCANTILISTES DES ACTEURS À TRAVERS L'ARÈNE DU JEU

À l'entame de cette partie, il est judicieux de présenter les différents acteurs sociaux du jeu avant de définir par la suite, les logiques qu'ils attribuent à ces pratiques. De ce fait, les protagonistes des jeux d'argent dans la ville de Yaoundé, se déclinent sous trois registres parmi lesquels on distingue : l'acteur institutionnel qu'est l'État, donc les pouvoirs publics. Celui-ci, dans son principe, a la responsabilité de définir la politique du jeu et les mesures d'encadrement de ces activités. Il agit alors en infléchissant sur les décisions prises en fonction de ses propres avantages, des intérêts des promoteurs et ceux des bénéficiaires (les joueurs). Le deuxième registre est celui des détenteurs de structures. Pour ceux-ci, les jeux d'argent constituent une entreprise comme toute autre, elle doit être rentable c'est la raison pour laquelle les promoteurs de jeux mettent en oeuvre des stratégies managériales pour attirer la clientèle et maximiser leur profit. Enfin, le troisième registre implique les joueurs, pour qui le jeu d'argent est d'abord une activité ludique qui passionne, mieux encore un loisir, facteur d'enjeux économiques importants.

Quant au concept de logique, il renvoie aux formes de rationalités, de représentations ou de perceptions que les acteurs se font des pratiques ludiques qui sont légion dans notre société. La logique du jeu s'apparente ici à une réalité mouvante, effervescente et dynamique. Il s'agit par-là, de comprendre une pensée sociale en mouvement, produisant un contenu cognitif et menant à des comportements et à des actions de la part des acteurs vis-à-vis de ces jeux. La logique entre donc en droite ligne avec les manières d'interpréter et de penser la réalité quotidienne à partir du jeu, dans un contexte où prédominent certains aspects économiques sur les aspects culturels.

1. L'acteur institutionnel : les pouvoirs publics et la politique du jeu

Si les pouvoirs publics constituent l'outil de contrôle et de promotion du jeu, c'est d'abord parce qu'ils sont l'un des garants de la moralité publique et ils doivent parallèlement jouer un rôle déterminant de par leurs qualités de législateur et de percepteur dans l'épanouissement économique des industriels du jeu. À ce titre, au Cameroun, les jeux d'argent sont régulés au niveau central par le MINATD, le MINFI et le MINTOUL. À

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l'échelle des collectivités, ce sont respectivement les services du gouverneur, du préfet et des communes d'arrondissements qui sont assujettis à ce rôle. Dans ce contexte, de nombreux acteurs s'interrogent sur la responsabilité de l'État dont l'implication dans ces jeux laisse entrevoir des zones d'ombres au regard de l'ambigüité du rôle qu'il est tenu de jouer dans ce système. En effet, d'après les informations collectées auprès du chef de service de l'aménagement des parcs du MINTOUL :

Le ministère est chargé d'organiser et de coordonner les jeux de diversement à but non lucratifs (...) À l'instar du championnat national de Damme et de scrabble organisé chaque année, nous sommes disposés à soutenir toutes autres initiatives allant dans le sens de la promotion des activités ludiques culturelles et traditionnelles sur toute l'étendue du territoire national. Car, ces jeux sont aussi destinés à promouvoir l'activité touristique dans notre pays.

À en croire ces propos, un contraste émerge quand on sait combien même ces jeux dit de divertissement ont depuis longtemps transcendé leur dimension de gratuité pour s'ériger en des jeux d'argent pour les citadins des quartiers populaires. En réalité, nul ne peut douter du fait que le secteur des jeux constitue aujourd'hui une industrie bien organisée. Elle est tellement florissante qu'il serait maladroit de continuer à la classer dans la catégorie des loisirs improductifs. Le rôle du loisir, avec ce que certains nomment « les industries culturelles » J.P WARNIER (1999 :88), est devenu déterminant dans la question économique ; la preuve en est que nos trottoirs, nos rues et marchés sont inondés de gadgets, d'effigies et d'autres appareils électroniques de jeux d'argent. De même, les reformes en cours dans la législation en matière de jeux et loteries viennent confirmer s'il en était encore besoin, la dimension économique considérable à ces jeux.

C'est dire qu'économiquement parlant, la politique du jeu mis en place par les pouvoirs publics a toujours progressé au fur et à mesure que les institutions ont voulu en tirer profit. T. JEFFERSON disait des jeux d'argent qu'ils étaient « a wonderful thing », c'est-à-dire une chose merveilleuse ou « un impôt indolore » qu'il comparait à une taxe payée

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selon l'envie de chacun et sans aucune obligation, parce qu'ils rapportent de l'argent à l'État. Un argent que les citoyens sont contents de dépenser, puis qu'ils le font en s'amusant T. CLOTFELTER (1989). Ces formes de jeux seraient alors un moyen déguisé pour le gouvernement de gagner de l'argent même quand il serait impossible de créer un nouvel impôt. Cela présage que ces jeux représentent une source potentielle de revenus financiers importants pour les pouvoirs publics.

Dans cette veine, le code général des impôts camerounais définit les modalités de contribution du secteur des jeux d'argent et de divertissement à l'économie. Dans son article 207, cette loi assujettie à la taxe toute personne physique ou morale qui exploite sur le territoire national à titre principal ou accessoire les jeux qui, sous quelque dénomination que ce soit, sont fondés sur l'espérance d'un gain en nature ou en argent, susceptibles d'être acquis par la voie du sort ou d'une autre façon. Il en est de même pour ceux qui sont destinés à procurer un simple divertissement. Ceci étant, chaque opérateur devra verser au compte du trésor public le montant inscrit dans son cahier de charge. Quant aux dispositions spécifiques relatives aux jeux de divertissement et aux machines à sous placés sous le contrôle des communes d'arrondissement, l'article 217 de la même loi fixe la liquidation de la taxe, quel que soit le régime d'imposition de la manière suivante :

a) Première catégorie : baby-foot, vingt mille francs par appareil et par an.

b) Deuxième catégorie : flipper et jeux vidéo, quarante mille francs par appareil et par an.

c) Troisième catégorie : machines à sous, cent mille francs par machine et par an.

Tous ces montants sont majorés de 10 % au titre des centimes perçus au profit de la commune du lieu d'exploitation. De toute évidence, il est établi que le secteur des jeux d'argent est « porteur » et que les revenus générés, au lieu d'être laissés à la portée de n'importe quel individu ou groupe dans une économie, sont captés par les pouvoirs publics pour servir à certains droits de la population à travers la politique de l'action sociale inscrite dans le cahier de charge des détenteurs de structures de jeux.

Outre les bénéfices économiques prélevés sous forme de taxe, la stratégie de l'État vise aussi à appréhender les retombées sociales du jeu sous forme de sponsoring saupoudré dans des opérations très diverses : manifestations culturelles, sportives et humanitaires ainsi que le soutien économique de certains secteurs d'activités comme l'imprimerie, la presse, l'audiovisuel etc. Aussi, les nombreuses personnes employées dans ce secteur représentent déjà un groupe d'intérêt pour le gouvernement dans sa politique de lutte contre le chômage en

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milieu urbain. C'est du moins ce que nous enseignent les propos de monsieur A. MBA MBA, chef de service des jeux au MINATD, lors de l'entretien réalisé en novembre 2016 qui affirme que :

La politique d'emploi est inscrite dans le cahier de charge des opérateurs de jeux à travers ce qu'on appelle l'action sociale. À cet effet, le gouvernement s'attèle à ce que ces emplois ne soient pas que de simples tremplins. Les inspecteurs du travail sont là pour s'assurer que tous les employés dans ce secteur bénéficient de garanties sociales en les affiliant à la CNPS.

Des éclaircis qui semblent aller en harmonie avec ceux de madame S. NOUADE, agent commerciale au PMUC qui en toute sérénité déclare :

Je travaille dans cette société (PMUC) depuis bientôt 9 ans ! Voyez-vous, je sors chaque matin et j'ai un salaire chaque fin de mois hormis mes petits avantages de service (...) Je ne me plains pas en tout cas, d'autant plus que mon activité me permet d'épauler financièrement mon mari dans certaines charges ménagères.

Eu égard à cette affirmation, on peut dire que le secteur des jeux d'argent à travers certaines entreprises est pourvoyeur d'emplois au Cameroun.

Sur le plan politique, depuis la défunte LONACAM, une société de jeux d'argent prônée par l'État camerounais dans les années 1970, l'État a cédé son monopole d'organisateur du jeu aux sociétés privées en vue de tenir son rôle de régulateur dans ce secteur. Les sociétés privées ont eu dès lors la latitude d'organiser ou d'exploiter les activités relatives aux jeux d'argent. Ces entreprises ne sont autres que des partenaires de l'État et souvent autonomes dans leur fonctionnement, bien qu'étant toujours au service des citoyens. Comme conditions essentielles pour le fonctionnement harmonieux de cette activité sur le

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territoire national, le MINATD, autorité de tutelle, est alors chargé sur le plan politique de traiter chaque année le nombre de demandes d'agrément d'établissements de jeux, le nombre d'établissements de jeux agréés et le nombre d'établissements de jeux contrôlés. Ces mesures impliquent les normes pour la transparence dans le traitement des jeux, le paiement rapide des gains, la recherche permanente et le maintien de la confiance entre les joueurs7.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon