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Jeux d'argent et changement social a Yaounde

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par Badel ESSALA
Université de Yaoundé I - Master en sociologie 2018
  

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2. Présentation du phénomène des jeux d'argent sur l'espace public

La dimension urbaine et sociale d'une ville prend lieu dans les espaces publics qui, dans leur diversité s'expriment au nom de l'urbanité. Du fait de sa proximité avec les acteurs sociaux, la rue à travers les kiosques à jeux qui longent les artères, les carrefours et les marchés, à travers les regroupements populaires de joueurs dans les cases abandonnées, les salons de coiffures et autres lieux publics se déclinent dans une certaine mesure, comme le cadre par excellence d'expression et de production de la vie quotidienne. Elle peut être un objet essentiel et digne d'intérêt à l'étude des pratiques du quotidien dans le sens où elle favorise une lecture de la société ; notamment de l'univers des jeux d'argent qui la compose dans sa sphère urbaine. Selon H. BLOCH et ALT (2002 :62), la rue est un « large espace de vie et d'activités caractérisée par la débrouille, la misère, la violence, le danger et l'anonymat ».

Mettre en évidence cet univers singulier de l'existence sociale, c'est donc explorer avec P. MBOUOMBOUO (2005), ce « trottoir social » qui tient lieu de cadre par excellence de la manifestation des pratiques ludiques, à partir d'une observation qui vise à « faire venir au grand jour ce qui existe déjà, ce que nos habitudes de penser nous empêchent de voir, et qui pourtant est largement vécu dans la vie courante » M. MAFFESOLT (1998 :16). Dans ce sens, les kiosques à PMU, les pleins airs, les cases abandonnées où se retrouvent souvent les adeptes du « ndjambo » représentent un support de recherche pertinent à la conquête des faits sociaux tels que les pratiques ludiques étudiées dans ce travail.

2.1. Les jeux d'argent dans les tripots de rues.

À Yaoundé, les secteurs urbains où se retrouvent les joueurs d'argent sont à priori des lieux de convivialité et de socialité où s'expriment et s'expérimentent des liens de solidarité interpersonnelles et collectives partagées entre acteurs sociaux autour d'un idéal commun : « tenter sa chance ». Dans ces lieux, on se côtoie plus facilement et sans vice de civilités, on s'adresse la parole, on engage des causeries où les échanges sont essentiellement centrés sur l'actualité des matchs de football, des derniers numéros tirés à la loterie, sur les probabilités de réussite d'un évènement ou sur le montant des mises dans certains jeux. C'est ainsi qu'on a pu relever que ces acteurs essayent de s'approprier autant que faire se peut, des moyens d'expressions accessibles et propres à ces milieux. De leurs échanges, émergent des thermes comme « ndjambo », « katikas », « tatami », « mises », « tocards », « favoris », « cotes », « bookmaker », etc.

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Ces codes linguistiques s'accompagnent souvent d'une langue de jeu dans la communication, où sont poncées des phrases comme celles-ci : « Gars tu vois la malchance, je viens de lost 150 kolos à cause de United ! » ; « C'est show sur moi ! Le libanais doit me donner quelque chose aujourd'hui, parce que le nguémé veut ma mort... » ; « Les gars je suis là pour vous ! Celui qui est chaud came take les hights combinaisons... ». Voilà en quelques sortes le genre de discours qui est donné partout où se retrouvent les individus autour des kiosques à jeux dans la ville de Yaoundé. En devenant un outil de communication dans les milieux de jeux, le camfranglais tend donc à être considéré comme une illustration de plus en plus évidente de la culture des jeunes dans ces milieux. Pourrait-on dire avec J.M ELA (1994 :27), qu' « ils se donnent leur vocabulaire et leur grammaire pour produire du sens » à leurs pratiques ludiques.

Au-delà de ces discours, il apparaît que les lieux où se pratiquent ces jeux constituent aussi de véritables enjeux dans la quête de promotion financière pour toutes les catégories d'acteurs qui sont présents. Les images qui vont suivre présentent une esquisse de localisation des jeux d'argent dans les espaces ouverts de la ville de Yaoundé :

Photographie 8 : Kiosques à PMU à proximité d'un établissement scolaire

Source : Badel ESSALA, (enquête de terrain).

La présence de ces kiosques à jeux d'argent longeant la clôture d'un établissement d'enseignement secondaire n'est pas fortuite. Cette zone est très fréquentée par les élèves, les étudiants, les agents des forces de l'ordre et commerçants de tout genre. Les promoteurs de ces jeux voient en cela une aubaine économique aux dépens des conséquences sociales qu'elle pourrait engendrer.

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I. NANA, âgé de 17 ans est élève en classe de quatrième année d'électricité d'équipement au collège d'enseignement technique industriel et commercial de Ngoa-Ekelle. Cet élève que nous avons appréhendé aux alentours de ce kiosque a accepté de participer à l'enquête. Il disait s'intéresser aux PMU parce que :

Le plus important dans la vie n'est pas toujours d'avoir fait trop d'études. Tu peux avoir de gros diplômes mais sans argent, tu n'es rien. La preuve est là ! On voit les étudiants de l'université, ceux de l'école normale et même certains hommes en tenue qu'on admire pourtant en train de jouer ici tous les jours.

La proximité d'une structure de jeu à un établissement scolaire présente donc le risque d'influencer les jeunes à se lancer dans cette activité, avec toutes les déviances qu'elle comporte. Illustration en date du 24 février 2017, où une vague d'arrestations a été opérée dans ce même établissement scolaire par les éléments du commissariat du cinquième arrondissement. D'après les médias nationaux et les témoignages de certains élèves approchés par nous, il s'avère qu'une quinzaine d'élèves interpelés, ont été surpris en train de jouer des dés au sein de l'établissement. L'un d'entre eux, en possession de vingt-trois paquets de drogue, a été transféré au tribunal de première instance, puis déféré à la prison centrale de Yaoundé le lendemain.

Les images qui vont suivre présentent une autre facette de la manifestation de ces jeux dans certains secteurs urbains de la ville de Yaoundé.

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Photographie 9 : Une partie de « ndjambo-Ludo » Photographie 10 : Une partie de « ndjambo-

à la devanture d'un dépôt de boissons à Melen Songo » dans un dépôt de bois à Ékié

Source : Badel ESSALA, (enquête de terrain). Source : Badel ESSALA, (enquête de terrain).

Les images précédentes mettent en scène des adultes qui misent des sommes d'argent en pratiquant de part et d'autre, le Ludo et le Songo, déguisés en de simples jeux de société dans différents lieux public. Ici, les joueurs se recrutent parmi les commerçants eux-mêmes, les clients des bars environnants et d'autres curieux adeptes de ces jeux. Certains personnages debout font office de « katikas », donc tiennent les mises des participants et récompensent les gagnants. Dans ces jeux se mêlent entre autres la ruse, la malice, la tricherie, la raillerie et bien évidemment la dépossession du joueur. Parce que n'étant pas limités dans le temps, le Ludo, le Songo ou même la Carte, ont la particularité de captiver toute l'attention de ceux qui s'y adonnent, au point parfois d'oublier l'essentiel à savoir leur travail, quand ils n'ont pas misé l'argent impartit à leur fonds de commerce.

En somme, il faut noter que le secteur des jeux d'argent à Yaoundé, est gangrené par de nombreux maux ; dont le choix de la clandestinité de quelques opérateurs ainsi que la mercantilisation observée dans les pratiques ludiques les plus banales dans les secteurs urbains. À ceux-là viennent s'ajouter l'implantation inappropriée des points de jeux sur les espaces publics, ou encore le non-respect de l'interdiction des jeux aux mineurs et aux agents des forces de maintien de l'ordre en uniforme. Comment comprendre en effet le mutisme des pouvoirs publics face à la présence de certains points de jeux longeant les clôtures des

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établissements secondaires et universitaires au quartier Ngoa-Ekelle ? Des kiosques à PMU implantés à proximité des bâtiments abritant les administrations publiques et militaires dans la ville, ou encore des lieux de culte et le centre de détention à Yaoundé ?

En réalité au Cameroun, nombreux sont les textes règlementant l'ouverture et la fréquentation des salles de jeux qui sont passés inaperçus. À titre d'exemple, l'article 50 de la loi no 92/050/PM du 17 février 1992 qui fixe les modalités de fréquentation des salles de jeux est passé sous silence. Il en est de même de la décision no 58/CAB/DPAV/SCC du 18 octobre 1995 portant interdiction d'exploitation cinématographique en Visio club, restée inappliquée. Disons plutôt que l'implantation quasi anarchique des tripots de rues et salles de jeux, ainsi que leur fréquentation populaire dans les quartiers échappe même aux autorités publiques. Celles-ci ne semblent s'occuper que de la « récolte » des droits de fiscalités imputables à ses structures. C'est ainsi qu'il faut peut-être interpréter cette « liberté buissonnière des pratiques » chère à M. De CERTEAU (1990 :14), dans la prolifération des jeux d'argent à Yaoundé.

Des cas similaires sont observés dans ce qu'on qualifie ici d'officialisation de la clandestinité de certains jeux par les autorités communales et policières. Le fait que certaines taxes soient prélevées de façon informelle par des agents véreux des impôts et des mairies auprès de certaines structures de jeux entraine un manque à gagner dans le trésor public, nous confiait le responsable en la matière à la commune d'arrondissement de Yaoundé quatrième. De même, l'on observe que de plus en plus, les agents des forces de maintien de l'ordre sensés réguler ce secteur d'activité, côtoient au même titre que la population, ces milieux de jeux à la recherche du bonheur. Ils y vivent les mêmes émotions et du coup, se font complices et acteurs d'épiphénomènes tels que : alcoolisme, trafic de drogue, violence et agression qui accompagnent souvent de la pratique de ces jeux.

À présent, il est question de s'intéresser aux différents acteurs sociaux des jeux d'argent dans la ville de Yaoundé et au sens qu'ils attribuent à cette pratique. En effet, le rapport des yaoundéens aux jeux d'argent montre que ce phénomène n'est pas figé, mais plutôt, qu'il est socialement marqué et largement tributaire de représentations et de perceptions que les citadins développent sur ce fait. Pour se faire, deux questionnements émergent : qui sont les protagonistes des jeux d'argent dans la ville de Yaoundé ? Quels sens attribuent-ils à cette activité ? La réponse à ces questions appelle à une analyse sociologique

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des faits explicatifs et à la signification sociale que chacun de ces acteurs attribuent aux jeux d'argent.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus