E.3.b.2.3 La recherche
Le langage de bases de données SQL est un bon exemple
d'optimisation de stockage qui se traduit par de moindres performances dans les
accès en recherche : Bill Gates aime à dire que « c'est
comme si vous deviez démonter tous les soirs votre voiture pour la
ranger en pièces détachées dans votre garage.
»
A-80
E.3.b.3 L'enjeu Z : L'accessibilité : c'est là,
mais où ? Le visible et l'invisible
« Si une resserre regorge de trésors mais que
l'on n'en possède pas la clé, il est impossible de l'ouvrir et,
faute de pouvoir l'ouvrir, on ne pourra voir les trésors qu'elle
recèle. » (Nichiren Daishonin, cité par L.Leyoudec)
E.3.b.4 Les pratiques spécifiques du numérique
Constats préalables :
- A la différence d'une copie analogique où
chaque opération de recopie d'un objet maître dégrade un
peu plus la qualité de la copie suivante, seule la première copie
d'un objet réel vers un format numérique en dégrade la
qualité : hors compression, toutes les copies suivantes seront
identiques entre elles. A fortiori, si l'objet initial a
été conçu de manière numérique, (la
« clonabilité » des documents numériques44 )
ses reproductions ultérieures pourront être parfaitement
conformes à cet objet initial45. L'alternative
étant la diffusion délibérée de copies de moindre
qualité, via une compression du son ou des pixels par exemple.
- La notion de « reproduction parfaite » grâce
au numérique, qui semble évidente, détient sa part
d'impensé : en effet, une oeuvre conçue au moyen d'un logiciel
d'affichage de courbes fractales dans les années 80 sur un écran
VGA (640x480) s'affichera au moyen d'un écran HD des années 2000
de manière supposée supérieure en qualité. Mais
elle sera dégradée au contraire si l'objectif esthétique
est de conserver le grain « pixellisé » de l'oeuvre initiale.
Si l'auteur de l'oeuvre n'a pas pensé que les écrans pourraient
varier en résolution et n'a pas sauvegardé les choix d'affichage
de cette oeuvre, on peut même considérer l'oeuvre originale comme
perdue, puisque les conditions de restitution de celle-ci ne sont plus
garanties à l'identique de sa création. On retrouve, sous une
autre forme, les enjeux de l'aura telle que Walter Benjamin a pu la poser en
affirmant 46 « il manque une chose à la reproduction la plus
parfaite : l'ici-et-maintenant de l'oeuvre d'art - le caractère
absolument unique de son existence, au lieu même où elle se
trouve. »
Ce décor posé, il est permis de se poser la
question des situations où la sauvegarde numérique est mise en
concurrence avec la sauvegarde physique. En effet, qu'il s'agisse de factures,
de documents administratifs, de notes de lecture, de modes d'emploi, ou de
recettes de cuisine, il
44 (Crozat, Bachimont, Cailleau, Bouchardon, &
Gaillard, 2012)
45 Au point que pour éviter la copie pirate
d'oeuvres originales, il est parfois utilisé un filigrane pour
distinguer des copies diffusables, l'original gardant sa distinction par son
absence de filigrane.
46 (Benjamin, 1939)
A-81
n'existe pas de raison a priori de privilégier le
papier ou le numérique. D'ailleurs certains sites « pratiques
» préconisent la double sauvegarde (papier + numérique) pour
tous les documents dits « importants » !
Il est permis cependant de trouver des avantages distincts
à chacun des types de sauvegarde, avantages dépendant d'ailleurs
des objets à sauvegarder :
- Un DVD ou un fichier vidéo a indiscutablement une
qualité et une praticité supérieure à celle d'une
cassette VHS, d'autant que les lecteurs de ce format deviennent
introuvables.
- Les amateurs de « bon son » disent au contraire
préférer la qualité d'un disque vinyle à celui d'un
CD ou d'un fichier mp3.
- L'objet physique possède un pouvoir symbolique plus
fort : il peut être collectionné, exhibé. A fortiori si sa
taille contribue à sa valeur : une affiche papier ou un tableau
présentent une valeur d'exposition très supérieure
à un fichier .jpg, même quand il s'agit de simples
reproductions.
- Le livre papier peut être feuilleté,
annoté, truffé d'onglets d'indexation de type post-it, procurant
une sensation visuelle et particulière que n'égalent pas pour
certains amateurs les fonctionnalités équivalentes
proposées par les ebooks. Alors que ceux-ci ont en leur faveur le faible
poids dans les bagages, des fonctions de recherche, de traduction, de
copier-coller...
- Dans une logique de pur contenu textuel, et si cela a un sens,
le document numérique a pour lui d'être beaucoup plus facile
à transformer en objet papier (par impression) que l'inverse (par scan),
tout en étant moins encombrant, plus facile à dupliquer et
à indexer/rechercher.
Les CD et les DVD constituent un cas à part
intéressant, en tant que matérialisations physiques de fichiers
numériques. Pour de nombreux mélomanes, le CD est
inférieur au vinyle, mais il reste collectionnable, montrable, et
classable sur des étagères, malgré sa pochette de taille
réduite et un son « affadi ». Quant au DVD, mérite-t-il
d'être conservé, alors qu'il est possible de le dupliquer sur un
disque dur ? Et si oui, est-il pertinent d'en conserver le boîtier et la
jaquette, souvent de médiocre qualité, et beaucoup plus
encombrants que leur contenu seul, une fois classé dans des pochettes,
alors que les informations qu'ils portent, et bien plus encore, sont
disponibles sur internet ?
On peut être aussi tenté de sauvegarder plusieurs
formats différents du même objet : il est ainsi arrivé
à l'auteur de ce mémoire d'acquérir successivement la
version audio, puis papier, et enfin ebook d'un même livre qui lui tenait
particulièrement à coeur, chacun des formats possédant des
avantages différents suivant le contexte d'utilisation.
Enfin, le choix peut être opéré au cas par
cas, pour ceux qui font cohabiter des sauvegardes numériques ou non, ou
au contraire de manière systématique, pour ceux qui ont choisi de
basculer dans le « tout numérique ». L'ouvrage de Le Marec et
Mairesse « Enquête sur les pratiques savantes ordinaires
»47 propose un aperçu intéressant de la
manière dont les stratégies de conservation de documents sont
impactées - dans le cas des chercheurs - par l'âge, la
carrière ou le lieu de vie.
E.3.b.5 L'anti-sauvegarde : l'effacement des traces
- Le geste préventif consiste à
régulièrement chercher et effacer ses traces avant que des tiers
n'y aient accès de manière indésirable
- Le geste correctif, en cas de problème,
nécessite de faire supprimer des informations indésirables
auxquelles l'individu n'a plus accès via un opérateur tiers.
L'effacement préventif des traces nécessite une
compétence supérieure à celle requise pour les sauvegardes
classiques car elle fonctionne « en creux » : là où on
sait, par construction, ce que l'on veut sauvegarder car une production
relève d'un acte délibéré, a contrario une trace
peut être un résultat involontaire et non connu de l'utilisateur.
L'exemple-type est celui des cookies (fichiers mouchards traçant les
actions sur internet) : depuis 2014, la CNIL tente d'améliorer la prise
de conscience du public sur ce sujet, à la fois aux imposant aux sites
d'accompagner systématiquement l'usage de cookies de bandeaux
d'avertissement tels que celui-ci :
Et au moyen de campagnes d'information, à l'image de ce
clip « Comment j'ai attrapé un cookie »48 :
A-82
47 (Mairesse & Le Marec, 2017)
48 (CNIL, 2013)
A-83
Dans le cas des moteurs de recherche, et en général
des traces pouvant contrevenir à la préservation de la vie
privée, la Cour de justice de l'Union européenne a imposé
un « droit à l'oubli » numérique 2014, qui concerne en
premier lieu les recherches nominatives sous Google. Suivant les situations, et
le nombre de références à effacer, la mise en oeuvre de ce
droit peut être assez simple : un formulaire Google « Suppression
dans le cadre de la loi européenne sur la confidentialité »
est destiné à cet effet.
Nous avons ainsi relevé la page wikipedia d'un
ex-manager condamné plusieurs fois pour escroquerie : la page discussion
donne lieu à un débat entre le droit du public d'être
averti du passé « douteux » de la personne en question, et
l'intéressé qui demande d'effacer la page au nom de son droit
à l'oubli. Ce fameux droit à l'oubli (comme le droit à la
vie privée d'ailleurs) rentre en conflit avec deux autres questions
relevant autant du droit que des SIC : le droit d'information du public, et
donc la liberté des médias, mais aussi le besoin des chercheurs
de disposer d'archives. Comme l'indique Le Monde en 2013 : « ce droit
à l'oubli ne fait pas l'unanimité : car qui dit oubli dit
effacement du passé. De quoi faire bondir archivistes et historiens, qui
conservent et écrivent la mémoire et l'histoire de nos
sociétés. ».49
Cette contradiction relève en creux celle qui sous-tend
le « désir d'archive » dans toutes les formes de pratiques de
sauvegarde : plus que la peur de voir disparaître ses productions, c'est
d'abord celle d'être livré à la main capricieuse du hasard,
que ce soit sous la forme des pelleteuses qui effaceront les vestiges des
villes d'hier et de demain, ou des archéologues du web qui exhumeront un
selfie abandonné et choisiront d'en faire le symbole de l'humain de
2017.
« La démonstration du hiatus entre le temps
présent et l'archive comme trace du temps passé ne concerne pas
que la première grande fonction des archives, à savoir le fait
d'être source de l'Histoire ; elle vaut également pour l'autre
grande valeur des archives que sont la défense des droits du citoyen et
l'accès à l'information. » 50
49 (Dumontet, 2013)
50 (Chabin, 2011)
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