2.1.4. Un répertoire d'action :
Faut-il considérer que les mouvements sociaux sont les
armes des faibles en quelque sorte réduits à manifester et
à faire grève faute de pouvoir être entendus par des voies
plus institutionnelles. Pour Charles Tilly8, il existe des formes
d'institutionnalisation propres aux mouvements sociaux. En effet, tout
mouvement social est confronté à un répertoire
préexistant de formes protestataires plus ou moins codifiés,
inégalement accessibles selon l'identité des groupes
mobilisés.
7 Touraine, A. (1978), La voix et le regard, Seuil,
Paris
8Tilly, C. (1986), La France conteste de 1600à
nos jours, Fayard, Paris
10
De plus, cette domination touche également au fait que
les mouvements sociaux ont besoin de publicité notamment celle des
médias. Donc, l'élaboration de contestation s'opère sous
forme de discussions entre appareils « représentatifs »,
groupes de pression de la haute administration sans que cela ne soit
complété par une publicité ou d'un débat et des
enjeux dans l'espace public (Pierre Rosanvallon)9. A l'inverse,
l'action de la « rue » est contrainte de se développer dans
des conditions de publicité qui privilégie le jugement de
l'ensemble des citoyens. Les mouvements sociaux constituent une arme des
groupes dans un espace social et un temps donnés. Il existe bien une
affinité entre la position de dominé et le recours à des
formes moins institutionnalisées, moins officielles de prise de parole,
comme les médias ou bien l'opinion publique.
Toujours selon Charles Tilly, il y a apparition de nouvelles
formes d'engagements associatifs de dimension internationale telles que
Greenpeace complétée d'une montée des logiques
d'expertise. Il s'agit là d'une nécessité pour les groupes
de mobiliser à leur profit les arguments de la science et des projets
chiffrés. Puis, la dimension symbolique prend de l'importance par la
construction d'images autour des groupes et des causes comme la construction
d'une mythologie moderne du paysan à la fois entrepreneur et protecteur
de la nature. Nous pouvons dire que les mouvements sociaux ne sont pas un
univers de pure fluidité, de spontanéité absolue car ils
connaissent des dimensions d'institutionnalisation, des cadres
organisateurs.
2.1.5. L'organisation des mouvements sociaux :
Des mouvements sociaux peuvent émerger sans que des
organisations préexistantes n'en soient les initiatrices comme cela a
été le cas lors des violences dans les banlieues
françaises. Tout mouvement social qui tente de s'inscrire dans la
durée pour atteindre des objectifs est confronté à la
question de l'organisation qui coordonne les actions, rassemble des ressources,
mène un travail de propagande pour la cause défendue, ressort
comme une nécessité pour la survie du mouvement, ses
succès. William Gamson10 parle de « bureaucratisation
» des mouvements avec des statuts écrits, une tenue de fichier
des
9 Rosanvallon, P. (1981), la crise de l'Etat
providence, Seuil, Paris
10 Gamson, W. (1975), The strategy of Social Protest,
Wadsworth, Belmont
11
adhérents ou encore création d'échelons
hiérarchiques. Dès lors, les mouvements sociaux dotés
d'une telle organisation parviennent, dans 71% des cas, à être
reconnus par leurs interlocuteurs, contre 28% pour les mouvements moins
organisés. Une organisation fortement centralisée, mais surtout
unie, se révèle plus efficace. En pratique, l'immense
majorité des mouvements sociaux est structurée par des formes
plus ou moins rigides d'organisation tels que les relais partisans, les
syndicats, les associations, la coordination ou encore un rôle central
lié à quelques animateurs. Les mouvements sociaux ne sont donc
nullement au pôle d'une pure expressivité, d'un refus de toute
organisation. Entre un mouvement social et un groupe de pression la
différence n'est pas toujours évidente mais elle peut aussi se
penser en termes de trajectoire. Donc, un mouvement social est organisé
de façon à pouvoir fonctionner ce qui remet en question
l'idée de spontanéité de la contestation. N'y aurait il
pas une construction ou une incitation à la mobilisation.
Il existe un certain nombre d'éléments à
prendre en compte afin de pouvoir comprendre la structuration d'un mouvement
social. Tout d'abord, l'action collective et individuelle est une
coopération entre acteurs croyant en leur acte. Cette action est
orientée pour une cause, par un moyen qui est la grève, avec
l'intention d'agir ensemble après avoir élaboré un projet.
Cette action vise un changement profond du mode de vie ainsi que des enjeux
localisés. De plus, la participation des acteurs à agir contre un
adversaire identifié est primordiale et dans ce cas la mobilisation
massive d'individus est nécessaire pour faire pression. Il existe
également une domination à la fois dans les formes de
protestations, dans les moyens de communications ce qui implique une adaptation
du degré d'expertise des acteurs. Enfin, un mouvement social peut
émerger sans organisation, cependant, s'organiser permet de durer dans
le temps et d'être reconnu par l'institution. Dès lors
émerge la question de la fonction du mouvement social.
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