7. L'utilisation d'un pouvoir médiatique par la
mobilisation de masse
Nous avons vu que les rites utilisés permettent un
apprentissage de techniques corporelles qui ont pour incidences de donner
à l'individu initié une identité militante correspondant
à un groupe particulier. Nous abordons ici les enjeux qui poussent les
groupes militants à l'initiation des plus jeunes.
7.1. Une recherche d'équilibre du rapport de
force avec l'Etat :
Lors de nos discussions avec les lycéens du lycée
Dupuy de Lôme de Brest nous
avons recueillit un tract d'appel à la grève du
22 novembre 2007 qui à été édité par
des étudiants brestois34. Au moment de la distribution de
ce tract, le mouvement étudiant était presque fini et le
mouvement lycéen allait commencer. Dans cette ultime tentative de
mobilisation des « troupes » étudiantes nous pouvons relever
le durcissement du discours. Par exemple, « Valérie Pécresse
ment », « augmentation des pouvoirs du secteur privé »,
« la LRU introduit d'avantage de représentants d'entreprises
privées dans le CA » ou encore « la LRU impose une nouvelle
mission à l'université : servir l'emploi » sont autant de
phrases qui montrent le sentiment vécu de certains étudiants qui
diffusent ce tract. La peur de la LRU est présente mais les
étudiants souhaitent avant tout mobiliser et faire en sorte que le plus
grand nombre d'étudiants se mettent en mouvement.
On passe alors d'une défense de l'université
à l'attaque directe de la ministre en la citant comme menteuse. Il ne
faut pas oublier que depuis quelques jours le mouvement lycéen prend de
l'ampleur et que les partiels des étudiants se rapprochent dans le
temps. La peur sous jacente s'apparente alors comme une peur de
démobilisation de la masse étudiante, ce qui nous permet
d'affirmer que l'enjeu de l'engagement physique de masse est aussi important
que l'objectif de la contestation elle-même. En effet, la mobilisation
des étudiants sur l'espace public provoque un équilibre des
rapports de force entre l'Etat et les manifestants par l'utilisation des
médias afin de faire passer les revendications. Nous avons pu voir
l'impact qu'ont les médias sur l'opinion publique, d'une part, mais
également sur les étudiants qui ne
34 Cf. Annexe 6
33
sont pas mobilisés. Les exemples qui nous ont
marqué sont ceux des caméramans qui venaient filmer les AG
à Segalen ou encore l'exploitation des photos par la presse
écrite.
En effet, étant donné que le mouvement social se
développe dans un espace public et qu'il ne s'agit pas d'un moyen de
communication officielle, il sera nécessaire de faire passer les
revendications par un vecteur universel que sont les médias
(télévision, presse écrite). Concrètement, le plus
important sera de faire un maximum de bruit ou bien d'actions qui vont faire
que les journalistes vont se déplacer. Comme cela a été le
cas lors du blocage de la gare SNCF ou bien de la place Albert 1er.
N'ayant pas d'autres moyens pour se faire entendre et faire remonter les
revendications, les acteurs du mouvement vont faire de la publicité
autour de leur contestation. Il s'agit d'un débat et des enjeux sur
l'espace publique, au sens de Pierre Rosanvallon. Un autre type de média
beaucoup plus libre et moins contrôlé concerne internet et la
multiplication des blogs autour des événements
réalisés par les manifestants. En effet, le nombre de blog
contenant des vidéo, filmées par des téléphones
portables, et des photos n'ont cessés d'augmenter durant le mouvement de
contestation. Dès lors, l'utilisation d'internet comme outil de
communication de contre pouvoir est utilisé afin de
rééquilibrer le rapport de force avec l'Etat.
Nous avons également ramassé deux documents qui
ont été distribués dans les rues de Brest le même
jour, le 6 décembre. L'un35 vise à rassembler les
lycéens autour du retrait de la note Darcos tandis que l'autre
document36 vise à rassembler les étudiants ainsi que
les lycéens contre la LRU. L'analyse de ces deux documents montre que
les meneurs étudiants considèrent les lycéens comme
acteurs du mouvement de contestation et non plus uniquement les
étudiants. Cette prise de conscience s'est faite suite aux mouvements
antérieurs à cette date. Dès lors, les différents
syndicats ont intégrés qu'il existait une masse lycéenne
prête à se mobiliser contre la LRU. Donc, la recherche d'un
équilibre dans le rapport de force avec l'Etat passe également
par une « récupération » des force vives avec
l'idée de mobiliser toujours plus nombreux et toujours plus longtemps.
Concernant la manifestation lycéenne contre la note Darcos, au vu du
seul objectif demandant le retrait cette note, nous pouvons dire que le
mouvement étudiant a pris fin contrairement au mouvement lycéen
anti LRU qui
35 Cf. Annexe 7
36 Cf. Annexe 8
34
existe encore. Dès lors, nous assistons à une
réorientation des médias et des syndicats, des étudiants
vers les lycéens. L'effet recherché est l'utilisation de l'impact
médiatique d'une masse en mouvement. A présent, la question de la
mise en mouvement ne concerne plus l'individuel mais plutôt le
collectif.
Puis nous avons recueilli un autre document37
distribué le 10 décembre pour une manifestation qui se
déroule le lendemain, le 11 décembre. Il est important de noter
ici que ce sont les lycéens de Dupuy De Lôme qui font cet appel
à la mobilisation. Nous sommes dès à présent au
centre du mouvement lycéen et sans étudiants. L'objectif de la
manifestation est de continuer le mouvement de contestation contre la note
Darcos.
Nous avons également recueilli une copie du
courrier38 envoyé à M. le Sous-préfet de Brest
afin de prendre date d'un rendez-vous. Cette lettre explique clairement les
contestations ainsi que revendications souhaitées par l'ensemble des
lycéens. Il y a plusieurs éléments intéressants
à relever dans ce texte, en effet, les éléments qui
constituent ce courrier semblent démontrer la responsabilité dont
les lycéens font preuve. Nous avons identifié quatre points
importants suite à l'analyse de ce document. Le premier concerne les
relations liées avec la Police qui a permis l'élaboration du
courrier et qui traduit l'existence d'un lien entre les meneurs lycéens
et les forces de l'ordre. Le second point concerne l'expression claire des
objectifs de la contestation, à savoir « nous avons
manifesté ce matin et souhaitons être reçus pour que nos
messages soient entendus par le gouvernement ». Le troisième point
est la transparence dont les lycéens font preuve afin d'apporter de la
crédibilité à leur mouvement en présentant les
quatre membres de la délégation qui seront présents afin
d'être entendus ainsi que le numéro de téléphone
portable mentionné afin de prendre contacte avec les lycéens.
Enfin le dernier point concerne les moyens mis à disposition par l'UL
CGT afin de rendre possible l'ensemble de la démarche ce qui
démontre l'implication des syndicats non lycéen dans l'existence
d'un tel mouvement. Donc, l'exemple que ce courrier nous montre qu'il est
important pour les syndicats d'être près des lycéens afin
d'initier les membres du mouvement lycéen aux normes qui sont les leurs
mais surtout d'utiliser ces même protagonistes comme des instruments
médiatique pour faire valoir des revendications
37 Cf. Annexe 9
38 Cf. Annexe 10
35
syndicales. Mais également, que les manifestants
peuvent faire la publicité de leur mouvement par des moyens officiels et
montrent ainsi qu'ils peuvent se mobiliser en bloquant des ponts mais qu'ils
peuvent aussi prendre un rendez-vous avec le représentant de l'Etat afin
de discuter du fond du problème.
Dès lors les lycéens anti Darcos ont un objectif
de contestation affiché ayant comme principal but de se faire entendre
aux oreilles du gouvernement, sans intention de rapports de force avec la
Police. La volonté de responsabiliser le mouvement, de montrer la
civilité dont les lycéens font preuve est affirmée.
Pourtant, un mouvement de « jeunes brestois » commence a interagir
par des actions de casse sans revendications particulières
éclipsant la bonne volonté d'un certain type de lycéens
qui veulent réellement faire passer un message fort et sans violence.
L'ensemble des documents présentés ci dessus
renseignent sur cette recherche d'équilibre du rapport de force avec
l'Etat. Les étudiants sont mieux structurés en terme de
représentativité syndicale contrairement aux les lycéens.
Nous avons vu également que les étudiants manifestent contre la
LRU mais ne prennent pas conscience que les lycéens peuvent y être
associés jusqu'au moment où la masse étudiante diminue
pour une raison simple : les partiels. Dès lors, nous assistons à
une récupération de la mobilisation lycéenne par une
poignée d'étudiants que nous avons qualifiés «
d'irréductibles ». L'ensemble des éléments
démontrent qu'il y a des enjeux nationaux autour de la défense de
l'éducation ou bien des universités, mais il existe
également des enjeux locaux concernant les syndicats qui vont mener les
négociations ou bien qui seront les plus mobilisateurs. Plus que cela,
les syndicats seront les initiateurs des lycéens et les formeront aux
normes ainsi qu'aux valeurs de leur communauté. Donc nous pouvons dire
qu'il y a un vrai enjeu de pouvoir local. Pour confirmer cette idée,
nous avons questionné un meneur lycéen qui nous a raconte comment
s'est déroulé la manifestation du 6 décembre, nous avons
écrit conjointement écrit ce récit :
C'est la première manifestation organisée
par les lycéens de Dupuy de Lôme partis du lycée à
10h pour un rendez-vous à 11h à la place de la liberté. Un
petit moment de détente a été observé sur le pont
de l'Harteloire. L'organisation de la manif par les lycéens pro de Dupuy
était exemplaire car aucun débordement n'a été
constaté. Suite à une discussion avec une meneuse, l'organisation
s'est faite sur base du volontariat et c'est à partir
36
du 30 novembre, moment d'information des
élèves de Dupuy par leur proviseure, que les lycéens ont
décidé de manifester leur mécontentement. Lorsque les
lycéens de Dupuy sont arrivés à la Liberté, il y
avait déjà certains de l'Iroise. Le plan était de passer
dans les lycées brestois afin d'aller à la rencontre de leurs
pairs. Mais l'itinéraire a été modifié sur place au
dernier moment car l'intention été d'éviter la CNT. A
partir de ce moment là les lycéens ont pris l'axe central de la
ville, la rue Jean Jaurès, et au niveau de l'espace Jaurès la
rencontre entre la CNT et les lycéens a provoqué la confusion.
Dès lors la CNT s'est réapproprié le cortège qui
est allé à la Liberté puis ont été dans les
autres lycées brestois comme l'harteloire, la Croix Rouge et Vauban. A
ce moment là les lycéens de Dupuy ont arrêtés de
manifester tout en informant les forces de l'ordre que le cortège
était passé sous le contrôle de la CNT.
L'après-midi, un mélange de lycéens, étudiants et
autres sont allés à la gare et ont commencé à
bloquer les voies.
Ce récit nous renseigne sur l'intérêt de
certains syndicats étudiants à « récupérer
» le mouvement lycéen afin d'utiliser la masse pour mettre la
pression sur les représentants locaux de l'Etat. Là encore, il y
a une instrumentalisation du mouvement, c'est-à-dire une mobilisation
d'individus orienté vers un objectif d'intérêt politique,
qui permet de prendre place sur l'espace public. Un autre type
d'instrumentalisation du mouvement, recueilli lors d'un entretien avec une
personne des Renseignements Généraux, concerne le fait que «
le mouvement lycéen contre la note Darcos allait prendre de l'ampleur
car les syndicats professionnels souhaitaient faire retirer la note Darcos
». Cette citation nous montre que le fait que les syndicats annoncent une
intention qui va dans le même sens qu'un mouvement est suffisant pour
mobiliser encore plus les troupes. Mais également que les syndicats
souhaitent inscrire les manifestants dans leurs revendications.
Donc, le mouvement social de contestation est un lieu
important d'enjeux locaux mais également un outil de pression efficace
contre le gouvernement. En effet, nous avons pu voir qu'il existe une
volonté de la part des syndicats, des meneurs étudiants et
lycéens de mettre en action le plus grand nombre d'individus en raison
du fort pouvoir médiatique qui est conféré au mouvement.
L'engagement physique est recherché afin d'équilibrer le rapport
de force entre l'Etat et les manifestants, ceci sur l'espace public, par
l'utilisation des médias c'est-à-dire la presse écrite
comme internet ou la télévision. C'est en ce sens que peuvent
s'exercer des récupérations d'un mouvement par des
communautés mieux organisées. Enfin, les
37
syndicats jouent un rôle essentiel dans le rite
initiatique d'institution car ils transmettent les codes et les normes aux
futurs militants.
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