4.3. Quelques exemples d'expériences
1. Etude de cas: »The use of descriptive norms to
promote a minority behavior in a realistic online shopping
environment»
Comme explique précédemment, l'une des
incitations les plus efficaces en matière environnementale est celle qui
joue sur la comparaison entre les individus, notamment par
l'intermédiaire des normes sociales.
L'une des études les plus récentes dans ce
domaine est celle de Demarque et al. en 2015, qui s'intéresse aux
comportements d'étudiants vis-à-vis de l'achat de produits
biologiques. Le but des auteurs est de montrer que des messages
décrivant les comportements d'achat d'un groupe
considérécomme la norme pouvaient avoir une influence plus ou
moins forte, selon le type d'information présentée, sur le
comportement d'achat des individus. L'étude cherche à montrer
plus particulièrement qu'il est possible de présenter des
informations aux individus à propos d'une norme de consommation de
produits biologiques, bien que cette norme de consommation soit relativement
faible, de manière à les pousser à acheter plus de
produits biologiques. Concrètement, les auteurs ont
recréésur ordinateur une plateforme d'achat de nourriture en
ligne oùsont proposés des produits biologiques et des produits
« normaux ». Les produits biologiques étant
légèrement plus chers que les produits normaux, ils se sont
intéressés aux comportements d'achat de 122 participants
disposant d'un budget de 25 euros, certains étant soumis à une
incitation de type nudge, et d'autres non. D'autres tests avaient
étépréalable-ment effectués afin de connaître
les proportions réelles d'achat de produits écologiques. Les 122
participants ont étérépartis en 4 groupes et disposaient
selon leur groupe des informations suivantes, tirées des
études
préliminaires, en se connectant à la boutique en
ligne:
- Le groupe de contrôle se voyait présenter ce
message: « Cette boutique vends plusieurs produits du quotidien »
- Le groupe « norme faible »: le premier message
suivi de « Pour information, 9% des participants précédents
ont achetéun produit biologique »
- Le groupe « norme forte 1 »: le premier message
suivi de « Pour information, 70% des participants précédents
ont achetéau moins un produit biologique »
- Le groupe « norme forte 2 »: le premier message
suivi de « Pour information, les participants précédents ont
acheté, en moyenne, au moins deux produits biologiques »
Les résultats ont montréque les participants
ayant étéexposés à une incitation, sous la forme
des différents messages normatifs, achètent en moyenne un produit
biologique de plus et dépensent en moyenne 13% de plus sur ce type de
produits que le groupe de contrôle. Etonnamment, les différentes
« forces » des normes descriptives n'ont pas produit d'effets
significativement différents sur l'achat de produit biologiques. Pour
les auteurs, l'une des raisons à ce résultat surprenant au
premier abord pourrait être qu'il suffit d'attirer l'attention de
l'acheteur sur la norme d'achat de produits biologiques pour que ceux-ci se
sentent incités. Cette étude prouve en tout cas
l'intérêt de l'utilisation des normes et de la comparaison
à autrui comme un outil de nudge potentiellement efficace pour faire
changer les comportements en douceur.
2. Etude de cas: »A room with a
viewpoint»
La deuxième étude à laquelle nous pouvons
nous intéresser est celle concernant les économies d'eau,
menée en 2008. L'article « A room with a viewpoint »
écrit par Noah J. Goldstein, Robert B. Cialdini et Vladas Griskevicius
repose sur des expériences à objectif écologique de
»réutilisation des serviettes» menées dans des
hôtels afin de montrer l'impact des normes sociales descriptives et
normatives.
La première expérience s'est
déroulée sur 80 jours, avec 1.058 moments potentiels de
réutilisation des serviettes dans 190 chambres, et les clients
n'étaient pas conscients de leur participation à
l'expérience. Les chercheurs ont créédes plaquettes avec
des messages qu'ils mettaient sur les étagères à
serviettes. Le premier message est à but informatif sur l'importance de
la protection de l'environnement »HELP SAVE THE
ENVIRONMENT» sans utiliser de normes descriptives. Et
l'autre message »JOIN YOUR FELLOW GUESTS IN HELPING TO SAVE THE
ENVIRONMENT» utilise des normes descriptives et incite à la
réutilisation des serviettes parce que les autres le font aussi. Les
études trouvent que le deuxième message a plus de succès.
Parmi les 75% de personnes participantes, presque 35% ont
étéincitées par le simple message environnemental, contre
44,1% de ceux soumis aux normes descriptives par identification au groupe
écoresponsable.
Dans la deuxième expérience,
effectuée sur une durée de 53 jours, des données
sur 1,595 moments potentiels de réutilisation de serviettes ont
étécollectées, dans le même hôtel que pour la
première étude, et les participants n'étaient pas non plus
conscients de leur participation à l'expérience.
Les chercheurs ont essayéde déterminer comment
la conformitédes clients de l'hôtel à une telle norme
descriptive varie en fonction du type de groupe de référence
attachéà cette norme.
Cinq messages différents ont
étéprésentés:
1. »HELP SAVE THE ENVIRONMENT»sans normes
descriptives (Importance 4,1/6).
2. «JOIN YOUR FELLOW GUESTS IN HELPING TO SAVE THE
ENVIRONMENT.» (Importance 2,5/6); utilisant des normes descriptives avec
une participation de 75% des clients de l'hôtel.
3. «JOIN YOUR FELLOW GUESTS IN HELPING TO SAVE THE
ENVIRONMENT» (Importance 2/6) ; le même message avec la
participation de 75% des clients qui sont restés dans la chambre
numéro 313.
4. «JOIN YOUR FELLOW CITIZENS IN HELPING TO SAVE THE
ENVIRONMENT». Importance (5,4/6) ; 75% de participation des citoyens.
5. «JOIN THE MEN AND WOMEN WHO ARE HELPING TO SAVE THE
ENVIRONMENT». (Importance 5,5/6) ; dans l'étude ont
participé76% des femmes et 74% des hommes.
Résultats:
· Premièrement, les
données sur l'importance de la catégorie sociale ont mis en
évidence que les catégories mises en avant dans les messages ont
focaliséles participants sur l'identitésociale voulue.
· Deuxièmement, les
données ont confirméles attentes, l'identification des
participants à leur propre catégorie sociale est forte.
· Troisièmement, on a un taux de
réutilisation des
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serviettes des quatre messages normatifs descriptifs qui ne
correspond pas à la mesure dans laquelle les individus
considèrent les différentes identités importantes pour
eux.
Ces données sont particulièrement importantes
pour la recherche. Elles suggèrent que plus la catégorie sociale
est importante pour un individu, plus la probabilitéest forte qu'il ou
elle va suivre les normes de la catégorie. D'après le classement
d'importance, les participants sont plus susceptibles de suivre les normes
« citoyen » ou « femme/homme » et moins les normes «
client de l'hôtel » pour une chambre particulière (313) dans
laquelle ils logeaient.
En conclusion, le résultat de ces 2 expériences
montre l'importance des normes descriptives pour motiver les gens à
s'engager dans le domaine de la conservation environnementale. Mais cette
étude ne fournit aucune norme descriptive explicite qui serait
universellement efficace, elle suggère que rapporter les normes à
une identitésociale significative importante, sans fournir
d'informations normatives descriptives, n'est pas une approche optimale.
5. Conclusion
Le sujet des incitations vertes nous a donc
invitéà nous interroger sur la relation qui existe entre le
changement des comportements individuels et la sauvegarde de l'environnement,
qui est aujourd'hui devenu une nécessité. De cette relation nous
avons pu dégager des questionnements sur lesquels il nous a
sembléintéres-sant de nous pencher, en se demandant notamment
quelle place les nudges peuvent-ils prendre dans cette volontéde faire
évoluer les comportements vers une norme plus éco-responsable
?
Nous avons donc voulu montrer que les nudges verts peuvent
constituer une solution efficace et prometteuse aux problèmes
environnementaux, mais que certains obstacles mis en lumière par les
études qui ont étémenées restent à surmonter
pour une application généralisée de ces incitations.
Pour ce faire, nous nous sommes penchés dans une
première partie sur la littérature scientifique concernant les
nudges, afin de comprendre plus précisément les
différentes théories et les différents mécanismes
qui expliquent l'effet des incitations sur les comportements. Puis, dans un
deuxième temps, nous avons présentéles résultats de
l'étude économétrique que nous avons menédans le
but d'analyser les relations qu'entretiennent les individus face aux
problématiques environnementales. Nous avons pu en conclure que, bien
que les individus puissent en effet se sentir con-
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cernés par les défis environnementaux, cela ne
signifie pas forcément qu'ils s'impliquent beaucoup plus dans des
actions vertueuses. Ce paradoxe met en lumière la place importante que
peuvent prendre les nudges verts afin de passer, en douceur, des bonnes
volontés aux actes concrets. Enfin, dans une troisième partie,
nous nous sommes intéressés aux applications pratiques et aux
expérimentations d'incitations vertes mises en place dans
différents pays du monde, à partir
desquelles nous avons pu conclure quant à
l'efficacitéprouvée des nudges. Toutefois, nous avons
identifiédes limites concernant l'application de ces nudges, no-
tamment sur le fait qu'une expérience réussie
dans un pays ne peut pas forcément être transposée avec la
même efficacitédans d'autres régions du monde.
Nous pouvons donc voir à travers ce sujet la
néces-sitéde se questionner sur la place qu'occupent les
comportements individuels dans la transition environnementale, à travers
l'utilisation des incitations vertes. S'il est vrai que les nudges
s'avèrent relativement efficaces pour changer en profondeur les
comportements, il reste difficile de les mettre en place de manière
rapide et globalisée. En effet, la mise en oeuvre de ces nudges reste
conditionnée aux volontés politiques de transition vers un monde
plus éco-responsable. Nous pouvons facilement imaginer que les mises en
oeuvre généralisées de nudges à l'échelle
d'un pays entier seront beaucoup plus incertaines si les décideurs
politiques ne sont pas eux-mêmes convaincus par la
né-cessitéde transition écologique, l'exemple de
l'élection à la tête des Etats-Unis de Donald Trump,
climato-sceptique convaincu, étant l'un des plus marquants. C'est
pourquoi on peut se demander si les incitations non-contraignantes sont
vraiment des solutions suffisantes pour changer les comportements humains, et
si, face à l'urgence climatique, il ne reste pas grandement
nécessaire de légiférer, contraindre, et imposer des
normes plus vertueuses pour l'environnement aux acteurs économiques ?
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