Section 2. Les points faibles de la double
nationalité
Outre les avantages précédemment
examinés, la double nationalité entraîne des
difficultés dans l'accomplissement des obligations militaires et la mise
en oeuvre du devoir de fidélité (§1), dans l'exercice des
protections diplomatiques (§2) ainsi que dans le domaine d'état et
de capacité des personnes (§3).
§1. Difficulté à accomplir les
obligations militaires et le devoir de fidélité
Le conflit positif présente des
difficultés au cas où les deux Etats qui reconnaissent une
personne pour leur national lui réclame un devoir total
d'allégeance. Ces difficultés naissent ainsi dans
l'accomplissement du service militaire (A) ainsi que dans la mise en oeuvre du
devoir de fidélité (B).
A. Accomplissement des obligations militaires
Pour comprendre l'ampleur du problème, il
convient d'emblée de préciser que « l'Etat est fondé
à réclamer de ses nationaux même à l'étranger
l'assistance par les armes, qui est le premier devoir de tout citoyen
vis-à-vis de la patrie menacée ».257 Le jus
avocandi, c'est-à-dire le droit de mobiliser ses citoyens en cas de
guerre, est aussi incontestable que d'usage universel258 et il
appartient à l'Etat national de fixer « librement lui-même
les conditions dans lesquelles ses nationaux (...) satisferont à leur
obligation de service militaire ».259
Le double national éprouve, par
conséquent, une difficulté de concilier ces obligations
incompatibles car il est possible que l'un et l'autre Etat dont il a la
nationalité en exigent l'exécution durant la même
période.260
Le problème que nous soulignons ici est
évident. Si la constitution burundaise en vigueur dispose, en son
article 7, alinéa 1er que « Tous les citoyens sont tenus
de s'acquitter de leurs obligations civiques et de défendre la patrie
», cette dernière disposition crée une situation
embarrassante au préjudice d'un binational car, indubitablement, en
accomplissant son obligation à l'égard du Burundi, ce dernier y
aura manqué à l'égard d'un autre Etat dont il
est
257 En ce sens, voy. L. DELBEZ, op. cit., p.
194
258 Ibid.
259 Ibid.
260 En ce sens, voy. F. RIGAUX, Droit international
privé, T. I, Théorie générale, Larcier,
Bruxelles, 1977, p.
68
également le national et qui lui impose, aussi
une obligation de ce genre. Or, le manquement aux obligations résultant
de la nationalité peut être sanctionné dans certaines
conditions par la perte de celle-ci.261 Ceci est d'autant plus vrai
qu'en agissant en faveur d'un seul des deux Etats, l'intéressé
aura manqué à son devoir de fidélité, du moins si
les deux Etats sont en guerre.
B. La mise en Suvre du devoir de
fidélité
Le devoir de fidélité est
étroitement lié à l'obligation militaire et sa mise en
oeuvre se trouve être un autre problème juridique découlant
de la double nationalité. Cette situation peut créer des conflits
de devoirs,262 entraînant ainsi pour le binational le
problème de « respect du devoir de fidélité que
chacun des Etats est en droit d'attendre de ses sujets »263 au
cas où une guerre serait déclarée entre les deux Etats.
L'intéressé se trouve ainsi devant un dilemme : défendre
l'Etat B et se comporter en ennemi de l'Etat A et vice-versa.
La conséquence de la situation est
évidente. Il est hors de toute discussion que pareille situation fasse
peser sur l'intéressé la lourde punition de la
déchéance de la nationalité et c'est là la position
du droit français. C'est ainsi que l'article 25, 4o du code civil
français prévoit une cause de déchéance
fondée sur le défaut de loyalisme : le fait de s'être
« livré au profit d'un Etat étranger à des actes
incompatibles avec la qualité de Français et
préjudiciables aux intérêts de la France
».264
En droit burundais, « le double national ne peut
se prévaloir de sa qualité d'étranger au Burundi pour se
soustraire à l'exécution des obligations civiques
».265 L'interprétation de cette disposition nous
mène à la conclusion que le binational qui y contrevient s'expose
à des sanctions, notamment la perte de la nationalité
burundaise.
261 D. GUTMANN, op. cit., p. 244
262 R. RANJEVA et C. CADOUX, op. cit., p.
122
263 F. RIGAUX, op. cit., p. 159
264 P. MAYER et V. HEUZE, op. cit., p.
668
265 Art. 26 du Cod. Nat., in
B.O.B.n°8bis/2000
69
L'intéressé court ainsi le risque de se
voir retirer la qualité de national au cas où, embarrassé
par la situation, il s'abstient d'accomplir ses obligations militaires dans les
deux pays dont il a la nationalité, pouvant de cette manière
devenir apatride et perdant, par la même occasion, tout droit à la
protection diplomatique dont l'exercice pose, par ailleurs également,
problème en cas de double nationalité.
§2. Problème d'exercice de la protection
diplomatique
Si la double nationalité entraîne tant de
difficultés, c'est surtout dans l'exercice de la protection diplomatique
que le problème apparaît puisque cet exercice n'est ouvert
qu'à l'Etat national de la victime supposée d'un agissement
illicite de l'Etat défendeur.
Il est question de déterminer la qualité
pour introduire la réclamation. La question est aisément
résolue dans les rapports entre l'un des Etats nationaux et un Etat aux
yeux de qui la victime est de toute façon étrangère :
celui-ci ne peut opposer à la réclamation d'un Etat qui la
considère comme son ressortissant une irrecevabilité tirée
de ce qu'elle aurait également la nationalité d'un
autre.266
La question devient plus embarrassante lorsque
changent les interlocuteurs dans l'affaire, plus précisément dans
l'hypothèse d'une protection exercée par l'un des Etats nationaux
contre l'autre. La pratique internationale n'y apporte pas de réponse
uniforme.267
Les difficultés attachées à la
double nationalité ne s'arrêtent pas là. La matière
d'état et de capacité des personnes n'est pas
épargnée par les problèmes juridiques découlant de
la double nationalité.
266 J. COMBACAU et S. SUR, op. cit., p.
334
267 Voy. Infra, p. 72 et p. 84 ; aussi, Comparez
J. VERHOEVEN, op. cit., p. 637 et D. CARREAU, Droit
international, 5e éd., Pedone, Paris, 1997, p.
448
70
§3. La double nationalité et les questions
d'état et de capacité des personnes
Nous avons déjà souligné que la
nationalité peut être un critère de rattachement lorsque
l'on a besoin de déterminer la loi applicable en cas de conflit de lois.
Si la question paraît facilement soluble en ce domaine lorsqu'il s'agit
d'une nationalité « simple », la réalité est
tout autre en cas de binationalité, quand il est question de
déterminer laquelle, entre deux lois nationales, est susceptible de
s'appliquer. La compétence de la loi nationale se heurte en tout domaine
et plus précisément dans celui de l'état et de la
capacité des personnes aux cas de double
nationalité.268
L'autorité saisie est à ce moment
embarrassée par la question de savoir laquelle des deux lois nationales
il lui est loisible de choisir afin de l'appliquer au cas concret posé.
Deux principes, celui de la primauté de la nationalité du for et
celui de l'effectivité de la nationalité, sont susceptibles de
contribuer à la résolution du problème quand bien
même les solutions sont loin de recueillir
l'unanimité.
Toutes les difficultés découlant de la
double nationalité que nous venons de relever exigent que des solutions
leur soient apportées.
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