c. La répression des free parties...
Jusqu'à ce moment-là, on ne pouvait pas encore
noter de confrontation directe entre les forces de police ou de gendarmerie et
les teufeurs, cela va vite changer. Une période nouvelle arrive,
marquée par la LSQ, durant laquelle n'importe quel type de regroupement
techno est aussitôt soumis à l'illégalité. Bien que
comparées aux mesures prisent dans le même contexte par la Grande
Bretagne les dispositions légales adoptées en France ne semblent
pas aussi prohibitionnistes, elles ne sont en réalité pas moins
dangereuses pour les amateurs de free. Nombre de leviers sont à la
disposition des autorités souhaitant mettre fin à une
soirée, et celui faisant le plus de ravages permet aux gendarmes la
saisie des « caissons » (sorte de grosses enceintes) ainsi que de
tout le matériel nécessaire à la diffusion de la musique.
Ce nouveau risque touche directement le capital économique du mouvement,
débouchant sur des effets dévastateurs.
La conséquence directe de la LSQ est de rendre
systématique l'interruption de la soirée en cours par les
autorités. Alors qu'avant, les force de l'ordre ne pouvaient que laisser
libre court à la soirée et seulement négocier un
arrêt de la musique aux premières lueurs du jours, elles ciblent
désormais le centre de la fête et font saisir, ou au moins
interrompre le son. Cette technique est dans les faits on ne peut plus efficace
tout simplement car privés de ce pourquoi les participants sont venus,
c'est-à-dire de la musique, ils n'ont alors plus de raison de rester et
quittent donc les lieux assez rapidement.
Seulement, ces arrêts brusques sont en
réalité assez dangereux pour les participants. En effet, pour les
consommateurs de produits stupéfiants, Lionel Pourteau précise
que cette fin précipitée de la fête peut donner lieu
à des bad trips puisque cela ne permet pas une
évacuation normale de la drogue par l'organisme, qui est habituellement
lente et progressive44. En plus de ces potentiels bad trips, il y a
bien entendu la dangerosité de faire reprendre la route à ces
teufeurs sous l'effet de psychotropes ou de l'alcool tard dans la nuit
là où le corps cherche d'habitude le sommeil,
43 Pourteau L. (2012), Techno, une subculture en marge
2, Paris, ed. CNRS Editions, p. 81
44 Pourteau L. (2012), Techno, une subculture en marge
2, Paris, ed. CNRS Editions, p. 85
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sommés par les autorités de quitter
l'évènement. Bien entendu, si les forces de l'ordre constatent un
état bien trop élevé d'ébriété ou de
défonce ils demandent aux personnes concernées de se reposer dans
leur voiture. Cependant ces décisions sont prises au cas par cas
relevant de l'appréciation des autorités présentes. De
plus, les barrages routiers ne couvrent souvent pas toutes les sorties et
nombre de participants arrivent à quitter la free dans un état
totalement inadapté à la conduite.
Ces répressions, évidemment jamais
effectuées dans la joie et la bonne humeur que ce soit pour les
autorités ou les technophiles, ne sont pourtant que très rarement
violentes. Malheureusement, quelques évènements font faire parler
d'eux et contribuer à l'abandon ou la radicalisation de bons nombres de
teufeurs.
Connu pour être à l'origine de pas moins d'une
quarantaine de free parties entre 96 et 99, Voodoo'Z Cyrkle, un collectif du
Sud-Ouest, s'offre un certain prestige au sein du mouvement. D'autant plus
qu'il est connu pour privilégier l'aspect musical au détriment de
la consommation de drogues, proscrite. Avec un quota de presque une free par
mois, il fait tourner la tête des gendarmes locaux qui décident un
beau jour de mettre définitivement fin à leurs rassemblements.
Après 8 mois d'enquêtes mais aussi d'infiltrations, menées
par une unité de 6 hommes, les domiciles des membres de ce collectif
sont perquisitionnés par la police et pas moins de 11 personnes sont
interpellées. Ils sont notamment accusés de délit
d'agression sonore, d'infraction à la SACEM, de travail
dissimulé, d'usage et détention de stupéfiants (trop peu
pour être destinés à de la revente) ainsi que
d'exploitation de débit de boisson sans autorisations. Même si
finalement le chef d'accusation d'infraction à la SACEM n'est pas retenu
(en effet, la musique de rave étant très souvent
improvisée en live et donc non couverte de droit d'auteur) ces membres
écopent de 10000 francs d'amende chacun, en comprenant 5000 avec sursis,
mais sont également interdit de présence dans n'importe quel
évènement de type rave ayant l'obligation de se présenter
au commissariat tous les dimanche matin. Au sein du mouvement techno cette
nouvelle se répand comme une trainée de poudre et devient dans
les représentations free l'image type de la répression aveugle de
l'Etat. Ces conséquences poussent les organisateurs à redoubler
d'effort pour trouver des lieux de regroupement suffisamment dissimulés
pour ne pas entrainer leur découverte et donc l'intervention des
autorités. Ces recherches vont cependant parfois un peu trop loin,
à l'instar de Ben Lagren qui se verra écoper de 191 000€
d'amende pour la tenue d'une free party dans une grotte sans avoir pris en
compte les risques d'éboulements ou
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d'intoxications au monoxyde de carbone45. D'autres
évènements notoires vont également servir à la mise
en récit et à la diffusion d'une histoire commune de la
répression. Ces derniers serviront de base tangible dans les discours
des organisateurs, se définissants comme les victimes de ce conflit.
Pour les organisateurs, c'est donc avec la boule au ventre
qu'ils organisent leurs soirées, jamais à l'abri des effets
dévastateurs de la LSQ et de se voir saisir tout leur matériel
sonore, ce qui aura un effet considérable sur l'enthousiasme
général en comparaison aux débuts du mouvement. Si ces
saisies sont les plus grosses craintes lors de ces évènements,
c'est parce le matériel en question constitue l'essentiel du patrimoine
des sound systems, que ce soit économiquement parlant (il y a pour
plusieurs milliers d'euros de matériel) ou culturellement parlant, la
musique étant la base du mouvement. Il faut savoir que pour que ces
mesures aient un réel effet, le matériel saisi n'est quasiment
jamais rendu, ou alors gardé suffisamment longtemps pour faire retenir
la leçon. Représentant une arme économique redoutable, due
aux coûts plus qu'onéreux du matériel et à la
difficulté d'en racheter, ces actes de répression mettent bien
souvent un terme définitif à l'activité des sound systems
concernés ainsi qu'à leurs existences même en tant que
groupe social.
Déjà loin d'être évidentes, ce ne
sont pas ces nouvelles méthodes d'intervention qui vont faciliter les
actions des forces de l'ordre, toujours largement dépassées en
nombre et provoquant lors de leur arrivée non désirée au
coeur de la fête une certaine tension de la part des teufeurs. Existant
à l'origine un certain rejet réciproque entre ces deux groupes
sociaux, les négociations déjà compliquées et peu
courtoises avant la création de la LSQ, elles s'effectuent maintenant
dans un contexte d'animosité accrue.
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