B. Des conséquences désastreuses
Le recours excessif à la détention
préventive est la première cause de la surpopulation
carcérale au Togo. Malgré la libération par grâce
présidentielle de 454 détenus condamnés sur toute
l'étendue du territoire le 8 janvier 2019, le taux d'occupation
générale des 13 prisons et de la brigade pour mineurs
était de 173% en mars 201984. Le
82 HCDH-TOGO, Rapport sur le respect et la mise
en oeuvre des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dans
l'administration de la justice au Togo, Décembre 2013, p. 26
83 Ibidem, p. 27
84 Statistiques de DAPR de mars 2019
23
comble est de constater que ce sont les
prévenus85 qui forment le gros de l'effectif, soit 3179
prévenus contre 2076 condamnés86. En janvier
202087, sur 5341 détenus, 3431 étaient
incarcérés à titre préventif soit plus de 64% de la
population carcérale. Le taux d'occupation général des 13
prisons et de la brigade pour mineurs de Lomé était de 185% eu
égard aux capacités d'accueil. À cette même
période, la prison civile de Tsévié affichait le taux de
surpopulation le plus élevé du Togo, soit 609% de la
capacité d'accueil. Déjà en 2012, le rapport
d'évaluation de la république togolaise dans le cadre du projet
« Atlas de la torture » mentionnait que « le taux moyen des
prisonniers en détention provisoire, comparé aux prisonniers
condamnés, s'élève à 80%. Ce chiffre place le Togo
au quatrième rang mondial parmi les pays ayant les taux de
détentions préventives les plus élevés par rapport
à l'ensemble de la population carcérale88 ».
Lors de sa visite au Togo en 2014, le SPT a, pour sa part,
considéré « qu'un tel taux de surpopulation
équivaut à un traitement cruel, inhumain ou dégradant,
voire à une forme de torture lorsqu'il se prolonge et qu'il se conjugue
avec une absence de conditions matérielles minimums acceptables, au vu
et au su des autorités étatiques89. »
Limiter le recours à la détention
préventive permettrait de lutter contre la surpopulation
carcérale. Il faut reconnaitre que c'est le recours excessif à la
détention préventive qui sape les efforts de
désengorgement. Plusieurs décrets de grâce
présidentielle sont intervenus au fil des années pour lutter
contre la surpopulation mais la situation peine à s'améliorer.
L'une des raisons est que la grâce présidentielle ne profite
qu'aux personnes jugées et condamnées à une peine
d'incarcération. Elle « ...n'est applicable qu'aux
condamnations devenues définitives90 ». En
choisissant de recourir avec modération au placement sous mandat de
dépôt, le système judiciaire contribuerait également
à l'amélioration des conditions de détention. En effet, la
détérioration des conditions de
85 Le terme « Prévenu »
désigne ici, les simples prévenus sur mandat de
dépôt du procureur de la république et les inculpés
en plus des accusés ; toute personne incarcérée sur mandat
judiciaire avant jugement.
86 Il n'a pas été pris en compte la
catégorie des mineurs et des étrangers, les statistiques
n'offrant pas plus de détails.
87 Selon les statistiques de la DAPR
88 Atlas de la torture, rapport
d'évaluation-République Togolaise, août 2012, p. 28
89 Rapport du SPT, Visite au Togo menée
du 1er au 10 décembre 2014 : observations et recommandations
adressées à l'État partie, par. 30, p. 8
90 Article 517 CPPT
24
détention est en partie due à la surpopulation
des infrastructures carcérales. En son temps, la construction de la
nouvelle prison civile de Kpalimé alimentait de grands espoirs quant
à la décongestion des prisons. Elle a été ouverte
le 21 septembre 2016 mais elle est déjà surpeuplée, soit
237% de sa capacité d'accueil91. Un projet de construction
d'une nouvelle prison serait à l'étude dans les environs de
Lomé selon une annonce faite par le ministre de la justice le 07 avril
202092.
Une autre conséquence du recours excessif à la
détention préventive est la lenteur judiciaire. Selon le rapport
final de la CVJR, la surpopulation carcérale est liée à
« la lenteur de la justice, au non-respect des règles et
délais de procédure, spécifiquement la procédure
pénale où la liberté des individus est pourtant en jeu,
les difficultés d'accès à la justice, le caractère
onéreux des procédures et l'absence d'aide juridictionnelle au
profit des plus démunis, la corruption, etc. »93.
La lenteur judiciaire s'observe devant les juridictions de jugement et
également dans les cabinets d'instruction. Il n'est pas rare qu'un juge
d'instruction se retrouve avec une centaine de dossiers à sa charge. Le
respect du délai raisonnable en prend forcément un coup. Cette
situation fait que des personnes restent en incarcération pendant de
longues périodes. Pendant qu'ils y sont, l'usage sans modération
du placement en détention préventive continue de remplir les
prisons. Inversement, on peut observer que le recours abusif au placement en
détention a pour conséquence d'engluer complètement
l'appareil judiciaire. Les dossiers pendants s'accumulent et le manque de
ressources humaines suffisantes pour les apurer dans un délai
raisonnable conduit à laisser perdurer des prévenus en
incarcération.
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