SECTION 2 : Une pratique irrégulière
Le respect des règles établies par la loi est le
seul gage de la consolidation de l'état de droit. Le législateur
togolais a édicté des règes et des principes afin de
pourvoir à la
70 A. MARECHAL, Procédure
pénale, Novelles, Tome 1, Larcier, 1946, p. 445
71 Art 149 du code de procédure pénale
béninois, art 144 du code de procédure pénale
français
72 Art 144 du code de procédure pénale
français
20
protection du droit à la liberté des personnes
poursuivies et de prévenir les placements abusifs en détention
préventive. Cependant, certaines imprécisions dans le cadre
normatif fragilisent cette protection. Cette situation singulière qu'est
celle des personnes poursuivies, est empirée n pratique par le
non-respect des principes cardinaux sus-énoncés. En pratique, le
placement en détention préventive est objet d'un recours excessif
(Paragraphe 1) et les atteintes à la présomption d'innocence sont
récurrentes (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le recours excessif à la
détention préventive
Dans la pratique les magistrats font un usage excessif du
mandat de dépôt. L'ancien Inspecteur général des
services juridictionnels et pénitentiaires73 affirmait dans
une interview qu'il y a « parfois peu de pertinence dans la
délivrance des mandats de dépôt par certains
magistrats74 ». Des causes peuvent être
identifiées pour tenter d'expliquer ce recours excessif (A) à la
détention préventive, aux conséquences désastreuses
(B).
A. Des causes identifiables
Plusieurs raisons sont avancées pour tenter de
justifier le taux excessivement élevé de détenus
préventifs au Togo. Elles peuvent se résumer en trois
considérations. La première est celle selon laquelle le nombre
élevé des détenus préventifs est dû à
une « augmentation exponentielle de la
criminalité75 ». En effet, une analyse
révèle que le nombre de détenus a augmenté de 3 728
en 2012 à un effectif de 5 232 en juillet 201976. Cette
hausse des effectifs peut effectivement traduire une hausse de la
criminalité. L'activité régalienne de l'arsenal
pénal serait la cause du nombre élevé de détenus
qui est observé dans les prisons au Togo.
La seconde considération, voit en l'explosion du taux
de prévenus au Togo, l'expression d'une politique criminelle trop
répressive. C'est en substance la pensée de l'expert et
73 Kokouvi Pius AGBETOMEY
74 Reflets du Palais, N°3, 20 août 2013, p.
5
75Cette raison a été avancée par
le directeur de l'administration pénitentiaire et de la
réinsertion lors du passage du Togo devant le CAT en juillet 2019
(précisément le 29 juillet 2019)
76 Chiffres donnés par le directeur de
l'administration pénitentiaire lors du passage du Togo devant le CAT en
juillet 2019
21
rapporteur du comité contre la torture Sébastien
TOUZE selon qui « plus la politique pénale est
répressive et plus les prisons se remplissent. De la même
manière, plus les prisons se remplissent et plus les moyens de les
désengorger disparaissent parce que très souvent les personnes se
trouvent en attente de jugement77 ». Le législateur
togolais pourrait répondre en procédant, par exemple, à la
dépénalisation des infractions mineures. Rappelons que pour
l'accélération de la réforme pénale et
pénitentiaire en Afrique, la commission africaine des droits de l'Homme
avait adopté en septembre 2002 la « déclaration et plan
d'action de Ouagadougou ». Cette résolution appelait les
États parties à la Charte africaine, dont le Togo, à
requalifier et à dépénaliser les infractions mineures
comme « l'oisiveté, le vagabondage, la prostitution, le non
remboursement de dettes, la désobéissance aux
parents78 ». Cette stratégie vise à
réduire le surpeuplement des prisons. Il faut également relever
que la lenteur judiciaire et le non-respect des délais de
procédures observés en pratique concourt à
l'incarcération des suspects pendant de longues périodes. Ce fait
est en partie dû au nombre insuffisant de magistrats au Togo, surtout
lorsque l'on se réfère au nombre insuffisant de juges
instructeurs. Il peut arriver que des juges d'instruction aient « plus
de 500 dossiers à sa charge »79. Un exemple de
l'ampleur de la lenteur judiciaire nous est donné par le diagnostic
effectué en 2013 sur la cour suprême qui a
révélé l'existence de près de 1500 dossiers encore
pendants, couvrant la période allant de 1985 à 201380.
L'essentiel de ces dossiers concernaient des litiges fonciers et
commerciaux.
La troisième considération est celle selon
laquelle le recours excessif à la détention préventive est
dû aux magistrats eux-mêmes. Ils ont pris l'habitude d'y recourir
avec trop de facilité81. En pratique, dans le doute on
incarcère. La présomption d'innocence cède à une
présomption de culpabilité. Il est par ailleurs, reproché
aux juges d'instruction de prendre des ordonnances de placement en
détention préventive avec
77 Los du passage du Togo devant le CAT en juillet
2019 (précisément
78 Déclaration et plan d'action, commission
africaine des droits de l'Homme, Septembre 2002, p. 4
79 Chiffres donnés par le directeur de
l'administration pénitentiaire lors du passage du Togo devant le CAT en
juillet 2019
80 Chiffres donnés par le président
de la cour suprême dans son discours de lancement du projet d'apurement
des dossiers en souffrances à la cour suprême du Togo le 23
janvier 2019
81 F. LAROCHE, Les mesures de détention
avant jugement au Canada et en France, UNIVERSITÉ DE LAVAL, Canada,
2016, p. 29
22
pour intention de forcer le suspect à faire des aveux
ou à livrer des informations. En ce sens, le Haut-Commissariat des
Nations unies aux droits de l'Homme au Togo publiait dans un rapport «
le mandat de dépôt devient parfois un moyen de pression sur
les justiciables pour régler certains litiges pour lesquels d'autres
procédures sans placement sous mandat de dépôt sont
parfaitement adaptées »82. Plus loin, il
relève également que dans les tribunaux de Sotouboua et de Bafilo
par exemple, « certains magistrats placent à nouveau sous
mandat de dépôt des auteurs d'accident de la circulation qui ne
présentent aucun danger ou risque de fuite ou de non
représentation »83.
Conscient de la problématique, des efforts sont fournis
au niveau national afin de juguler la hausse du nombre des prévenus et
de le diminuer progressivement. En ce sens, la CNDH organisait le 26 mai 2017,
un atelier sur « la réduction de l'usage excessif de la
détention provisoire dans les lieux de détention ». Cet
atelier auquel ont pris part plusieurs acteurs de la chaine pénale ainsi
que des organisations de la société civile, a servi de cadre pour
le renforcement des capacités des différents acteurs afin de
lutter contre le recours excessif à la détention
préventive. Au niveau international également, la situation des
prévenus est préoccupante. Le 25 avril 2018, l'Afrique a
célébré pour la première fois « la
journée africaine de la détention préventive ».
Cette date a été choisie par le RINADH pour sensibiliser tous les
acteurs sur la situation des personnes en situation de détention sur des
périodes prolongées sans procès.
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