A. La notion de détention préventive
injustifiée
En entame, il est opportun de relever la nuance
sémantique entre les adjectifs « arbitraire » et «
injustifiée » qui peuvent qualifier la détention
préventive. La détention préventive est dite «
arbitraire » lorsque l'arrestation et la privation de liberté se
sont effectuées dans le non-respect du droit national, notamment le
non-respect des délais
62
maximums de la détention préventive tels que
prescrits par la loi. Par contre, la détention préventive est
considérée comme « injustifiée » soit, lorsque
l'instruction aboutit à une ordonnance de non-lieu du juge d'instruction
ou soit, lorsqu'en phase de jugement, une décision de relaxe ou
d'acquittement est rendue. En toute rigueur de terme, la justice commet une
« errance judiciaire190» dans le cas d'espèce. Une
détention préventive peut à terme s'avérer
injustifiée, si le prévenu est innocenté par suite de la
procédure et simultanément arbitraire, si le prévenu avait
été détenu au-delà du délai maximum prescrit
par la loi. La consécration du principe de la présomption
d'innocence est le fondement du principe d'exception de la détention
préventive prévue à l'article 112 CPPT. Le recours
à la détention préventive doit être de dernier
recours et se justifier par les strictes nécessités de
l'enquête en cours. Le placement en détention préventive
porte des atteintes graves aux libertés individuelles et a un impact
irréversible sur la vie du prévenu. Toutefois, l'histoire de la
justice a démontré que l'appareil judiciaire pouvait se tromper,
« Errare humanum est191 ». La détention
devient injuste et cruelle lorsque la victime se voit innocentée en
cours de procédure ou par décision d'un jugement. Il est alors
impératif de réparer le préjudice subi par les personnes
injustement détenues, de réparer « l'irréparable
». Nul ne peut contester l'impact irréversible que
l'incarcération a sur la vie d'un individu. Aussi, il est obligatoire de
réparer le préjudice subi par les personnes injustement
détenues au cours d'une procédure judiciaire terminée.
Il faut relever qu'il existe des hypothèses dans
lesquelles la réparation du préjudice subi par la
détention préventive injustifiée est exclue. La
législation française retient exceptionnellement
cinq192 cas d'exclusion de la réparation. Il s'agit d'abord
de l'hypothèse où la décision de non-lieu, de relaxe ou
d'acquittement fait suite à la reconnaissance de
l'irresponsabilité du prévenu. Dans ce cas-ci, la preuve est
apportée que la personne est auteur de l'infraction mais ce n'est qu'en
raison de la défaillance de son état mental au moment de la
commission de l'infraction que l'abandon des
190 Et non une erreur judiciaire, voir A. MOKTAR, Les
erreurs judiciaires en matière criminelle : contribution à une
réforme de la justice criminelle au Bénin et en France,
UNIVERSITÉ DE BOURGOGNE, France, 2009, p. 15
191 L'erreur est humaine
192 Art 149 CPPF
63
poursuites est prononcé. La détention
préventive effectuée dans ces conditions ne peut donner droit
à une réparation. La seconde hypothèse est celle où
la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement se fonde sur une
mesure d'amnistie. L'amnistie est définie comme « mesure qui
ôte rétroactivement à certains faits commis à une
période déterminée leur caractère délictueux
193». Il faut préciser que dans ce cas-ci, la
réparation n'est exclue que si la mesure d'amnistie est
postérieure à la mise en détention. En effet, il y a droit
à la réparation si la personne a été mise en
détention préventive malgré l'existence d'une mesure
d'amnistie antérieure. La jurisprudence française a en outre
retenu qu'il pouvait y avoir réparation si une amnistie intervient
postérieurement à la mise en détention préventive
mais que la remise en liberté de la personne n'est pas
décidée dans un délai raisonnable194.
La troisième hypothèse concerne ceux qui ont
bénéficié de la prescription de l'action publique
intervenue après la libération de la personne. Dans ce cas-ci,
les faits reprochés sont devenus trop anciens pour être finalement
poursuivis. La quatrième hypothèse concerne ceux qui
étaient déjà détenus pour une autre cause. Dans ce
cas-ci, la personne est en détention préventive pour une cause A,
elle est ensuite inculpée pour une cause B. Si elle est
innocentée par la suite pour la cause B, elle n'est pas fondée
à en demander la réparation de la détention
préventive injustifiée. La dernière hypothèse est
celle où la victime s'est librement et volontairement accusé ou
laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur
des faits aux poursuites. Dans ce cas-ci, une précision s'impose. Dans
le cas où la personne s'est accusée à tort sous menaces du
véritable auteur, il aura droit à réparation. Hormis ces
exceptions prévues à l'article 149 du code de procédure
pénale français, toute victime d'une détention
préventive injustifiée doit être éligible à
la réparation du préjudice qu'il a subi. La réparation
doit être holistique et permettre de « soutenir l'esprit abattu
» de la victime.
193 G. CORNU, vocabulaire juridique, ibidem, p. 63
194 Sur le fondement du l'alinéa 1 de l'article L.
781-1 du code de l'organisation judiciaire en France « L'État
est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement
défectueux du service de la justice. Cette responsabilité n'est
engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.
»
64
B. La non-prise en compte de la réparation de la
détention injustifiée
Le droit positif togolais ne prend pas en compte la
réparation de la détention préventive injustifiée
par une action pénale. L'actuel code de procédure pénale
en vigueur depuis 1983, ignore toute hypothèse de réparation de
la détention préventive soldée par une ordonnance de
non-lieu, une décision de relaxe ou d'acquittement. Ce vide juridique
constitue sans nul doute le défi majeur du régime de la
détention préventive en droit positif togolais : réparer
la détention injustifiée. En effet, la réparation
intégrale est « le stade ultime de tout processus de
responsabilité195. ». En l'état actuel du
droit togolais, le seul recours en réparation du préjudice subi
au cours d'une détention préventive injustifiée est
fondé sur l'action civile en réparation de l'article 1382 du code
civil français196 « Tout fait quelconque de l'homme,
qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est
arrivé, à le réparer ». Cet article pose le
principe de la responsabilité en matière civile
délictuelle.
C'est ainsi que, dans une décision en date du 22 avril
2016197, le tribunal de première instance de première
classe de Lomé a réaffirmé le principe de la
réparation fondé sur la responsabilité de l'État du
fait de ces agents. Dans le cas d'espèce, le sieur Y.M avait
été arrêté le 26 octobre 2003 par la police
nationale sur poursuite du ministère public pour complicité dans
une affaire de tentative d'assassinat. Il a effectué 78 jours de garde
à vue avant son déferrement à la prison civile de
Lomé. Il sera reconnu non coupable quatre ans plus tard, acquitté
par l'arrêt N°01 du 05 mars 2007 de la cour d'assise de Lomé.
Il apparait à l'évidence que le sieur Y.M avait été
simultanément victime de détention arbitraire et de
détention injustifiée. « Brisé »,
« Désocialisé » et « dépressif
», le sieur Y.M troublé dans son innocence par le zèle
insidieux et l'omnipotence de son accusateur, a réclamé
conformément à l'article 1382 et suivants du code civil la
réparation des divers préjudices matériels, moraux,
financiers, etc. subis devant le tribunal de Lomé.
195 Th. IVAINER, le pouvoir souverain du juge dans
l'appréciation des indemnités réparatrices, D. 1972,
Chr.7.
196 Nouveau 1240 du code civil français depuis le
1er Octobre 2016
197 Jugement N°1077
65
Dans cette affaire, il s'est d'abord posé la question
de la compétence des juridictions civiles pour connaitre de l'action en
réparation de la détention préventive injustifiée.
Le conseil représentant l'État à ce litige avait
soulevé in limine litis, l'incompétence du tribunal de
Lomé pour connaitre de cette action. Il soutenait, sur fond de la
jurisprudence de l'arrêt Blanco198 que « ...la
responsabilité, qui peut incomber à l'État, pour les
dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploi
dans le service public, ne peut être réglé par les
principes qui sont établis dans le code civil, pour des rapports de
particulier à particulier ... ». La chambre administrative de
la cour d'appel était donc la seule compétente pour connaitre de
ce litige. Cette thèse a été réfutée par les
conclusions en réplique du conseil du sieur Y.M qui ont invoqué
la jurisprudence du tribunal de Conflits depuis 1952. En effet, dès
1952, le tribunal de conflits français a posé deux
critères essentiels pour l'attribution de compétence s'agissant
des litiges relevant du service de la justice199. Il distingue selon
que le litige ressort de l'organisation même du service public de la
justice ou selon que le litige ressort de l'exercice de la fonction
juridictionnelle. Dans le premier cas, le tribunal administratif était
seul compétent tandis que dans le second cas les tribunaux judiciaires
étaient compétents. Cette approche est réaffirmée
par une autre décision du tribunal de conflits
français200. Fort de ce principe, le tribunal de
Lomé s'est déclaré compétent pour connaitre de
l'action en réparation de la détention préventive
injustifiée du sieur Y.M. La requête sollicitait la
réparation des divers préjudices subis tels que la privation de
liberté injustifiée et la détention arbitraire, la perte
de l'emploi, les dommages et difficultés d'insertion sociale et le
préjudice moral subis. Sur ces différents motifs, le tribunal de
première instance de Lomé a condamné l'Etat togolais
à payer un montant de 100.000.000 FCFA au sieur Y.M au titre de tous
préjudices confondus. Le tribunal a ordonné l'exécution
provisoire de cette décision, nonobstant toutes voies de
recours201. L'action en réparation dans la procédure
actuelle connait la même procédure qu'une
198 TC, 08 février 1873, 1er supplt-Rec. Lebon
P.61
199 TC, 27 novembre 1952, Préfet de la Guyane, GAJA,
D.1996, N°82)
200 TC, 02 juillet 1979, N°02134, p. 573 « les
actes intervenus au cours d'une procédure judiciaire ou se rattachant
directement à celle-ci ne peuvent être appréciés,
soit en eux-mêmes, soit dans leurs conséquences, que par
l'autorité judiciaire »
201 Le jugement a fait l'objet d'un appel. En outre, le
conseil représentant l'État à ce litige a demandé
le sursis de l'exécution provisoire de la décision. Selon les
dernières informations en date du 09 juin 2020, l'affaire reste pendante
devant la cour d'appel de Lomé
66
action ordinaire en réparation délictuelle de
droit commun. Cette situation ne témoigne pas d'une conscience de la
gravité de la problématique.
Paragraphe 2 : La nécessité de la mise en
place d'un cadre national de la réparation de la détention
préventive injustifiée
Il est important que le régime de la détention
préventive en droit positif togolais prévoie une
réparation de la détention injustifiée. Cette
réparation devrait être intégrale et obligatoire toutes les
fois où elle est possible. C'est en cela que la protection du droit
à la liberté sera renforcée. Il semble à l'analyse
que le législateur togolais accorde peu d'intérêt au sort
du prévenu après sa libération par suite d'une
détention préventive injustifiée202. La mise en
oeuvre d'un régime de réparation pénale de la
détention injustifiée est indispensable. Il sera abordé
successivement la nécessité d'une réparation
intégrale du préjudice subi (A) et la mise en oeuvre d'un
régime de réparation pénale de la détention
préventive injustifiée (B).
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