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La protection du droit à la liberté à l'épreuve de la détention préventive en droit positif togolais


par P. Roger KPAKOU
Université de Parakou - Master en droit pénal et sciences criminelles 2020
  

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A. La notion de détention préventive injustifiée

En entame, il est opportun de relever la nuance sémantique entre les adjectifs « arbitraire » et « injustifiée » qui peuvent qualifier la détention préventive. La détention préventive est dite « arbitraire » lorsque l'arrestation et la privation de liberté se sont effectuées dans le non-respect du droit national, notamment le non-respect des délais

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maximums de la détention préventive tels que prescrits par la loi. Par contre, la détention préventive est considérée comme « injustifiée » soit, lorsque l'instruction aboutit à une ordonnance de non-lieu du juge d'instruction ou soit, lorsqu'en phase de jugement, une décision de relaxe ou d'acquittement est rendue. En toute rigueur de terme, la justice commet une « errance judiciaire190» dans le cas d'espèce. Une détention préventive peut à terme s'avérer injustifiée, si le prévenu est innocenté par suite de la procédure et simultanément arbitraire, si le prévenu avait été détenu au-delà du délai maximum prescrit par la loi. La consécration du principe de la présomption d'innocence est le fondement du principe d'exception de la détention préventive prévue à l'article 112 CPPT. Le recours à la détention préventive doit être de dernier recours et se justifier par les strictes nécessités de l'enquête en cours. Le placement en détention préventive porte des atteintes graves aux libertés individuelles et a un impact irréversible sur la vie du prévenu. Toutefois, l'histoire de la justice a démontré que l'appareil judiciaire pouvait se tromper, « Errare humanum est191 ». La détention devient injuste et cruelle lorsque la victime se voit innocentée en cours de procédure ou par décision d'un jugement. Il est alors impératif de réparer le préjudice subi par les personnes injustement détenues, de réparer « l'irréparable ». Nul ne peut contester l'impact irréversible que l'incarcération a sur la vie d'un individu. Aussi, il est obligatoire de réparer le préjudice subi par les personnes injustement détenues au cours d'une procédure judiciaire terminée.

Il faut relever qu'il existe des hypothèses dans lesquelles la réparation du préjudice subi par la détention préventive injustifiée est exclue. La législation française retient exceptionnellement cinq192 cas d'exclusion de la réparation. Il s'agit d'abord de l'hypothèse où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement fait suite à la reconnaissance de l'irresponsabilité du prévenu. Dans ce cas-ci, la preuve est apportée que la personne est auteur de l'infraction mais ce n'est qu'en raison de la défaillance de son état mental au moment de la commission de l'infraction que l'abandon des

190 Et non une erreur judiciaire, voir A. MOKTAR, Les erreurs judiciaires en matière criminelle : contribution à une réforme de la justice criminelle au Bénin et en France, UNIVERSITÉ DE BOURGOGNE, France, 2009, p. 15

191 L'erreur est humaine

192 Art 149 CPPF

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poursuites est prononcé. La détention préventive effectuée dans ces conditions ne peut donner droit à une réparation. La seconde hypothèse est celle où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement se fonde sur une mesure d'amnistie. L'amnistie est définie comme « mesure qui ôte rétroactivement à certains faits commis à une période déterminée leur caractère délictueux 193». Il faut préciser que dans ce cas-ci, la réparation n'est exclue que si la mesure d'amnistie est postérieure à la mise en détention. En effet, il y a droit à la réparation si la personne a été mise en détention préventive malgré l'existence d'une mesure d'amnistie antérieure. La jurisprudence française a en outre retenu qu'il pouvait y avoir réparation si une amnistie intervient postérieurement à la mise en détention préventive mais que la remise en liberté de la personne n'est pas décidée dans un délai raisonnable194.

La troisième hypothèse concerne ceux qui ont bénéficié de la prescription de l'action publique intervenue après la libération de la personne. Dans ce cas-ci, les faits reprochés sont devenus trop anciens pour être finalement poursuivis. La quatrième hypothèse concerne ceux qui étaient déjà détenus pour une autre cause. Dans ce cas-ci, la personne est en détention préventive pour une cause A, elle est ensuite inculpée pour une cause B. Si elle est innocentée par la suite pour la cause B, elle n'est pas fondée à en demander la réparation de la détention préventive injustifiée. La dernière hypothèse est celle où la victime s'est librement et volontairement accusé ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites. Dans ce cas-ci, une précision s'impose. Dans le cas où la personne s'est accusée à tort sous menaces du véritable auteur, il aura droit à réparation. Hormis ces exceptions prévues à l'article 149 du code de procédure pénale français, toute victime d'une détention préventive injustifiée doit être éligible à la réparation du préjudice qu'il a subi. La réparation doit être holistique et permettre de « soutenir l'esprit abattu » de la victime.

193 G. CORNU, vocabulaire juridique, ibidem, p. 63

194 Sur le fondement du l'alinéa 1 de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire en France « L'État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. »

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B. La non-prise en compte de la réparation de la détention injustifiée

Le droit positif togolais ne prend pas en compte la réparation de la détention préventive injustifiée par une action pénale. L'actuel code de procédure pénale en vigueur depuis 1983, ignore toute hypothèse de réparation de la détention préventive soldée par une ordonnance de non-lieu, une décision de relaxe ou d'acquittement. Ce vide juridique constitue sans nul doute le défi majeur du régime de la détention préventive en droit positif togolais : réparer la détention injustifiée. En effet, la réparation intégrale est « le stade ultime de tout processus de responsabilité195. ». En l'état actuel du droit togolais, le seul recours en réparation du préjudice subi au cours d'une détention préventive injustifiée est fondé sur l'action civile en réparation de l'article 1382 du code civil français196 « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». Cet article pose le principe de la responsabilité en matière civile délictuelle.

C'est ainsi que, dans une décision en date du 22 avril 2016197, le tribunal de première instance de première classe de Lomé a réaffirmé le principe de la réparation fondé sur la responsabilité de l'État du fait de ces agents. Dans le cas d'espèce, le sieur Y.M avait été arrêté le 26 octobre 2003 par la police nationale sur poursuite du ministère public pour complicité dans une affaire de tentative d'assassinat. Il a effectué 78 jours de garde à vue avant son déferrement à la prison civile de Lomé. Il sera reconnu non coupable quatre ans plus tard, acquitté par l'arrêt N°01 du 05 mars 2007 de la cour d'assise de Lomé. Il apparait à l'évidence que le sieur Y.M avait été simultanément victime de détention arbitraire et de détention injustifiée. « Brisé », « Désocialisé » et « dépressif », le sieur Y.M troublé dans son innocence par le zèle insidieux et l'omnipotence de son accusateur, a réclamé conformément à l'article 1382 et suivants du code civil la réparation des divers préjudices matériels, moraux, financiers, etc. subis devant le tribunal de Lomé.

195 Th. IVAINER, le pouvoir souverain du juge dans l'appréciation des indemnités réparatrices, D. 1972, Chr.7.

196 Nouveau 1240 du code civil français depuis le 1er Octobre 2016

197 Jugement N°1077

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Dans cette affaire, il s'est d'abord posé la question de la compétence des juridictions civiles pour connaitre de l'action en réparation de la détention préventive injustifiée. Le conseil représentant l'État à ce litige avait soulevé in limine litis, l'incompétence du tribunal de Lomé pour connaitre de cette action. Il soutenait, sur fond de la jurisprudence de l'arrêt Blanco198 que « ...la responsabilité, qui peut incomber à l'État, pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploi dans le service public, ne peut être réglé par les principes qui sont établis dans le code civil, pour des rapports de particulier à particulier ... ». La chambre administrative de la cour d'appel était donc la seule compétente pour connaitre de ce litige. Cette thèse a été réfutée par les conclusions en réplique du conseil du sieur Y.M qui ont invoqué la jurisprudence du tribunal de Conflits depuis 1952. En effet, dès 1952, le tribunal de conflits français a posé deux critères essentiels pour l'attribution de compétence s'agissant des litiges relevant du service de la justice199. Il distingue selon que le litige ressort de l'organisation même du service public de la justice ou selon que le litige ressort de l'exercice de la fonction juridictionnelle. Dans le premier cas, le tribunal administratif était seul compétent tandis que dans le second cas les tribunaux judiciaires étaient compétents. Cette approche est réaffirmée par une autre décision du tribunal de conflits français200. Fort de ce principe, le tribunal de Lomé s'est déclaré compétent pour connaitre de l'action en réparation de la détention préventive injustifiée du sieur Y.M. La requête sollicitait la réparation des divers préjudices subis tels que la privation de liberté injustifiée et la détention arbitraire, la perte de l'emploi, les dommages et difficultés d'insertion sociale et le préjudice moral subis. Sur ces différents motifs, le tribunal de première instance de Lomé a condamné l'Etat togolais à payer un montant de 100.000.000 FCFA au sieur Y.M au titre de tous préjudices confondus. Le tribunal a ordonné l'exécution provisoire de cette décision, nonobstant toutes voies de recours201. L'action en réparation dans la procédure actuelle connait la même procédure qu'une

198 TC, 08 février 1873, 1er supplt-Rec. Lebon P.61

199 TC, 27 novembre 1952, Préfet de la Guyane, GAJA, D.1996, N°82)

200 TC, 02 juillet 1979, N°02134, p. 573 « les actes intervenus au cours d'une procédure judiciaire ou se rattachant directement à celle-ci ne peuvent être appréciés, soit en eux-mêmes, soit dans leurs conséquences, que par l'autorité judiciaire »

201 Le jugement a fait l'objet d'un appel. En outre, le conseil représentant l'État à ce litige a demandé le sursis de l'exécution provisoire de la décision. Selon les dernières informations en date du 09 juin 2020, l'affaire reste pendante devant la cour d'appel de Lomé

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action ordinaire en réparation délictuelle de droit commun. Cette situation ne témoigne pas d'une conscience de la gravité de la problématique.

Paragraphe 2 : La nécessité de la mise en place d'un cadre national de la réparation de la détention préventive injustifiée

Il est important que le régime de la détention préventive en droit positif togolais prévoie une réparation de la détention injustifiée. Cette réparation devrait être intégrale et obligatoire toutes les fois où elle est possible. C'est en cela que la protection du droit à la liberté sera renforcée. Il semble à l'analyse que le législateur togolais accorde peu d'intérêt au sort du prévenu après sa libération par suite d'une détention préventive injustifiée202. La mise en oeuvre d'un régime de réparation pénale de la détention injustifiée est indispensable. Il sera abordé successivement la nécessité d'une réparation intégrale du préjudice subi (A) et la mise en oeuvre d'un régime de réparation pénale de la détention préventive injustifiée (B).

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery