UNIVERSITÉ DE PARAKOU
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FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES POLITIQUES
(FDSP) ÉCOLE DOCTORALE SCIENCES JURIDIQUES, POLITIQUES ET
ADMINISTRATIVES (SJPA)
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Master Droit pénal et sciences
criminelles
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Mémoire de Master Recherche
THÈME :
LA PROTECTION DU DROIT A LA LIBERTÉ A
L'ÉPREUVE DE LA DÉTENTION PRÉVENTIVE EN DROIT
POSITIF
TOGOLAIS
Présenté par : Sous la direction de
:
M. KPAKOU Panis Roger Pr. AYEWOUADAN Akodah
Agrégé des facultés de
Droit
Année académique
2019-2020
|
AVERTISSEMENT
|
L'UNIVERSITÉ DE PARAKOU N'ENTEND DONNER
NI APPROBATION NI IMPROBATION AUX OPINIONS ÉMISES DANS CE
MÉMOIRE. CES OPINIONS DOIVENT ÊTRE
CONSIDÉRÉES COMME PROPRES À LEUR AUTEUR
|
|
II
DÉDICACE
À mon père KPAKOU Komi et à ma
mère AKPAO Nana ;
Pour tout le soutien et les sacrifices que vous avez
consenti avec foi pour mes études.
REMERCIEMENTS
Mes remerciements vont à mon Directeur de recherches,
le professeur AYEWOUADAN Akodah, qui a accepté encadrer avec
bienveillance les travaux de rédaction de ce document. Qu'il trouve ici,
l'expression de toute ma gratitude et de l'admiration que je lui porte.
Je tiens également à remercier le magistrat
LODONOU Kuami pour la patience et la disponibilité avec laquelle il m'a
orienté dans les travaux de recherches au sein du ministère de la
justice.
J'adresse mes sincères remerciements à toute
l'équipe du CACIT, particulièrement le directeur exécutif
NYAKU Ghislain ; à toutes les personnes qui m'ont porté leur aide
au cours de ces travaux de recherches, notamment au Me TCHASSIM Pawoubadi,
à Mr IDRISSOU Akibou, à Mme KODJOLO Eugénie, à Mr
BAGNA Raouf, à Mr DAKLA Marcus, à Mr ALI Essoham et à Mlle
LABEYRIE Orianne.
Enfin, je remercie tout le corps enseignant de l'École
doctorale Sciences Juridiques, Politiques et Administratives de
l'Université de Parakou.
III
Puissiez-vous trouver en ce labeur l'expression de ma modeste
reconnaissance.
iv
SIGLES, ACRONYMES ET ABRÉVIATIONS
AJDA : Actualité Juridique Droit
Administratif
BNCE-Togo : Bureau National Catholique de
l'Enfance au Togo
CACIT : Collectif des Associations Contre
l'Impunité au Togo
CADHP : Charte Africaine des Droits de l'Homme
et des Peuples
CAT : Comité contre la Torture
CDFDH : Centre de Documentation et de Formation
sur les Droits de
l'Homme
CEDEAO : Communauté économique des
États de l'Afrique de l'Ouest
CEDH : Cour Européenne des Droits de
l'Homme
CNDH : Commission Nationale des Droits de
l'Homme
CPPB : Code de Procédure Pénale
Béninois
CPPF : Code de Procédure Pénale
Français
CPPT : Code de Procédure Pénale
Togolais
CVJR : Commission Vérité Justice
et Réconciliation
D. : Dalloz
DAPR : Direction de l'Administration
Pénitentiaire et de la Réinsertion
DDHP : Déclaration des Droits de l'Homme
et des Peuples
DUDH : Déclaration Universelle des Droits
de l'Homme
FIACAT : Fédération Internationale
de l'Action des Chrétiens pour l'Abolition
de la Torture
G.A.J.A : Grands Arrêts de la
jurisprudence Administrative
GF2D : Groupe de réflexion et d'action
Femme, Démocratie et
Développement
HAAC : Haute Autorité de l'Audiovisuel et
de la Communication
HCDH-TOGO : Haut-Commissariat des Nations unies
aux Droits de l'homme au
Togo
J.O. : Journal Officiel
JLD : Juge des Libertés et de la
Détention
V
L.G.D.J : Librairie Générale de
Droit et de Jurisprudence
La commission : La Commission Africaine des
Droits de l'Homme et des Peuples
LBCJ : Les Bons Conseils Juridiques
MICS : Enquête par Grappe à
Indicateurs Multiples
MNP : Mécanisme National de
Prévention de la torture
NCPT : Nouveau Code Pénale Togolais
OHCR : Haut-Commissariat des Nations unies
aux droits de l'homme
OMCT : Organisation Mondiale Contre la
Torture
ONG : Organisation Nationale non
Gouvernementale
ONUDC : Office des Nations Unies contre la
Drogue et le Crime
OPCAT : Protocole facultatif à la
convention des Nations Unies contre la
torture
OSC : Organisation de la
Société Civile
P.U.F : Presses Universitaires de France
PASJ : Programme d'Appui au Secteur de la
Justice
PCL : Prison civile de Lomé
PIDCP : Pacte International relatif aux
Droits Civils et Politiques
PND : Plan National de
Développement
RINADH : Réseau des Institutions
Nationales Africaines des Droits de
l'Homme
SMPDD : Solidarité Mondiale pour les
Personnes Démunies et les Détenus
SPT : Sous-comité pour la
Prévention de la Torture
TC : Tribunal des Conflits
UCJG : Union Chrétienne des Jeunes
Gens
WANEP-Togo : Réseau Ouest-africain
pour l'Instauration de la Paix au Togo
vi
SOMMAIRE
INTRODUCTION
|
1
|
PREMIÈRE PARTIE : UNE PROTECTION
LIMITÉE
|
.9
|
CHAPITRE 1 : UN RÉGIME PEU PROTECTEUR
|
10
|
SECTION 1 : Un cadre normatif vétuste
|
10
|
SECTION 2 : Une pratique irrégulière
|
.19
|
CHAPITRE 2 : UNE FAIBLE PROTECTION EN
PRATIQUE
|
30
|
SECTION 1 : Des durées de détention longues
|
.31
|
SECTION 2 : Des conditions de détention contraires
à la dignité humaine
|
.40
|
SECONDE PARTIE : UN RENFORCEMENT
NÉCESSAIRE
|
51
|
CHAPITRE 1 : LES AXES DE REFORMES ENVISAGEABLES
|
.52
|
SECTION 1 : Le renforcement du cadre légal et
institutionnel
|
...52
|
SECTION 2 : La nécessité d'un régime de
réparation de la détention préventive
injustifiée .61 CHAPITRE 2 : LE RENFORCEMENT
DU CONTRÔLE DU RESPECT DES
GARANTIES DE PROTECTION DU DROIT À LA
LIBERTÉ 71
SECTION 1 : Le renforcement des différents
mécanismes de contrôle 71
SECTION 2 : La contribution de la société civile
au respect des garanties de protection
du droit à la liberté 80
CONCLUSION 90
« Quel contraste plus cruel que celui de
l'indolence du juge et des angoisses de l'accusé ? D'un
côté les plaisirs et les aises d'un magistrat insensible, de
l'autre les larmes et l'état misérable d'un prisonnier
»
vii
Cesare Beccaria, « Des délits et des
peines »
1
INTRODUCTION
« Si l'on recherche en quoi consiste
précisément le plus grand bien de tous, qui doit être la
fin de tout système de législation, on trouvera qu'il se
réduit à deux objets principaux, la liberté et
l'égalité »1. La protection de l'ordre
public est le but ultime poursuivi par la loi dans un État de droit.
L'ordre public s'entend comme un état de la société
caractérisé par l'ordre, la sécurité, la
salubrité, la tranquillité publique et la dignité de la
personne humaine2. Tout bien considéré, l'État
assume cette mission régalienne afin de garantir aux citoyens un cadre
propice à l'exercice de leur liberté.
Droit naturel inhérent à la personne humaine, le
droit à la liberté renferme des notions florilèges telles
que la liberté d'aller et venir, le droit à la dignité de
la personne, le droit à la propriété privée, le
droit à la vie privée, etc. En droit positif togolais, le droit
à la liberté est reconnu, protégé et garanti par la
constitution en son article 133. Cet attachement aux valeurs
démocratiques est notamment exprimé par la devise du peuple
togolais : « Travail-Liberté-Patrie4 ». Au
niveau international, le droit à la liberté est
protégé et garanti par plusieurs instruments internationaux tels
que la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 en son
article 35, le pacte international relatif aux droits civiques et
politiques de 1966 en son article 96 et la charte africaine des
droits de l'homme et des peuples de 1981 en son article 67.
La liberté peut se définir comme un «
état d'une personne qui n'est pas sous la dépendance absolue
de quelqu'un 8». Pour Jean-Jacques ROUSSEAU, c'est la
volonté
1 J-J ROUSSEAU, Du contrat social, Ed. GF
Flammarion, 2001, p. 33
2 Depuis l'arrêt CE, 1995, Commune de
Morsang-sur-Orge
3 Constitution du Togo du 14/10/1992
révisée le 15 mai 2019, art 13 b : « Nul ne peut
être arbitrairement privé ni de sa liberté ni de sa vie.
»
4 Constitution du Togo, art 2
5 DUDH, art 3 « Tout individu a droit
à la vie, à la liberté et à la sûreté
de sa personne »
6 PIDCP, art 9 par. 1 « Tout individu a
droit à la liberté et à la sécurité de sa
personne. Nul ne peut faire l'objet d'une arrestation ou d'une détention
arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce
n'est pour des motifs et conformément à la procédure
prévue par la loi »
7 CADHP, art 6 « Tout individu a droit
à la liberté et à la sécurité de sa
personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour
des motifs et dans des conditions préalablement
déterminées par la loi ; en particulier nul ne peut être
arrêté ou détenu arbitrairement. »
8 J. REY-DEBOVE et A. REY, Le nouveau Petit
Robert, Dicobert Inc, MONTREAL, 1993, p. 1278
2
collective de protéger les libertés
individuelles qui fonde le contrat social. Le contrat social vient mettre un
terme à la vie dans l'état de nature où l'homme est un
loup pour l'homme9. Dans le contrat social, chaque homme perdant sa
liberté naturelle, un droit illimité de faire tout ce qui le
tente, acquiert la liberté civile, qui est limitée par la
volonté générale. La loi étant l'expression de la
volonté générale10 dans les États
démocratiques, c'est à elle qu'il revient de définir les
limites à chaque liberté individuelle. Elle en dispose notamment
à travers la loi pénale. Le droit pénal peut être
comparé à un règlement intérieur parce qu'il
définit d'une part les comportements infractionnels et d'autre part les
sanctions y afférentes11. Il reste un instrument
privilégié pour lutter contre le crime12. Avec
l'abolition de la peine de mort dans la plupart des pays13, les
peines privatives de libertés sont devenues les sanctions les plus
sévères de l'arsenal répressif. Le recours à la
prison comme sanction type soulève également des controverses.
Par exemple, pour une doctrine dominante14, les peines privatives de
liberté à perpétuité, restent comparables à
des peines de mort à petit feu. Elles devraient-elles aussi être
abolies15 parce qu'elles interdisent toute possibilité
d'amendement du criminel. Une autre thèse est celle selon laquelle la
peine de prison n'est pas la panacée. Il conviendrait alors d'innover
d'autres formes de sanctions propres à une bonne réinsertion
sociale du condamné à terme et à la non
récidive.
Toujours est-il qu'en droit positif togolais, les personnes
reconnues coupable d'avoir commis des infractions encourent au maximum de la
sanction : une peine privative de liberté. On pourrait être
tenté de croire que seules les personnes qui ont été
jugées et reconnues coupables d'infractions au code pénal sont
incarcérées ! Hélas, non. La loi prévoit plusieurs
mesures de privation de liberté avant jugement telles que : la
rétention
9 T. HOBBES, Le Citoyen (De Cive), Edition
électronique, 1967, p. 22
10 DDHC, art 6 « La Loi est l'expression de
la volonté générale... »
11 J. PRADEL, Droit pénal
général, Ed. CUJAS, 2000, p. 56 (733p.)
12 D. ALLIX, le droit pénal, L.G.D.J,
2000, p. 4
13 Elle est abolie au Togo depuis 2009 par la loi
n°2009- 011 du 24 juin 2009, Bénin, Afrique du Sud, Côte
d'Ivoire, etc.
14 J. BERARD, « l'autre peine de mort. La
perpétuité incompressible et la lutte contre le terrorisme
», in Mouvements, 2016, n°88, pp. 85 à 93
15 D. SALAS, « abolir la prison
perpétuelle », in Revue MAUSS, n° 40, 2012, pp.173
à 184
3
administrative16, l'incarcération
provisoire17, la garde à vue18, la
détention préventive, etc. La plus dommageable de toutes, au
regard de sa durée et de ses incidences sur l'individu ainsi que la
procédure judiciaire, est sans nul doute la détention
préventive. C'est ce qui nous motive à nous questionner sur
l'état de « la protection du droit à la liberté
à l'épreuve de la détention préventive en droit
positif togolais ».
D'entrée, procédons à une clarification
notionnelle. Remarquons que le législateur togolais ne donne aucune
définition de la détention préventive dans le code de
procédure pénale. Il faut donc se référer à
la doctrine pour cerner la notion. La première approche est une
définition donnée par le doyen Gérard CORNU selon
laquelle, la détention préventive est l'«
incarcération dans une maison d'arrêt d'une personne mise en
examen pour crime ou délit, avant le prononcé du jugement ; elle
est réalisée en vertu d'un mandat de dépôt ou
d'arrêt, ou d'une ordonnance émanant d'une autorité
judiciaire 19». Une seconde approche est celle
avancée par la magistrate Suzanne SOUKOUDE FIAWONOU selon laquelle :
« la détention préventive est une mesure de privation de
liberté, consistant à incarcérer une personne
inculpée ou prévenue avant son jugement.20
». À la lumière des définitions susvisées,
l'on peut relever trois caractéristiques essentielles de la
détention préventive. D'abord la mesure de détention
préventive intervient au cours de la phase judiciaire avant le jugement
; ensuite la détention préventive est une incarcération
qui s'exécute dans une maison d'arrêt et non une prison pour peine
; enfin la détention est une décision relative à la
détention préventive est une ordonnance émanant d'un
magistrat.
Depuis la loi du 17 juillet 1970 en France, la
détention préventive est devenue détention provisoire, le
terme « provisoire » succédant à «
préventive ». La nouvelle terminologie ne change en rien la nature
de la détention. Néanmoins, elle a le mérite de rappeler
à la
16 La rétention administrative consiste en
le maintien d'une personne dans des lieux contre sa volonté par des
autorités administratives
17 Mise en détention ordonnée par le
juge des libertés et de la détention pour une courte durée
(04 jours maximum) afin de permettre à l'inculpé de
préparer sa défense avant de comparaitre pour le débat
contradictoire suite auquel il décidera ou non de son placement en
détention provisoire
18 Mesure de contrainte par laquelle un officier de
police judiciaire (gendarme ou fonctionnaire de police) retient pendant une
durée légalement déterminée une personne (un
suspect) qui, pour les nécessités de l'enquête, doit rester
à la disposition des services de police
19 G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF,
2000, V. Détention provisoire
20 S. SOUKOUDE FIAWONOU, Guide des droits du
détenu, 2° édition, 2012, p.14
4
conscience des magistrats que désormais : la
liberté est la règle et la détention l'exception. En droit
positif togolais, c'est la dénomination « détention
préventive » qui reste encore utilisée. Cette nuance
terminologique n'a pas grand effet sur la procédure puisque le
législateur togolais consacre d'ores et déjà le
caractère exceptionnel du recours à la détention avant
jugement à l'article 112 de l'actuel code de procédure
pénale21. Cependant, des interrogations se posent : sur quel
fondement la détention avant jugement repose-t-elle ? La
détention préventive ne remet-elle pas en cause l'objet du
contrat social qui est de protéger les libertés individuelles ?
La personne poursuivie pouvant l'être à tort, la détention
préventive est-elle une menace pour tout citoyen ?
On est bien tenté de voir en la notion, un déni
pur et simple de la présomption d'innocence, « principe
cardinal dans un État de droit, autour duquel tout gravite puisque les
autres principes directeurs qui gouvernent la procédure pénale
sont la conséquence du principe de la présomption
d'innocence22 ». Cette pensée est inexacte, du
moins substantiellement. À titre confirmatif, l'article 9 de la
déclaration des droits de l'homme et du citoyen23 contenait
déjà en son temps, l'énoncé du principe de la
présomption d'innocence mais aussi l'affirmation du caractère
très exceptionnel de la procédure de la détention
préventive24. La détention préventive est une
mesure de précaution dont l'utilité est d'ordre public. Dans
l'intérêt de la justice, la détention préventive
peut avoir pour objectif d'empêcher la fuite du suspect, de limiter le
danger de disparition des indices, de limiter le risque de corruption des
témoins ou de mettre le suspect à la disposition constante du
juge pour les suites de l'enquête. La décision de placement en
détention préventive peut aussi avoir pour objectif de
protéger le suspect contre les risques de vindicte populaire. Il faut
remarquer que l'opinion publique est peu favorable au maintien en
liberté des personnes dangereuses.
21 CPPT, art 112 : « La détention
préventive est une mesure exceptionnelle... »
22 J. PRADEL, « les personnes suspectes ou
poursuivies après la loi du 15 juin 2000, une évolution ou une
révolution ? », in Recueil Dalloz, 2001, n°13, p.
1039
23 DDHC, art 9 « Tout homme étant
présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été
déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de
l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour
s'assurer de sa personne, doit être sévèrement
réprimée par la Loi. »
24 DDHC, art 9 « Tout homme étant
présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été
déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de
l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour
s'assurer de sa personne doit être sévèrement
réprimée par la loi.»
5
L'hypothèse la plus dommageable est celle de la mise en
détention préventive d'une personne qui se révèle
par la suite être innocente : C'est un drame ! Comme le dit un adage,
« il vaut mieux dix coupables en liberté, qu'un innocent en
prison, car ce dernier peut être n'importe lequel d'entre nous
». La maxime semble ne pas avoir d'emprise en l'espèce car la
détention préventive n'est pas une peine d'emprisonnement. Il
n'empêche qu'en pratique, les conditions de détention des
prévenus sont semblables à celles des condamnés. C'est la
raison pour laquelle il est difficile de persuader que la détention
préventive diffère de la peine d'emprisonnement. Aussi, le
nouveau code pénal togolais prévoit l'imputation de la
durée de la détention préventive sur la
peine25. Bien que cette disposition ait toujours été
la bienvenue, elle concourt à assimiler davantage la mesure de
détention préventive à une peine avant jugement. La
détention préventive est donc « un mal nécessaire
» qu'il convient de réduire à un résidu. Pour
l'heure, un regard transversal sur l'organisation de la détention
préventive en droit positif togolais révèle des lacunes
qu'il convient de relever sommairement.
Primo, les délais légaux sont
demeurés excessivement long. Pour illustration, le premier alinéa
de l'article 113 du code de procédure pénale26 se
contente de fixer le délai maximal de détention préventive
pour les délits punis d'une peine de deux ans au plus. Qu'en est-il des
délits punis d'une peine maximale excédant deux ans de
détention ? Qu'en est-il des infractions qualifiées de crimes ?
Ces infractions relèvent assurément des dispositions du second
alinéa qui est davantage insensible au temps. En effet, selon
l'alinéa b de l'article 113 du code de procédure pénale :
« La mise en liberté est également de droit lorsque la
durée de la détention préventive atteint la moitié
du maximum de la peine encourue et que l'inculpé est délinquant
primaire ». Il convient de rappeler que le nouveau code pénal
togolais a porté le maximum de la réclusion à temps
à cinquante ans27. Conformément à l'article 113
b, le maximal légal de détention
25 NCPT, art 496 : « Quand il y aura eu
détention préventive, la durée de celle-ci s'imputera sur
la peine à subir à moins que le juge n'ait ordonné par une
disposition spéciale que cette imputation n'aura pas lieu ou qu'elle
n'aura lieu que pour partie. »
26 CPPT, art 113 « En matière
correctionnelle, lorsque le maximum de la peine prévue par la loi est
inférieur à deux ans d'emprisonnement, l'inculpé
domicilié au Togo ne peut être détenu plus de dix jours
après sa première comparution devant le juge d'instruction s'il
n'a pas déjà été condamné soit pour un
crime, soit à un emprisonnement de plus de trois mois sans sursis pour
délit de droit commun. »
27 NCPT, art 67 « La réclusion
à temps est une peine criminelle de cinq (05) à cinquante (50)
ans. »
6
avant jugement pour une personne poursuivi pour un crime
d'assassinat28 par exemple, serait de vingt-cinq ans, à
condition qu'il soit un délinquant primaire. Quel est le sort
réservé aux personnes en état de récidive lors
d'une détention préventive ? Les pistes de réponses
demeurent, elles aussi, inquiétantes. Toutes ces dispositions violent
les engagements souscrits à l'international par le Togo concernant le
droit à toute personne poursuivie d'être jugée dans un
délai raisonnable29 et favorisent la surpopulation
carcérale.
Secundo, les conditions de détention sont en
général insatisfaisantes. En 2012, la CVJR rappelait à
l'État togolais l'obligation d'améliorer « les
conditions de détention au Togo »30. La
surpopulation carcérale en est la principale cause. Malgré la
libération par grâce présidentielle de 454 détenus
condamnés le 8 janvier 2019 sur toute l'étendue du territoire, le
taux d'occupation générale des 13 prisons et de la brigade pour
mineurs reste largement supérieur à la capacité d'accueil
des édifices. Il était de 185% en janvier 202031. Le
comble est de constater que ce sont les simples prévenus32
qui forment le gros de l'effectif, soit 3 358 prévenus contre 1 910
condamnés33. Contrairement à l'esprit de l'article 112
du code de procédure pénale, la présomption d'innocence
cède en pratique à une présomption de culpabilité,
ce qui conduit à un recours quasi automatique à la
détention préventive. C'est l'une des causes du taux de
prévenus très élevé dans les prisons au Togo. Il
est important de préciser la nuance entre les termes suivants :
détenus, prévenus et condamnés. En général,
le terme « détenu » désigne toute personne qui fait
objet d'une mesure de privation de liberté que ce soit avant ou
après jugement. Ainsi, selon la définition du doyen Gérard
CORNU, un « détenu » désigne « tout individu
détenu en raison d'une mesure judiciaire de prévention
(détention préventive), ou d'une mesure de répression
(condamnation)34 ». Le terme « détenu
»
28 NCPT, art 168 « Toute personne qui se
rend coupable d'assassinat est punie de vingt (20) à cinquante (50) ans
de réclusion criminelle. »
29 CADHP, art 7,1d « Toute personne a
droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : Le droit
d'être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction
impartiale. »
30 Rapport final de la CVJR, Vol. 1, (2012),
Rec. 50, p. 281
31 Statistiques de la Direction de l'Administration
Pénitentiaire et de la Réinsertion (DAPR), janvier 2020
32 Le terme « Prévenu »
désigne ici, les simples prévenus sur mandat de
dépôt du procureur de la république et les inculpés
en plus des accusés ; toute personne incarcérée sur mandat
judiciaire avant jugement.
33 Il n'a pas été pris en compte la
catégorie des mineurs
34 G. CORNU, vocabulaire juridique, ibidem,
p. 342
7
renvoie donc à la fois aux prévenus et aux
personnes condamnées35. Quant au mot « prévenu
», il désigne toute personne incarcérée au cours
d'une procédure judiciaire avant jugement36 ; tandis que le
mot « condamné » désigne toute personne
incarcérée à titre de sanction pénale à la
suite d'un procès.
Tertio, la lenteur de l'appareil judiciaire conduit
à des violations graves des droits des prévenus, notamment en ce
qui concerne le respect des délais légaux. L'article 19,
alinéa premier de la Constitution de la IVème
République37 impose que les prévenus soient entendus
et jugés dans un délai raisonnable. Par exemple, l'alinéa
1 de l'article 273 du code de procédure pénale38
dispose que si le prévenu est placé sous mandat de
dépôt par un Procureur de la République39, il
doit être traduit à l'audience du tribunal dans les 48 heures. Si
ce délai n'est pas respecté, il y a détention arbitraire.
La détention arbitraire désigne l'arrestation et la privation de
liberté d'une personne sans base légale ou dans le non-respect du
délai raisonnable prescrit par la loi. Les détentions arbitraires
sont proscrites par la constitution togolaise en son article 1540.
En pratique, la plupart des délais légaux ne sont pas
respectés du fait du nombre insuffisant des magistrats41 et
de la lenteur dans le traitement des affaires.
Quartio, il y existe en droit positif togolais une
structuration procédurale controversée, qui a conduit dans
plusieurs États, à la création d'un nouveau magistrat
chargé de défendre le droit à la liberté des
personnes poursuivies. C'était et c'est toujours en droit positif
togolais, l'octroi du pouvoir d'ordonner la mise en détention
préventive au juge d'instruction. Alors qu'il est déjà
inquiétant qu'il revienne à un même magistrat de mener les
enquêtes à charge et à décharge pendant
l'instruction ; c'est encore au juge
35 Manuel sur la gestion des dossiers des
détenus, ONUDC, p. 5
36 Prévenus (dans le cadre d'une
procédure sommaire), inculpés, accusés
37 Constitution togolaise, art 19 al 1 : «
Toute personne a droit en toute matière à ce que sa cause
soit entendue et tranchée équitablement dans un délai
raisonnable par une juridiction indépendante et impartiale.
»
38 CPPT, art 273 al 1 : « Le
prévenu placé sous mandat de dépôt
conformément à l'article 58 ou à l'article 272 doit
être traduit le jour même et au plus tard dans les quarante-huit
heures à l'audience du Tribunal. Ce délai est
protégé de vingt-quatre heures s'il expire un dimanche ou jour
férié. »
39 Dans le cadre d'une procédure sommaire
40 Constitution togolaise du 14 Octobre 1992, art
15 : « Nul ne peut être arbitrairement arrêté ou
détenu. Quiconque est arrêté sans base légale ou
détenu au-delà du délai de garde à vue peut, sur sa
requête ou sur celle de tout intéressé, saisir
l'autorité judiciaire désignée à cet effet par la
loi. L'autorité judiciaire statue sans délai sur la
légalité ou la régularité de sa détention
»
41 En juillet 2019, le nombre total de magistrats
au Togo était de 241 dont 33 femmes sur toute l'étendue du
territoire nationale
8
d'instruction, tout parti pris, qu'il revient la charge de
décider de la nécessité d'une mise en détention
avant jugement. Cette procédure est fortement inquisitoire et laisse peu
de place au débat contradictoire. Elle cause un tort innommable aux
droits de la défense des prévenus. En effet, la procédure
ne prévoit pas que l'inculpé, mis en détention
préventive, puisse faire appel de l'ordonnance de mise en
détention préventive. En effet, en droit positif togolais, il
n'existe pas une procédure de référé-liberté
telle que prévue en droit français. Pour s'opposer à
l'ordonnance de mise en détention préventive, le prévenu
ne peut introduire qu'une requête en habeas corpus.
Au regard de tous ces constats, il convient de s'interroger
à savoir si le régime de la détention préventive en
droit positif togolais est de nature à protéger efficacement le
droit à la liberté des personnes lors de la détention
préventive. L'intérêt cette analyse est d'actualité
tant pour les personnes poursuivies en ce qui concerne la protection de leur
droit à la liberté contre tout arbitraire au cours de la
procédure avant jugement ; que pour le législateur en ce qui
concerne la recherche de l'équilibre nécessaire qui doit exister
entre la protection des droits fondamentaux et la préservation de
l'ordre public dans la procédure pénale. Il s'agira à
terme de contribuer à la réflexion pour l'amélioration des
droits de la défense dans la procédure pénale avant
jugement au Togo.
La méthodologie de travail à laquelle nous avons
recouru dans le cadre de cette étude, allie la recherche documentaire
(textes de lois, ouvrages, etc.), la collecte de données sur le terrain
(entretiens avec les personnes ressources, administration d'un questionnaire,
investigations, etc.) et le recours à la webographie. Elle a
guidé l'analyse de l'état de la protection légale du droit
à la liberté avant, pendant et après le placement en
détention préventive en droit positif togolais.
Pour cerner la problématique de notre étude,
nous nous sommes proposé d'aborder dans un premier temps, la protection
limitée du droit à la liberté (Première partie)
puis dans un second temps, la nécessité d'un renforcement de la
protection du droit à la liberté (Deuxième partie).
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PREMIÈRE PARTIE : Une protection
limitée
Le droit à la liberté est un droit fondamental
pour tout être humain quel que soit sa race, ses origines, sa religion,
son genre, son âge. Aborder le sujet de la privation de la liberté
avant jugement, c'est se questionner sur les garanties et les moyens
légaux de protection du droit à la liberté. Nul n'est
à l'abri d'une éventuelle accusation, soit d'avoir
participé en tant qu'auteur, co-auteur ou complice, à la
commission d'une infraction. Il est donc important que la loi dresse des
remparts afin de protéger le droit à la liberté du «
présumé innocent » au cours de la procédure
pénale avant jugement. En ce sens, l'analyse du régime de la
détention préventive en droit positif togolais
révèle d'importants acquis. Le législateur a
consacré en droit interne plusieurs principes de droit en faveur de la
protection des personnes poursuivies tels que garantis par les instruments
régionaux et internationaux de droits de l'Homme. La question de
l'efficacité de cette protection annoncée par la loi reste
posée. À l'observation, de nombreuses lacunes minent son
effectivité tant au regard du cadre normatif que de la pratique. Les
garanties érigées par la loi pour protéger le droit
à la liberté au cours de la phase pré jugement de la
procédure pénale ne sont pas pleinement mises en oeuvre. Cette
limite de la protection du droit à la liberté des personnes
poursuivies en droit positif togolais est aggravée par les multiples
violations observées dans la pratique. Le régime de la
détention préventive est peu protecteur face au risque du
placement en détention préventive (Chapitre 1) et dans la
pratique de la détention préventive (Chapitre 2).
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