SECTION II : Dispositifs diplomatiques et
militaires
Les dispositifs diplomatiques et militaires sont de
véritables indicateurs des ambitions géopolitiques des grandes
puissances dans une région donnée, autour d'un enjeu
déterminé. En effet, comme l'affirme François Thual (1996
: 26) " que ce soit en temps de paix ou de guerre, la structuration des moyens
militaires est un des indices les plus parlants des ambitions
géopolitiques d'un pays, (...) analyser les dispositifs militaires c'est
s'attaquer à l'aspect le plus significatif des moyens dont dispose un
Etat pour asseoir ses prétentions". Par ailleurs, afin de garantir le
succès de ses objectifs géopolitiques, tout pays met en place un
dispositif diplomatique, un dispositif de gestion de ses relations
extérieures.
La Chine, puissance émergente de ce début de
21ieme siècle entend justement prendre appui sur ces instruments pour
accéder au pétrole du golfe de Guinée. Aussi, est-il
question pour nous d'étudier les différentes manoeuvres
diplomatiques (paragraphe 1) et militaires (paragraphe 2) entreprises par la
Chine autour du pétrole du Golfe de Guinée.
Paragraphe 1 : la diplomatie : le coeur de la
stratégie pétrolière chinoise
La diplomatie chinoise, à pied d'oeuvre dans le golfe
de guinée depuis un peu plus d'une décennie, est à coup
sûr l'élément le plus visible de son redéploiement
stratégique dans la sous région. La diplomatie
énergétique de la Chine se présente le plus souvent sous
la forme d'une offre multidimensionnelle pour les pays d'accueil. Ces derniers
ont souvent en commun les caractéristiques suivantes : implantés
dans des zones de crise désertées par les majors
pétroliers occidentaux (cas de l'Angola et du Soudan), ils sont souvent
engagés dans un bras de fer avec la communauté internationale
pour des raisons de politique intérieure; ils disposent, par ailleurs,
de réserves pétrolières peu convoitées ou n'offrant
aucune rentabilité immédiate. La stratégie d'implantation
des compagnies pétrolières chinoises s'adapte au cas de chaque
pays (Mbaye Cisse ; 2007 : 9). C'est donc à une véritable
diplomatie pétrolière, articulée en fonction des
circonstances que se livre pékin en Afrique. De ce fait, il sera
précisément question ici d'analyser les différentes
recettes utilisées par la diplomatie chinoise pour s'octroyer le
pétrole. A cet effet, les exemples Nigérian(A) et Angolais(B)
sont illustratifs à plus d'un titre.
A-
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Le Nigeria : pétrole contre promesse
diplomatique
Au Nigeria, la diplomatie chinoise fait preuve d'une
parfaite adresse adaptée aux circonstances. Pour pénétrer
ce marché, pékin fait preuve d'une habileté diplomatique
déconcertante. Si les prédécesseurs du
président Hu Jin tao avaient accordé leur soutien politique au
dictateur nigérian Sani Abacha, l'actuelle diplomatie chinoise valse sur
le soutien potentiel qu'elle pourrait apporter au Nigeria engagé dans la
course à un siège permanent africain au Conseil de
Sécurité de l'ONU (Mbaye Cisse ; 2007 : 10). En effet, la Chine
soutient l'élargissement du conseil de sécurité et
proclame la nécessité d'accorder des sièges aux pays
africains, une volonté clairement affichée par
l'ex-président Nigérian Olesegun Obasanjo. C'est dire que contre
des garanties d'accès au pétrole, la Chine se propose de soutenir
la candidature du Nigeria. Lors de la visite à Abuja du ministre chinois
Tang Jiaxuan en 2000, le président Nigérian Olesegun Obasanjo a
exprimé sans réserve sa forte insatisfaction en ce qui concerne
la non-représentation des pays africains au sein du siège
permanent du conseil de sécurité des nations-unies. Obasanjo a
fait comprendre qu'il souhaitait une aide de la part de la Chine pour obtenir
deux sièges permanents en faveur des pays africains, sous-entendu le
Nigeria (Chung Lian Jiang ; 2004 : 5).
L'engagement chinois a été confirmé par
un communiqué conjoint sino-nigérian, dans son article 9,
signé lors de la visite de Jiang Zemin à Abuja du 14 au 16 avril
2002. L'article 2 de ce communiqué se termine par une valorisation de la
coopération dans le secteur énergétique, la Chine
étant encouragée et soutenue dans sa participation à
l'exploitation des hydrocarbures au Nigeria (Chung Lian Jiang ; 2004 : 5).
Grace à sa souplesse diplomatique, la Chine a réussi à
s'insérer sur le marché pétrolier du Nigeria.
B- L'Angola : pétrole contre soutien
économique
La pratique de la diplomatie énergétique
chinoise se révèle également efficace en Angola, pays
meurtri par plusieurs décennies de guerre et devenu aujourd'hui le
premier fournisseur de pétrole de la Chine en Afrique subsaharienne.
Tirant profit de son long compagnonnage avec le gouvernement de Luanda,
notamment la vente régulière d'armes pendant la guerre de
libération angolaise des années 1970, et de l'affaiblissement des
intérêts français consécutif à l'Affaire
Falcone, la China Petroleum & Chemical Corporation (CPCC) réussit en
novembre 2004, à arracher, devant la compagnie française Total,
l'exploitation du bloc 3/80 au nord du pays (Mbaye Cisse ; 2007 : 9). Cette
belle percée coïncide avec les tentatives du Fonds Monétaire
International et de la Banque mondiale d'amener Luanda, à plus de
transparence sur les fonds pétroliers : "l'Angola, alors 3éme sur
102 pays les plus corrompus selon Transparency International, avait vu, en
2001, un tiers des revenus de l'Etat s'évaporer, alors qu'un quart de la
population souffrait de famine et attendait une aide alimentaire
extérieure. Pékin mit alors à la disposition de Luanda un
prêt de 2 milliards de dollars à 1,5% d'intérêts sur
17 ans, en échange de 10.000 barils de pétrole par jour" (Mbaye
Cisse ; 2007 : 9). Les autorités angolaises pouvaient désormais
s'opposer au FMI et à la BM. Le pragmatisme chinois portait une fois de
plus ses fruits, car en 2005, le géant asiatique supplante les
Etats-Unis et devient le premier importateur du pétrole Angolais.
Davantage, en 2006, l'Angola devenait le premier fournisseur africain de la
Chine.
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Paragraphe 2 : La coopération militaire
sino-africaine : un instrument au service des intérêts
pétroliers chinois
Même si la diplomatie pétrolière demeure
au coeur des préoccupations chinoises, il n'en reste pas moins que
Pékin use d'autres instruments pour asseoir sa position en Afrique et
accéder au pétrole. La gamme d'initiatives bilatérales et
multilatérales s'étend à la coopération militaire.
Aujourd'hui, la coopération militaire a revêtu les mêmes
allures que la coopération économique, sous couvert du sacro
saint principe de la non-ingérence. Pékin n'apporte plus son
soutien aux mouvements de libération africains, comme il le fit dans les
années 1970 à l'union nationale pour l'indépendance totale
de l'Angola (UNITA) ou au front de libération du Mozambique (FRELIMO)
(Niquet Valérie ; 2006). Il est beaucoup plus question aujourd'hui d'un
partenariat stratégique visant à un rapprochement dans le domaine
énergétique. Ce partenariat stratégique concerne la
fourniture d'armes (A) et la formation du personnel militaire (B).
A- Pétrole contre matériel militaire
Les contrats de vente d'armes passés par la Chine avec
ses partenaires africains prennent souvent la forme d'un échange
d'articles d'armement contre des matières premières. En effet,
pour assurer des livraisons régulières de pétrole en
provenance de l'Afrique, consolider ses liens bilatéraux et payer ses
factures de pétrole, la Chine adopte des démarches diverses,
parmi lesquelles la livraison d'armes et de matériel militaire. C'est ce
que semblent confirmer (De Lestrange Cédric ; Paillard Christophe
Alexandre ; Zélenko Pierre ; 2005 : 175) lorsqu'ils affirment : "Les
livraisons d'armes permettent aux chinois de négocier l'obtention des
concessions auprès des pays producteurs. (...) l'Angola et le Nigeria
acceptèrent cet échange".
Cette stratégie chinoise d'accès au
pétrole africain est observable sur l'ensemble du
continent. En effet, Le marché africain, comme dans le
domaine des BTP, est l'occasion de tester un matériel souvent rustique
et peu prisé sur les marchés occidentaux. C'est en Afrique que la
Chine trouve un débouché pour ses avions d'entraînement K8,
fournis à la Namibie, au Soudan et au Zimbabwe. La Chine pourvoit des
hélicoptères au Mali, à l'Angola et au Ghana, de
l'artillerie légère et des véhicules blindés
à la quasi-totalité des pays de la région australe, ainsi
que des camions militaires, des uniformes, du matériel de
communication(Niquet Valérie ; 2006). La coopération est
particulièrement étroite avec le Zimbabwe depuis le début
des années 1980 et s'est renforcée en 2004. Pékin lui
fournit des chars, de l'artillerie, des blindés ainsi que des camions,
des vedettes rapides et des batteries de défense antiaérienne
(Mbaye Cisse ; 2007 : 12).
Par ailleurs, l'empire du Milieu va même jusqu'à
recourir à la vente de technologies de pointe et d'équipements
nucléaires en échange d'importations pétrolières.
La Chine maintient souvent des relations militaires avec ses fournisseurs de
pétrole. De ce point de vue, les cas de l'Angola, du Soudan et du
Nigeria sont révélateurs. La Chine n'a pas hésité
à vendre au Soudan des avions de surveillance F-7 et des avions de
transport Y-8 en pleine guerre civile, pendant la période où ses
compagnies pétrolières étaient engagées dans
l'exploitation des gisements pétroliers de Muglad (Mbaye Cisse ; 2007 :
13). Ces ventes sont réalisées le plus souvent par la North
Industry Corporation (NORINCO) et Polytech Industries, la plus importante firme
de vente d'armes de l'armée chinoise.
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En 1995, lorsque le Nigeria a été isolé
et sanctionné par la Communauté internationale pour
l'exécution de neuf dissidents politiques ogonis, Pékin a
continué à vendre des armes à ce pays, en dépit de
la forte pression occidentale (Chung Lian Jiang ; 2004 : 4). En Angola,
pékin a soutenu militairement toutes les parties ennemies : le mouvement
populaire pour la libération de l'Angola (MPLA) ; le Front National de
Libération de l'Angola(FNLA) et l'union nationale pour la
libération totale de l'Angola(UNITA) (Fogue Tedom ; 2008 : 162).
Les pays africains sont devenus les premiers acheteurs
d'armes et d'équipements militaires chinois. Dans un continent aussi
instable, regorgeant déjà de matériel de guerre,
l'arrivée d'armes supplémentaires n'est pas vraiment souhaitable.
Mais, comme l'a dit le ministre des Affaires étrangères chinois,
Zhou Wenzhong, " les affaires sont les affaires et la Chine ne mélange
pas les affaires et la politique" (Mbaye Sanou ; 2006).
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