Paragraphe 2 : Incapacité
technïlïgique
L'incapacité technologique des Etats du golfe de
guinée à exploiter les ressources est étroitement
liée à leur déficit d'autonomie politique et
stratégique. En effet, l'extraversion dont souffrent ces Etats, se
caractérisant par une absence de vision stratégique et de
volonté politique, peut être évoquée ici pour
expliquer cette incapacité technologique des Etats à exploiter et
à transformer eux-mêmes leurs ressources. La faiblesse de la
consommation énergétique locale (A), liée à
l'absence voire à l'insuffisance de structures de raffinage (B) nous
permettra donc d'étudier cette incapacité technologique.
A- La faiblesse de la demande
énergétique lïcale
Si le golfe de guinée est aujourd'hui
désigné comme la réserve mondiale d'hydrocarbures, c'est
moins parce qu'il détient les plus importantes réserves que parce
qu'il regorge d'un pétrole facile d'accès pour les puissances
industrielles en raison de la faible demande des pays de la sous région
comparée à leur capacité de production (Fogue Tedom ; 2008
: 163). Le regain actuel pour le golfe de guinée s'explique donc aussi
par l'incapacité des Etats à exploiter eux-mêmes leurs
ressources, mais également par leur faible besoin en énergie
lié à une sous industrialisation. Comme l'affirme Géraud
Magrin (2008) " La consommation énergétique en Afrique
sub-saharienne est en effet très faible et estimée à 0,5
tonne équivalent pétrole (tep)/an/habitant, contre 4 en Europe et
8 aux Etats-Unis". La faible consommation d'énergie est à la fois
un symptôme de pauvreté et un obstacle à
l'amélioration économique et sociale : l'insuffisance et le
coût de l'énergie pénalisent l'industrie, le transport et
toutes les activités modernes. De plus, l'accès aux
énergies modernes (électricité, gaz, produits
pétroliers) est très limité. Les énergies dites
traditionnelles, issues des matières premières renouvelables
(bois et charbon de bois) et de sous-produits agricoles (résidus de
culture, déjections animales), occupent une place
prépondérante.
Si le continent dispose d'importantes ressources,
(énergie renouvelable ou d'énergie fossile), celles-ci sont
très nettement sous-exploitées. La consommation
énergétique est de ce fait très faible en Afrique, ne
représentant que 5,5 % de la consommation mondiale pour une
démographie équivalente à 13 % de la population de la
planète (Leroux Florence ; 2004). Elle s'oriente essentiellement vers la
biomasse, composée notamment du bois de chauffe et de ses
dérivés
Quand la rareté, l'inaccessibilité et la
pauvreté se conjuguent pour limiter l'usage de ces sources modernes ou
traditionnelles, le recours à l'énergie animale (dromadaires,
bovins, équins) ou humaine s'impose. Dans les pays les plus riches en
ressources mais pauvres en énergie disponible, la dépendance
énergétique et pétrolière illustre la sous
valorisation des potentialités naturelles.
B- L'insuffisance de structures de
raffinage
L'insuffisance des structures de raffinage est une parfaite
illustration de cette incapacité technologique des Etats à
exploiter et à transformer eux-mêmes les ressources. En Afrique
subsaharienne, et dans le golfe de guinée en l'occurrence, les
activités d'exploration, de production, de raffinage et de
commercialisation pétrolière ; de même que les technologies
utilisées, autant que les capitaux investis, sont et demeurent
étrangers. Les pays de la sous région concèdent leur
souveraineté en matière pétrolière à des
multinationales à visée stratégique. C'est ce qui explique
en partie leur incapacité à pouvoir mettre en oeuvre une
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politique pétrolière logique et
cohérente. Ainsi, ils ne sont toujours pas en mesure de structurer une
stratégie lucide de gestion de toute la problématique
pétrolière. De ce fait, seules quelques petites raffineries ont
été construites pour des besoins immédiats des entreprises
étrangères basées localement, et ces petites raffineries
n'opèrent que dans des conditions minimales, c'est-à-dire en
dessous de leurs capacités (Favennec JP ; Copinschi Philippe ; 2003 :
142).
Les quantités de pétrole raffinées
localement sont en effet extrêmement faibles, pour ne pas dire
insignifiantes. Davantage, les opérations de raffinage et la
détermination des coûts des produits raffinés chez eux leur
échappent et leur échapperont encore, tant et aussi longtemps que
demeurent les lois commerciales roublardes et iniques actuelles (Kounou Michel
; 2008 : 10). L'insuffisance criarde de structures de raffinage sur l'ensemble
du continent peut en partie s'expliquer par une volonté occidentale de
maintenir une sorte de " tutelle technologique " dans ses relations avec
l'Afrique. En effet, dans les relations qu'elle entretient avec l'Afrique,
l'Occident, tout comme les autres partenaires entendent perpétuer la
dépendance technologique de l'Afrique.
Le Nigeria par exemple, un géant pétrolier
africain ne dispose que de quatre raffineries à port Harcourt Rivers
state I (150.000 barils/jours), à Warri (118.000), à Kaduna
(110.000), à port Harcourt-Alésa Eleme II (60.000) (Kounou Michel
; 2006 : 59). Ses capacités de raffinage sont largement suffisantes,
mais ne couvrent pas les besoins internes ; c'est dire que le Nigeria se trouve
dans une situation ambivalente d'un pays ayant les moyens de fournir
suffisamment de pétrole raffiné à sa population ,mais
paradoxalement, le pays continue à subir les contrecoups de
pénuries à la pompe. Voilà pourquoi le gouvernement a pris
des mesures visant à emmener les compagnies pétrolières
à raffiner au moins 50% du pétrole au pays à partir de
2006 (Kounou Michel ; 2006 : 61). Cependant, les raffineries nigérianes
sont en proie à des problèmes multiples, qui incluent des actes
de sabotage, des incendies spontanés, une négligence chronique de
la maintenance et la corruption. Tous ces maux ont contribué à la
baisse de la production du pays. L'Angola, premier producteur de brut africain
depuis juin 2008 (Meunier Marianne ; 2008 : 72), ne dispose paradoxalement que
d'une raffinerie digne de ce nom, la Fina petroleos De Angola. Située
à Luanda, elle a une capacité de traitement journalier de (39.000
barils/jours). Quant à la Guinée Equatorial, jusqu'en fin 2006,
elle ne disposait toujours pas de structures de raffinage.
Tableau n° 4 : Dotation
en raffineries et activités de raffinage des Etats pétroliers
africains en janvier 2005
|
Nombre de raffineries 1er/1 2005
|
Localisation et capacité des
raffineries en baril/j au 1er janvier 2005
|
Terminaux importants d'évacuation rapide au 1er
janvier 2005
|
Nigeria
|
4
|
Port Harcourt-Rivers State
(150 000 barils/j), warri
(118 750), Kaduna (110 000), Port Harcourt-Alesa Eleme (60
000).
|
Bonny Island, Bass River, Escravos, Forcados, Odudu,
Pennington, Kwa Iboe
|
Angola
|
1
|
Fina Petroleos De Angola, Luanda (39 000).
|
Luanda, malango (Cabinda), Palanca,
Quinfuquenn
|
Congo
Brazzaville
|
1
|
Congolaise de raffinage (CORAF), pointe noire (21
000)
|
Pointe Noire
|
Guinée
Equatoriale
|
0
|
|
Proposition pour Bioko en 2007
|
Gabon
|
1
|
Sogara, Port Gentil (17 300)
|
Cap Lopez, Oguendjo, Gamba.
|
Soudan
|
4
|
El Gily (50 000), Khartoum
(50 000), Port Soudan (21 700), El Obeid (10 000)
|
Port Gentil Offshore, Lucina. M'bya
Port- Soudan
|
Cameroun
|
1
|
SONARA
|
Limbé, Kribi
|
Afrique du Sud
|
4
|
Shell/BP-Durban (172 000), Caltex-Cape Town (110 000),
Engen-Durban (150 000), National petroleum- Sasolburg 8 747)
|
Durban; Cape Town, Sasolburg.
|
RD Congo
|
1
|
|
-
|
Côte-d'Ivoire
|
1
|
Abidjan, (65 200).
|
Abidjan
|
Tchad
|
0
|
-
|
-
|
Ghana
|
1
|
Tema (45 000)
|
Accra
|
Bénin
|
0
|
-
|
-
|
Mauritanie
|
0
|
-
|
-
|
Sao Tome & Principe
|
0
|
Freetown (10 000)
|
Freetown
|
Sïurce : Michel KOUNOU,
Op.cit., page 60
De ce tableau, il ressort clairement que malgré la
place de plus en plus importante qu'ils occupent dans le paysage
pétrolier mondial aujourd'hui, les pays africains demeurent très
faiblement dotés en raffineries. Cette absence ou cette insuffisance de
structures de raffinage explique en partie les fréquentes
pénuries de pétrole à la pompe, malgré le fait que
ces pays soient d'importants détenteurs et producteurs de
pétrole.
Si l'offensive pétrolière chinoise en Afrique
en général, et dans le golfe de guinée en particulier,
s'explique à la fois, par un important besoin énergétique
interne liée à une croissance de la demande nationale, les atouts
du pétrole et de la région du golfe de guinée,
couplés au déficit d'autonomie politique et stratégique
dont souffrent les Etats de la sous région constituent à
l'analyse le modus vivendi de cette offensive chinoise. De ce fait, dans la
nouvelle ceinture pétro stratégique qu'est aujourd'hui le golfe
de guinée (Owona Nguini E.M. ; 2008 : 6), le redéploiement
stratégique des grandes puissances industrielles étatiques (Chine
en l'occurrence) constitue le principal centre d'intérêt de notre
étude. C'est dire qu'après avoir procédé à
l'analyse des motivations de l'offensive pétrolière chinoise dans
le
golfe de guinée, il est désormais question de
s'intéresser aux stratégies mises en oeuvre par pékin pour
accéder au pétrole. Aussi, est-il important pour nous de mener
une étude de la démarche suivie par la Chine pour accéder
au pétrole du golfe de guinée d'une part, et de l'impact
politique de cette offensive chinoise sur l'évolution de la
démocratie et de la paix en Afrique en général, et dans le
Golfe de Guinée en particulier, d'autre part.
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DEUXIEME PARTIE :
DE LA STRATEGIE PETROLIERE CHINOISE ET DE SON IMPACT
POLITIQUE
EN AFRIQUE
Eu égard à la compétition
économico- diplomatique que se livrent les pays industrialisés
pour le contrôle des ressources pétrolières africaines en
général et le pétrole du golfe de guinée en
particulier, il devient particulièrement intéressant d'analyser
les différentes démarches utilisées par ces derniers. En
effet, dans un contexte africain marqué par une concurrence accrue des
différentes firmes multinationales pour un accès
préférentiel au pétrole, leur capacité à
mettre en oeuvre de nouvelles stratégies, à se démarquer
de leurs concurrents, garantira le succès de leurs différentes
initiatives. La Chine, nouvel acteur étatique majeur de la scène
pétrolière africaine, déploie elle aussi des
stratégies lui permettant non seulement de se distancer des autre
puissances industrielles présentes sur le continent, mais de s'octroyer
cette ressource stratégique tant convoitée (chap.3).
Par ailleurs, la Chine ne plaçant aucune condition
politique autre que la non-reconnaissance de Taiwan à
l'établissement des relations diplomatiques avec ses partenaires
africains, son soutien aux régimes africains pourrait constituer une
sorte de caution politique à leur gestion archaïque de la
société et provoquer un immobilisme politique, réveillant
ainsi en eux l'habitus autoritaire. Aussi, le processus de
démocratisation laborieusement entamé en Afrique dans les
années 1990, risque-t-il d'être sérieusement
entravé, ceci du fait du soutien de la Chine aux régimes
africains. C'est dire que dans sa détermination à soutenir ses
partenaires africains qui lui fournissent du pétrole et bien d'autres
matières premières, la Chine pourra constituer un sérieux
frein à la démocratie et à la paix en Afrique
(chap.4).
DE LA STRATEGIE PETRÏLIERE CHINÏISE DANS LE
GÏLFE DE GUINEE
Dans son étymologie grecque, la stratégie
signifie : « conduire la guerre ». C'est le général
prussien Friedrich Wulheim Bülow qui vulgarise ce concept en 1794.
Au-delà des définitions courantes élaborées par les
grands stratégistes classiques, de Karl Von Clausewitz à Basil h.
Liddel Hart et à Raymond Aron, qui considèrent la
stratégie comme étant l'art d'employer les forces militaires pour
atteindre les résultats fixés par la politique. Dans le cadre de
ce travail, nous concevons la stratégie comme étant l'art de
cordonner des actions, de manoeuvrer habilement pour atteindre un but. Il sera
donc question d'étudier les différentes manoeuvres ou
démarches utilisées par la Chine pour s'octroyer du
pétrole dans le golfe de Guinée.
Dans sa quête et sa conquête du pétrole
africain en général, et celui du golfe de guinée en
particulier, la Chine a mis en oeuvre une stratégie
énergétique globale, se déployant aussi bien dans les
domaines politiques et économiques (section 1), que diplomatiques et
militaires (section 2).
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