Comme la technique présentée plus haut, le
sondage du poisson est une méthode de pêche introduite dans les
pêcheries par les pêcheurs béninois. C'est une technique qui
consiste à cibler la présence du poisson à travers le son
qu'il émet afin de procéder au jet du filet avec
précision. Son originalité se trouve autour de l'emploi de la
pagaie dans le processus d'exploration, qui sert d'élément de
liaison entre le son émis par le poisson et le tympan du pêcheur.
De manière opérationnelle, le bout aplati de la pagaie est
plongé dans l'eau à chaque opération de pêche tandis
qu'au même moment, le sommet effilé porteur du message est
placé à l'oreille. Ce n'est que dans cette position que cet
instrument joue pleinement son rôle d'outil de sondage, en faisant
parvenir au pêcheur une sorte de message codé dont ce dernier est
appelé à apprécier la portée. A partir de cet
instant, le pêcheur averti peut prendre la décision de
procéder ou non à une action de pêche. Pour parvenir
à ce niveau de connaissance, le pêcheur façonne à
partir des expériences et de sa régularité dans
l'activité de pêche, son appréciation du son qu'émet
permanemment chaque espèce de poisson, signe grâce auquel le
pêcheur apprenant pourra désormais l'identifier. Cette technique,
fruit d'une connaissance ancestrale, a été transmise aux
pêcheurs de générations en générations par
leurs ascendants. Interrogé sur l'origine et
l'opérationnalité de cette technique de capture, un pêcheur
béninois nous a livré les propos suivants:
Ce sont nos aïeux, nos ancêtres, ce sont eux qui
nous ont appris à écouter le poisson. Lorsqu'ils nous amenaient
en mer, ils nous faisaient écouter, écouter les poissons parler.
Chaque poisson a sa façon de parler .Nous avons appris à
écouter chaque type
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de poisson qu'on capture. Le mbounga ne parle pas comme
le bar, le capitaine ne parle pas comme le bololo. Ils utilisaient la pagaie,
la simple pagaie, pour sonder dans l'eau s'il y a du poisson à un
endroit. C'est ce qui nous amène à jeter le filet dans l'eau
(HUBERT, Pêcheur, Popo, Nziou, le 15-01-2011).
Surtout que le mode d'acquisition n'est pas si complexe comme
l'affirme cet autre pêcheur: «Cette technique de pêche,
tout le monde peut connaitre, il suffit d'être sérieux et attentif
pour suivre comment çà se passe. J'ai déjà fait
connaitre cette technique à plusieurs pêcheurs d'ici »
(CASSA, Pêcheur, Popo, Nziou, le 09/01/2011).
Les vulgarisateurs de ces connaissances sont reconnus par les
populations d'une manière générale et les fumeuses en
particulier pour leur rapidité dans la pêche. Elle suscite
admiration, respect mais aussi une fierté d'avoir au sein du village les
ressortissants béninois. Par cette ingéniosité, ces
derniers occupent une place centrale dans le circuit de distribution de
poissons frais à en croire cette informatrice:
Les Béninois ne durent pas en mer et pêchent
à tout moment, la nuit et le jour. Ils parlent avec le poisson. Ils
connaissent où se trouve le poisson en mer. C'est pourquoi ils
pêchent vite et pêchent toujours beaucoup de poissons. Nous les
respectons, car sans eux, nous ne devrions pas avoir assez de poissons à
fumer ici au village. Nous ne savons même pas ce que nous allons faire
s'ils partent tous (NGOUNDI ANNE, Fumeuse, Mabi, Nziou, Le 13/01/2011).
Ces propos confirment le point de vue des pêcheurs
béninois pour qui, la pêche fructueuse n'est pas seulement
tributaire de l'arsenal de pêche dont dispose chaque acteur de
pêche, mais elle résulte surtout de l'efficacité des
techniques dont dispose le pratiquant de la pêche. C'est ce qui se
dégage des propos de ce pêcheur béninois interrogé
sur les spécificités de la méthode de pêche par
sondage:
Je ne pêche pas au hasard. Je ne jette pas le filet
en mer au hasard. Je ne pêche pas au hasard comme les autres.
J'écoute le poisson avant de jeter mon filet. J'écoute avec la
pagaie, la pagaie. S'il y a du poisson, je jette le filet. S'il n y a pas de
poisson, je ne jette pas le filet. Ce n'est pas en restant en mer longtemps
qu'on va attraper du poisson. Souvent je vous laisse ici et quelques heures
après, je reviens avec du poisson. Mais parfois aussi sans poisson, je
ne me casse pas. Je préfère rentrer sans jeter le filet au lieu
de le jeter au hasard. (CASSA, Pêcheur, Popo, Nziou, le
09/01/2011).
Cette technique présente aux yeux des pêcheurs,
plusieurs avantages allant du gain en temps à la capture massive du
poisson. Elle est une technique très sélective et permet aux
pêcheurs de capturer les poissons de leur choix, espèces qui
répondent à leur besoin alimentaire ainsi qui leur permettent
d'assurer leur revenu. Le sondage du poisson donne l'opportunité de
réaliser les économies à travers la faible consommation du
carburant vue la réduction des distances à parcourir pour
identifier les zones de pêche, favorise la réduction des
dépenses
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relatives à la ration alimentaire et offre
l'opportunité d'effectuer plusieurs opérations de pêche en
peu de temps. Ce sont sans doute ces atouts reconnus par les pêcheurs de
diverses communautés qui pourraient en partie expliquer leur
intégration rapide dans les pratiques quotidiennes des pêcheurs
locaux.
1-3-La pêche long séjour ou pêche
de trois jours
La pêche long séjour ou pêche de trois
jours est un mode de pêche qui s'opère deux fois au cours de la
semaine. Dans le village Londji I, les jours de départ en mer reconnus
pour les pêcheurs nigérians et locaux sont le lundi et le jeudi.
Du côté du village Nziou, chaque pratiquant ou groupe de
pratiquants de la pêche de trois jours a son emploi de temps
indépendant. Le jour de départ, après avoir fait le
marché, et acheté le nécessaire pour leur séjour en
mer, les pêcheurs s'engagent dans un voyage de quelques heures
supposé les amener au large où ils seront appelés à
exercer une intense activité de pêche. Le déroulement de la
pêche est guidé par un certain nombre de paramètres
techniques partagés par les différents membres de l'embarcation.
Ainsi, après de longues expériences, les pêcheurs estiment
que l'écart de six heures de temps est nécessaire entre deux
opérations de pêche afin de maximiser la capture. Dans cet
exercice, chaque membre de l'équipage joue des rôles
spécifiques. En effet, le pêcheur principal encore
désigné capitaine de bord ou main droite du propriétaire
de l'embarcation, est responsable de piloter le moteur, de veiller à son
bon état, de cibler les zones propices de pêche. Ce dernier fort
de ses expériences, reste la personne habilitée à donner
des directives au large sur les heures d'introduction et du retrait du filet de
l'eau. Dans la catégorie des personnes qui jouent ce rôle,
figurent des personnes âgés et des jeunes issus des
différentes communautés présentes.
Quant aux pêcheurs assistants, ces derniers suivent les
instructions du chef d'équipe et ont pour missions: l'assistance de leur
supérieur hiérarchique au cours des différentes
étapes de la pêche à savoir l'introduction et le retrait du
filet dans l'eau, l'émaillage du poisson, l'opération de
surveillance permanente du filet et de la pirogue pendant la nuit( afin de
réduire les risques de vol, de contact avec les chalutiers et de
vandalisme de certains collègues mal intentionnés).
Pour ce qui est de la gestion des embarcations de pêche,
les patrons ou propriétaires des matériels de pêche, sont
ceux qui recrutent les personnes avec qui ils peuvent travailler en fonction de
la disponibilité, la loyauté, la transparence dans la gestion du
matériel et des produits de pêche. Pour une descente en mer, ces
derniers mettent à la disposition des pêcheurs les
matériels nécessaires pour la pêche comme une grande
quantité de glace devant servir à la conservation du poisson, une
torche et des piles destinées à l'éclairage du filet la
nuit, une ration alimentaire qui s'élève à cinq mille
francs pour les deux pêcheurs à bord de la pirogue et du
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nécessaire pour l'entretien de leur corps(savon de
toilette, du rasoir pour le nettoyage de la barbe) . Ces derniers s'assurent
aussi du bon état des filets et de la légalité de leurs
pirogues.
![](Peche-et-conservation-du-poisson-par-les-populations-de-Nziou-et-de-Londji-I-dans-la-region-du-sud-C21.png)
Photo 19: Pirogue chargée du
nécessaire pour une pêche de trois jours. Source:
Mvetumbo (Londji I ,2011).
Ce mode de pêche a été introduit dans le
village Londji I par les ressortissants nigérians qui y sont
implantés depuis plusieurs décennies comme l'ont reconnu plus
d'un pêcheur autochtone:«Avant l'arrivée des
Nigérians, on ne pratiquait pas la pêche de trois jours ici. C'est
avec le temps que nous avons commencé à le faire»
(NANGA JEAN, Pêcheur, Batanga, Londji I, le 19/12/2010). Au niveau de
Nziou, cette formule a intégré l'arsenal de pêche des
populations par le biais des pêcheurs béninois. D'une
manière générale, elle offre selon nos informateurs,
l'opportunité de procéder à plusieurs opérations de
pêche et par ricochet, favorise la capture massive du poisson. Les
pêcheurs du village Londji I capturent au cours de ce long séjour
principalement: le bar, le mbounga, la carpe, la raie, les fritures, le bilolo,
le machoiron. Les pêcheurs de Nziou de leur côté en
compagnie de leur collègues Popo du Bénin en dehors des
espèces citées ci-haut pêchent aussi les petits requins.
Cependant, ces derniers estiment dans leur immense
majorité qu'il est un système de pêche coûteux au
regard des divers investissements dont nécessite une sortie en mer.
II-MATERIELS UTILISES DANS LA PECHE AU SEIN DES
PECHERIES DE NZIOU ET DE LONDJI I.