§3. L'épuisement des voies de recours
internes
Comme énoncé ci-haut, il ne suffit pas à
un individu d'avoir la nationalité ou encore moins d'avoir les mains
propres pour attendre l'intervention de son Etat d'origine, mais aussi d'avoir
épuisé les voies de recours internes devant les juridictions de
l'Etat responsable.
La condition de l'épuisement des voies de recours
internes est l'une des trois conditions de recevabilité de l'action en
protection diplomatique. Cette condition procédurale qui, plus
explicitement, fera participer l'individu à l'instance, est ainsi
essentielle à l'exercice de la protection diplomatique.
Elle signifie que l'individu doit avoir préalablement
épuisé les local remedies177avant que l'Etat
de nationalité endosse la protection diplomatique. Elle fait de la
protection diplomatique un mécanisme subsidiaire de la protection des
droits car celle-ci n'est mise en oeuvre que si les voies de recours internes
n'ont permis à l'individu d'obtenir satisfaction.
Il faudrait d'abord que l'individu ait tenté d'obtenir
justice par les juridictions internes de l'Etat qui l'aurait causé
préjudice, et ce n'est qu'après n'avoir pas obtenu gain de cause
qu'il pourra ensuite demander l'implication de son Etat de nationalité.
Cette règle est retenue tant dans la doctrine que dans la jurisprudence.
Il a été avancé l'idée que la responsabilité
internationale était intrinsèquement liée à la mise
en oeuvre de cette règle.
Nombreuses sont les affaires pouvant être
annexées pour appuyer cet argumentaire. Comme c'est le cas dans la
célèbre affaire Mavrommatis, la Cour permanente retient que :
« C'est un principe élémentaire du droit international que
celui qui autorise l'Etat à protéger ses nationaux
lésés par des actes contraires au droit international commis par
un autre Etat
176 Proclamation de Georges Washington du 22 Avril 1973
portant déclaration de neutralité des Etats-Unis dans la guerre
de coalition contre la France cité par J. Salmon, op.cit., p.223.
177 D. RUZIE cité par KASSABO Léon Dié,
op.cit., p.60.
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dont ils n'ont pu obtenir satisfaction par les voies
ordinaires178 ». Il assez est clair que l'épuisement des
voies de recours internes revêt le caractère d'une règle
coutumière du droit international.
De plus, dans son arrêt du 14 avril 1939 relatif
à l'affaire de La Compagnie d'électricité de
Sofia et de Bulgarie, la Cour Permanente a estimé qu'un arrêt
en Cassation n'était pas une voie de droit extraordinaire. Cette
décision doit être considérée comme
définitive, puisque la Cour de cassation bulgare est l'ordre juridique
suprême. Ainsi, selon la Cour : « La règle de
l'épuisement des recours internes (...) implique l'épuisement de
tous recours y compris ceux devant la Cour de cassation, laquelle seule peut,
soit-en cassant la sentence de la Cour d'Appel renvoyer l'affaire pour un
nouvel examen, soit en rejetant le pourvoi-rendre la sentence
définitive179 ».
Il sied de noter que cette position est explicite en ce sens
qu'elle précise que quel que soit le degré de la juridiction
nationale devant laquelle est exercé le recours, tant qu'elle est du
pays territorial alors elle reste interne.
A. Analyse du fondement de l'épuisement de voies
de recours internes
L'épuisement des voies de recours est une règle
tendant au respect de la souveraineté de l'Etat causant
préjudice. Si cette règle existe, c'est pour permettre à
l'Etat du préjudice de réparer le dommage causé par lui,
selon ses propres règles juridictionnelles internes. D'origine
coutumière, cette règle bien connue trouverait son origine dans
le devoir de respect dû à la souveraineté de l'Etat dont la
souveraineté est engagée180.
Si un Etat cause préjudice à un individu
résidant sur son territoire, il est donc assez logique que, du moins au
stade préliminaire de la procédure, ses règles de droit
interne interviennent pour le réparer.
Sans l'exercice des voies de recours internes, l'implication
directe de l'Etat pour le compte de son national sera mal observée, et
ce pour deux raisons. En premier lieu, ce serait une violation grave d'un
principe sacro-saint du droit international et qualifié par la Cours en
ce sens « d'un grand principe du droit international
coutumier181 ». Ce genre d'interventions aurait donc des
conséquences graves et serait considéré comme une
ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat. Comment
imaginer que l'individu puisse faire appel à son Etat
178 C.P.I.J, Affaire Mavrommatis, op.cit., p.12.
179 C.P.I.J., Affaire de la Compagnie
d'électricité de Sofia et de Bulgarie (Belgique c.
Bulgarie), 14 avril 1939, série A/B, n°77
180 Paul De VISSCHER cité par BORSUS Hélène,
op.cit., p.11.
181 Bertrand BAUCHOT, op.cit., p.119.
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de nationalité pour régler le différend,
alors que les moyens de droit interne sont ainsi à sa disposition ? Dans
ce cas, il y aurait bel et bien ingérence dans les affaires internes de
l'Etat territorial.
L'épuisement des voies internes a véritablement
pour bien fondé le respect de la souveraineté de l'Etat
territorial sur les individus se trouvant sur son territoire. Dans ce sens,
l'on se rapprocherait de l'idée évoquée par le juge
Cordova dans l'Affaire de l'Interhandel qui pense que la raison de
l'existence de cette règle (...) est la nécessité absolue
d'harmoniser les juridictions internationales et nationales assurant le respect
dû à la juridiction souveraine des Etats (...) L'on parvient
à cette harmonie, à ce respect de la souveraineté des
Etats, en accordant priorité à la juridiction des tribunaux
internes de l'Etat dans les affaires où des étrangers
introduisent un recours contre un acte des autorités exécutives
ou législatives182.
Pour pallier ces problèmes d'ingérence et de
violation de la souveraineté étatique, les Etats ont
adopté, dans leurs relations conventionnelles, de
légiférer le recours de cette règle. En application de
cette règle, l'Accord de coopération franco-américaine du
28 juin 1948, ayant trait à l'application en France du plan Marshall
prévoit son article 10 alinéas 3 : « Il est également
entendu qu'aucun des deux gouvernements ne présentera aux termes du
présent article, de réclamations d'un de ses ressortissants avant
que celui-ci n'ait épuisé les voies de recours qui lui sont
ouvertes devant les tribunaux administratifs et judiciaires du pays où
la réclamation prend naissance »183.
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