§2. La théorie des mains propres
Il ne suffit pas à un individu d'être
détenteur la nationalité d'un Etat quelconque pour espérer
de ce dernier une protection diplomatique, mais aussi d'avoir un comportement
irréprochable ou une bonne conduite dans l'Etat de séjour qui
constitue l'une des conditions de recevabilité de la protection
diplomatique.
Etroitement liée au comportement de l'individu, la
théorie des mains propres est l'une des conditions procédurales
clef de l'endossement étatique. En effet, l'Etat ne prendra fait et
cause pour son national que si et seulement si celui-ci a eu, dans l'ordre
juridique interne de l'Etat responsable, un comportement irréprochable
ou non dommageable. Un Etat ne pourrait pas faire valoir les droits d'un
national qui a commis une faute.
Le comportement de l'individu est pris en compte dans la
détermination de la responsabilité de l'Etat hôte ; la
faute de la victime peut être (réelle), peut ainsi être
invoquée soit pour atténuer celle-ci soit pour
l'exonérer170.
168 Arrêt, Nottebohm, 6 avril 1955
169 J.-F. Flauss cité par BORSUS Hélène,
op.cit., p. 11.
170 M. BENNOUNA, op.cit. p. 321.
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A. Analyse d'un comportement irréprochable
Selon la théorie des mains propres, pour les juristes
anglophones : « la personne physique ou juridique étrangère
doit avoir eu une conduite correcte envers l'Etat territorial, s'en tenant
à ses lois et ne se mêlant pas de ses affaires politiques internes
pour pouvoir se réclamer de la protection diplomatique de son propre
Etat »171.
Dans le cadre d'un différend international, et devant
la Cour internationale de justice, les Etats, lorsqu'ils présentent des
exceptions préliminaires, ont souvent la coutume d'aborder celles
relatives au comportement dommageable de l'individu qui se dit victime d'un
préjudice de la part de l'Etat hôte. Les divergences doctrinales
de point de vue ont été assez abondantes en ce qui concerne la
base de cette règle. A cet égard, Borchard retient que : «
La protection diplomatique peut être refusée à un national
ou retirée à ce dernier et une demande en sa faveur peut
être rejetée ou rayée du rôle si la conduite
blâmable de ce national lui a fait perdre le droit à la protection
nationale »172. Il s'avère que si l'Etat du national
oeuvrait tout de même en faveur de son national malgré son
comportement dommageable, il serait qualifié d'Etat irresponsable.
Dans la même perception, Louis CAVARE écrit que
l'individu, se trouvant à l'étranger est tenu, voire
obligé de se conformer à une certaine attitude de faire
discrétion et de loyauté envers l'Etat sur le territoire duquel
il se trouve173. D'après cette conception, le recours
à la protection diplomatique ne pourra être envisageable
qu'à la condition que cette conduite blâmable ait
été involontaire. En somme, l'individu ne doit pas avoir, de par
son comportement, enclenché le dommage dont il est victime pour
espérer bénéficier de son Etat une protection quelconque.
Il importe de dire que si l'individu est accepté par la pays où
il réside, il est tenu par contre de se conformer à ces
règles et d'en respecter les prescriptions.
Dans la Sentence arbitrale rendue le 5 janvier 1935 par la
Commission arbitrale Canada-Etats-Unis, l'affaire dite du I'm
alone174, certains auteurs ont reconnu que les arbitres ont
estimé, à juste titre que, bien que le bateau canadien
coulé par les garde-côtes américains contenait un
chargement illégal et frauduleux d'alcool et de contrebande, il n'en
demeurait pas moins que le gouvernement canadien devrait être
indemnisé de la perte de l'équipage. En effet, il ne pouvait
être indemnisé de la perte du chargement frauduleux et du bateau,
mais il
171 Garcia-Arias cité par Salmon J.A, Des « mains
propres » comme condition de recevabilité des réclamations
internationales, A.F.D.I, 1964, pp. 225-266.
172 Ann. I.D.I, éditions Pédone, 1931, pp.
423-424.
173 Louis CAVARE, Le droit international public positif,
3ème édition, Pedone, 1967, vol I, p. 806
174 Affaire du I'm alone, Commission des réclamations
Canada-Etats-Unis, S.A, 5 janvier 1935, R.S.A, vol. II, pp. 1611-1618.
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avait subi un préjudice du fait de la disparition de
ses nationaux. Il en ressort que ces derniers, au regard de la théorie
des mains propres et, eu égard aux faits, n'étant pas directement
responsables du dommage qui leur a coûté la vie.
Cette position est plus que discutable puisque, même
s'il est reconnu que ce sont les Etats-Unis qui, les premiers, sont à
l'origine directe du dommage, il est évident que les victimes n'avaient
pas eu un comportement irréprochable étant donné qu'ils
étaient au courant du contenu de la cargaison, celle-ci avait une
origine frauduleuse et était destinée à un trafic
illégal. En ce sens, on peut estimer que, selon la théorie des
mains propres, les marins canadiens étaient, en raison de leur
comportement, responsables de leur dommage. Tout sera donc une question
d'appréciation du juge.
B. Comportement reprochable comme cause
d'irrecevabilité
Comme il a été fait mention, l'individu
participe donc, directement, à l'instance en ayant un comportement
irréprochable. Ce sera donc en appréciant souverainement la
nature de ce comportement que l'Etat acceptera de prendre fait et cause pour
son ressortissant lésé. En effet, l'absence d'une conduite
inconvenante envers l'Etat territorial, l'Etat de nationalité ne pourra
intervenir. Bien que ce comportement soit non préjudiciable,
l'intervention de l'Etat de nationalité reste discrétionnaire
quand bien même la condition des mains propres serait remplie. Ainsi, les
Etats peuvent légitimement s'abstenir de prendre fait et cause pour
leurs nationaux, en endossant leurs réclamations, s'ils ne les estiment
pas dignes de leur appui175.
Malgré les confrontations doctrinales y relatives, le
constat observé est que le non-respect de la théorie des mains
propres constitue à lui seul une véritable cause
d'irrecevabilité de la demande. Donc toute demande résultant d'un
fait individuel reprochable. Il incombe alors à l'individu
résidant à l'étranger, s'il veut éventuellement
voir sa cause internationalement défendue par son Etat, de se comporter
de manière raisonnable, correcte et licite dans l'ordre juridique de
l'Etat de résidence.
C'est seulement à cette condition que l'individu pourra
exiger à son Etat d'intervenir en sa faveur pour enfin plaider sa cause.
Cette pratique est énoncée déjà en 1793, par le
président américain, Georges Washington qui déclarait :
« (...) celui des citoyens des Etats-Unis qui se rendra punissable de
châtiment ou de confiscation en vertu du droit des gens en commettant,
aidant ou encourageant des hostilités contre une des dites puissances
(Autriche,
175 Bauchot BERTRAND, op.cit., p.110.
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Prusse, Sardaigne, Grande-Bretagne, Pays-Bas et France) ou
en lui transportant un des articles considérés comme contrebande
par l'usage actuel des Nations ne recevra pas la protection des Etats-Unis
contre cette punition ou confiscation176 ».
Déjà à cette époque, et les
exemples de ce genre nombreux, le non-respect de la théorie des mains
propres entrainait directement le refus de l'endossement. A contrario, cette
proclamation est la confirmation de l'importance que l'individu a de devoir se
comporter convenablement, s'il souhaite se voir diplomatiquement
représenté par son Etat de nationalité.
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