SECTION II : ANALYSE CRITIQUE DU CARACTERE
DISCRETIONNAIRE D'ENDOSSEMENT DE LA PROTECTION DIPLOMATIQUE.
Qui dit en matière de protection diplomatique droit
propre de l'Etat, dit logiquement droit discrétionnaire.
L'endossement de la protection diplomatique est une fiction et
entant que telle, fait du préjudice subit un individu à un
préjudice subi par son Etat. C'est ce que l'on qualifie de novation du
préjudice d'autant plus que l'objet de la protection diplomatique est de
substituer un sujet de droit international à une personne privée
afin que sa cause soit plaidée et défendue sur la scène
internationale'44.
En dépits des grandes théories classiques qui
font de la protection diplomatique un droit exclusif de l'Etat qui l'exerce
selon sa volonté, le constat est que l'individu est au centre de cette
institution. Il est l'élément déclencheur principal,
l'acteur même de cette action judiciaire au niveau
internationale'45. En effet, point n'est besoin de rappeler qu'avant
l'Etat, c'est l'individu lui-même qui est victime du préjudice qui
conduit à l'endossement.
Dans les faits, c'est l'individu qui subit un véritable
dommage dans ses droits qui engage ensuite l'Etat de ce dernier. Reconnaitre
à son Etat la qualité de victime fictive semblerait donc
insoutenable, dès lors qu'il n'a subi aucun préjudice
direct'46 mais force est de constater que dans la mise en oeuvre de
ladite protection, en prenant fait et cause pour ses ressortissants, l'Etat
fait valoir son «droit propre» et non celui des particuliers. Il y a
donc
142 Bertrand BAUCHOT, op.cit., p.6O.
143 G. Scelle cité par BORSUS Hélène,
op.cit., p.61.
144 Donante, op.cit., p.23
145 Aspect précisé par nous
146 Bertrand BAUCHOT, op.cit., p.90
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substitution entre la «personne privée» de
l'individu à celle «publique internationale» de l'Etat.
L'institution diplomatique n'a de sens que si le national a
subi un préjudice causé par un Etat étranger. Pour cela,
malgré la position plus qu'ambiguë de l'individu en droit
international, il n'en demeure pas moins qu'il s'est vu reconnaitre un statut
particulier lui permettant de participer, certes indirectement, à
l'instance de la protection diplomatique. De par son statut, le national est
totalement exclu au profit de l'Etat.
De côté, il est possible de constater qu'à
de nombreux points de vue, l'on assiste à une métamorphose, voire
une mutation, de l'institution de la protection diplomatique. Depuis quelques
temps, la place de l'individu au sein de cette institution, semble avoir pris
beaucoup plus d'ampleur147. Une tendance nouvelle du droit
international, prenant plus en considération les intérêts
particuliers, semble reconnaitre à l'individu un droit simplement
subjectif à la protection diplomatique, ou du moins, un droit restreint
à cette protection en favorisant les prérogatives
étatiques.
Cela s'explique par le fait que lorsque le droit international
a pris naissance, l'individu n'avait pas sa place dans l'ordre juridique
international et il n'y avait donc aucun moyen de protéger ses droits.
Les Etats étaient les seuls à qui étaient reconnus la
personnalité juridique internationale, le seul moyen de protéger
un national lésé à l'étranger était de
recourir à une fiction, la fiction selon laquelle le préjudice
qui était causé à ce national était causé
directement à l'Etat lui-même148. Le préjudice
causé au national était imputé à l'Etat pour
faciliter l'assistance judiciaire.
Ainsi, le fait pour un national d'un Etat A séjournant
sur le territoire d'un Etat B, y soit lésé dans ses
intérêts, celui-ci ne lui ouvre aucune voie directe ou ne lui
donne pas un droit d'obtenir réparation dans l'ordre juridique
international. Cette fiction n'était toutefois qu'un moyen, la fin
étant la protection des droits d'un national lésé.
Actuellement, la situation est totalement différente.
L'individu fait l'objet de nombreuses règles primaires du droit
international, coutumier ou conventionnel, qui le protègent dans son
pays, contre les gouvernements étrangers. L'individu jouissant
actuellement de certains droits considérés de naturels pouvant le
mettre sur la scène internationale, nous pensons que chacun Etat devrait
prendre à coeur le plus grand bien de ses nationaux qui ont subi le
préjudice et veiller à ce qu'ils soient indemnisés.
147 Ibidem
148 Annuaire de la commission du droit international, Rapport
de la commission à l'Assemblée générale sur les
travaux de sa cinquante-huitième session, Volume II, 2006, p.25.
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Selon plusieurs auteurs, la plupart des Etats protecteurs
reversaient déjà en pratique l'indemnisation reçue aux
particuliers lésés'49 et c'est ainsi que l'Art. 19 du
projet d'article dispose désormais que l'Etat exerçant sa
protection diplomatique « devrait transférer à la personne
lésée toute indemnisation pour le préjudice obtenu de
l'Etat responsable, sous réserve de déductions raisonnables
»'50. Sans l'imprécision des termes «
déductions raisonnables », la disposition va à l'encontre de
la règle du droit discrétionnaire de l'Etat énoncé
de la « fiction Mavrommatis ».
Dans l'arrêt rendu dans l'Affaire Diallo en 2012, la
C.I.J. n'hésite pas à affirmer que « l'indemnité
accordée à la Guinée, dans l'exercice par celle-ci de sa
protection diplomatique à l'égard de M. Diallo, est
destiné à réparer le préjudice subi par celui-ci
»'5'. Certes, l'affirmation ne figure pas au dispositif de
l'arrêt, mais il n'en demeure pas moins, comme l'a soulevé A.
Tournier, qu'elle illustre parfaitement l'évolution de la conception de
la protection diplomatique'52.
Il sied de noter que c'est le préjudice subi par les
individus qui sert de base à l'évaluation de l'indemnisation.
L'indemnisation est le résultat de l'action en protection diplomatique.
Dans la mesure où l'endossement de la protection diplomatique
relève du pouvoir discrétionnaire, celle-ci relève
également du pouvoir discrétionnaire de l'Etat. Le pouvoir
discrétionnaire de l'Etat dans l'indemnisation signifie que l'Etat est
tout à fait libre dans l'endossement que dans la détermination et
dans le versement de celle-ci.
L'évolution de la place de l'individu nous amène
à réfléchir à la relativisation de ce pouvoir
discrétionnaire. En effet, le pouvoir discrétionnaire dans la
détermination de l'indemnisation a tendance à connaitre un
encadrement du fait de la prise en compte du dommage causé à
l'individu. Dans l'Affaire de l'Usine de Chorzow'53 la Cour
permanente de justice internationale retient que bien que le dommage
causé à la personne privée ne soit jamais identique en
substance au préjudice subi par l'Etat, il peut fournir « une
mesure convenable de la réparation due à l'Etat ». Il
découle que d'une part, le dommage subi par l'individu est la mesure du
dommage subi par l'Etat et, d'autre part, que la liberté de l'Etat dans
la formulation de sa réclamation est subordonnée à la
consultation de l'individu. Le
149 John DUGARG, septième rapport sur la protection
diplomatique, op.cit., p.40.
150 Projet d'articles sur la protection diplomatique et
commentaires y relatifs, op.cit., p.97.
151 C.I.J., arrêt Diallo, op.cit., §57.
152 A. Tournier cité par BORSUS Hélène,
op.cit., p.30.
153 C.P.I.J, Arrêt du 26 juillet 1927 (compétence),
Affaire de l'Usine de Chorzow (Allemagne c. Pologne), Rec.
Série A, n°9, p.28.
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pouvoir discrétionnaire de l'Etat dans la
détermination de l'indemnisation est établi mais il est
encadré par la prise en considération du dommage individuel.
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