§5. L'individu
A. Notion
Selon Jean SALMON, l'expression « individu » renvoie
à l'idée de l'être humain, personne privée, personne
humaine, particulier ; il ajoute que ces différents termes sont
synonymes115.
La déclaration universelle des droits de l'homme parle
plus souvent de « personnes » (Art.8, 10 à 14, 17, 18, 20
à 28), mais aussi quelque fois d' « individu » sans pour
autant le définir ; Art.3 sur le droit à la vie ; Art.15 sur la
liberté d'expression. L'individu a des devoirs envers la
communauté dans laquelle seul le libre et plein développement de
sa personnalité est possible116.
115 J.SALMON, op.cit., p.573.
116 Déclaration universelle des droits de l'homme de
1948
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Le pacte international relatif aux droits civils et politiques
emploie rarement le mot « individu » (Art.9) et préfère
opter pour le mot « personne » sans que cette distinction paraisse
avoir une portée quelconque.
B. La place de l'individu dans l'ordre juridique
international
Il est question d'aborder la vision classique de l'individu en
droit international(1) et de voir l'émergence de l'individu en droit
international (2).
1. L'individu titulaire de droits internationaux
Comme l'a rappelé la C.P.J.I dans l'Affaire du
Lotus, « Le droit international régit les rapports entre
des Etats indépendants »117. Les tenants de la
conception traditionnelle des sujets de droit international se fondaient sur ce
principe pour établir que seul l'Etat pouvait avoir acquérir des
droits de nature internationale118.
La responsabilité internationale était
considérée comme constituant exclusivement une relation d'Etat
à Etat119.
Les individus étaient naturellement exclus de cette
structure classique. Ainsi, comme l'affirme
Decencière-Ferrandière en 1925, « Ils (les
individus) ne peuvent fonder sur lui (le droit international)
aucune prétention de même qu'ils ne peuvent le violer en
aucune manière pour la raison bien simple que le droit international ne
s'adresse pas à eux »120.
De même, pour D. Anzilotti, « La conduite de
l'Etat, du point de vue du droit des gens, peut donc être contraire au
droit d'un ou plusieurs autres Etats, mais elle ne peut pas se trouver en
contradiction avec un droit de l'individu (...) »121.
Et de son côté Charles ROUSSEAU
préfère développer les effets, sur la réclamation,
de ce droit étatique. En effet, il retient que : « Les effets
de l'endossement ou de la protection diplomatique se ramènent à
cette idée que, lorsque l'Etat endosse une réclamation, il l'a
fait senne : d'individuelle, celle-ci devient nationale et étatique
»122
Les trois parviennent à la conclusion selon laquelle
les conventions internationales ou les règles coutumières peuvent
avoir pour objet d'attribuer des droits à des personnes
privées123. Dans cette hypothèse, l'obligation,
née dans le chef d'un Etat de se comporter d'une manière
déterminée à l'égard d'individus, n'existe pas
envers ces derniers mais envers
117 C.P.J.I, Affaire du Lotus, 7 septembre 1927, Rec.
CPJI, série A n°10, p.18
118 F.V.GARCIA Amador, op.cit, p.193.
119 A. DECENCIERE-FERRANDIERE cité par BORSUS
Hélène.
120 Ibidem
121 D.ANZILOTTI, op.cit., p.6.
122 Rousseau C., op.cit., p.190.
123 Ibidem.
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un ou plusieurs autres Etats124. Il ne fait donc
aucun doute que la protection diplomatique est analysée par la doctrine
comme un droit de l'Etat.
Naturellement, ce sont uniquement ces Etats, titulaires du
droit, qui pourront mettre en oeuvre la responsabilité internationale
lorsque l'Etat, sur qui repose l'obligation, ne l'a pas
respectée125. Par ailleurs, la source des droits de
l'individu ne peut être que des normes internes même si celles-ci
ont pour objet de transporter des traités internationaux attribuant des
droits aux individus126.
Pour ces trois auteurs, les individus visés ne seront
pas qualifiés de « sujets » de droits internationaux mais
« d'objets » de la norme internationale.
2. L'émergence de l'individu en droit international
La place de l'individu en droit internationale est
jusqu'à ce jour mal définie ou floue et à ce sujet, la
doctrine a été vivement controversée par divers points de
vue.
En 1956, le rapporteur spécial de la C.D.I,
déclara que la notion classique des sujets de droit international
était devenue incompatible avec le droit international
actuel127. Plus de trois décennies plus tard, le rapporteur
spécial de la C.D.I sur la protection diplomatique soulignait à
son tour que « le développement des droits de la personne
humaine, à laquelle on reconnait de plus en plus la qualité de
sujet de droit international, devrait amener la Commission à
reconsidérer le droit classique en matière tel qu'affirmé
avec force en l'affaire des Concessions Mavrommatis
»128.
Par opposition aux théoriciens classiques, de nombreux
auteurs ont admis que le particulier ou l'individu peut être doté,
sous certaines conditions, d'une personnalité juridique internationale.
L'évolution du statut de l'individu est perceptible dans la doctrine
dès les années vingt mais son étendue et son fondement
varient selon les auteurs.
En 1922, P. Fauchille déclarait que l'homme
était doté d'une individualité propre. Selon l'avocat
français, la distinction entre un Etat et un individu résidait
dans l'idée que ce dernier, sujet de droit international et de droit
interne, présentait un caractère mixte129.
G. Scelle, quant à lui, qualifiait les individus d'
« agents juridiques internationaux »130. Il s'opposera sur
cette base à la pratique classique de la protection
124 Ibidem.
125 Ibidem, pp. 6-7.
126 A.DECENCIERE-FERRANDIERE cité par BORSUS
Hélène, op.cit., p.3
127 F.V.GARCIA Amador, op.cit. p.193.
128 Mohamed BENNOUNA, op.cit. p.319.
129 P. Fauchille cité par BORSUS Hélène,
op.cit., p.5.
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diplomatique qui a pour effet, selon l'auteur d'évincer
le particulier pourtant « véritable sujet de droit
»131.
S'il est aujourd'hui acquis que la qualité de sujet de
droit international n'est plus réservée à l'Etat, la
doctrine majoritaire reconnait que la capacité juridique
conférée aux particuliers est limitée et soumise à
plusieurs exigences.
La plus évidente d'entre elles implique que des normes
internationales, d'origine coutumière ou conventionnelle,
établissent des droits ou des obligations dont les destinataires sont
les personnes privées132.
La C.P.J.I et à son tour, la C.I.J ont explicitement
reconnu dans plusieurs affaires qu'une convention internationale avait pu faire
naitre des droits individuels dans le chef des particuliers133.
En 1928, la C.P.J.I fut invitée à rendre un avis
consultatif à propos de la compétence des tribunaux de Dantzig
dans un litige opposant des fonctionnaires dantzikois, passés au service
de l'administration polonaise en vertu d'un traité international, et la
Pologne134.
»136.
La C.P.J.I rappelle le principe en vertu duquel un accord
international ne peut, comme tel, créer directement des droits et des
obligations pour les particuliers135. Elle ajoute toutefois qu'on ne
saurait contester « que l'objet même d'un accord international,
dans l'intention des parties contractantes, puisse être l'adoption, par
les parties, de règles déterminées, créant des
droits et des obligations pour des individus (...)
En 1999, l'Allemagne a introduit devant la C.I.J une action
contre les U.S.A. pour violation de la Convention de Vienne sur les relations
consulaires137. Karl et Walter Lagrand étaient des
ressortissants allemands qui, après avoir été
condamnés à mort par les juridictions américaines pour
meurtre aggravé, furent tout deux exécutés. L'Allemagne
estimait qu'en n'informant pas les frères Lagrand des droits
prévus à l'article 36, §1, b) de la Convention, les U.S.A.
ont, d'une part, privé l'Allemagne de la faculté de fournir son
assistance consulaire et, d'autre part, violé les droits individuels de
Karl et Walter Lagrand.
Sur ce dernier point, les U.S.A. ont soutenu que
c'étaient les Etats et non les individus qui étaient titulaires
des droits que reconnait la Convention. Rejetant cet argument, la C.I.J a
130 G. Scelle cité par Ibidem.
131 Ibidem
132 G. COHEN-JONATHAN cité par BORSUS
Hélène, op.cit., p.6.
133 Lire à cet égard le commentaire de l'article 33
du projet de 2001 : Projet d'articles sur la responsabilité de
l'état pour fait internationalement illicite et commentaire y
relatifs.
134 C.P.J.I, 3 mars 1928, Compétence des tribunaux de
Dantzig, Rec. C.P.J.I., Série B, n°15, pp.17-18.
135 Ibidem
136 Ibidem
137 Cfr. Arrêt Lagrand.
33
conclu que « le paragraphe 1 de l'article 36
crée des droits individuels qui, en vertu de l'article premier du
protocole de signature facultative, peuvent être invoqués devant
la Cour par l'Etat dont la personne détenue a la nationalité
»138.
Si l'attribution de droits individuels par des conventions
internationales a donc été admise par la doctrine et la
jurisprudence internationale, une seconde condition,
régulièrement invoquée par les auteurs comme
préalable à la reconnaissance de la personnalité
internationale des individus, pose plus de difficultés.
La qualité de sujet immédiat de droit
international ne sera en effet généralement reconnue qu'aux
personnes capables de faire valoir elles-mêmes leurs droits devant une
juridiction ou un organe international139.
La protection diplomatique demeure, en ce qui concerne la
responsabilité engagée pour violation des autres droits reconnus
aux particuliers, la pratique dominante.
A ce stade, nous précisons que la liste des concepts
définis dans le cadre de ce chapitre n'est pas exhaustive140,
d'autres concepts peuvent être définis si nécessaire dans
le chapitre suivant.
138 Ibidem, §77.
139 C. TH. EUSTATHIADES cité par Borsus
Hélène, op.cit., p.7.
140 Ce sont des concepts comme compétence personnelle,
responsabilité internationale, fait internationalement illicite...
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CONCLUSION DU PREMIER CHAPITRE
Il a été question dans le présent
chapitre de définir certains concepts de base, ceci dans l'objectif
d'une exigence scientifique comme le dit MERTON141, un chercheur
conscient de ses besoins ne peut passer outre la nécessité de
clarifier, car une exigence essentielle de la recherche est que les concepts
soient définis avec une clarté suffisante pour lui permettre de
progresser et afin d'apporter une bonne compréhension dans la lecture du
présent travail.
En effet, nous sommes partis de l'idée de classifier le
droit international public qui est une branche de droit public qui régit
d'une manière générale les relations entre Etats qui
l'octroient la qualité de sujet « originaire » et voire les
autres membres de la société internationale (organisations
internationales, l'individu).
Parlant de la souveraineté, il fallait signifier que
chaque Etat jouit d'une portion d'autorité en droit international au
même titre que tous les autres Etats souverains, ce qui revenait à
dire qu'il n'y a pas d'autorité supérieure établie en
droit international.
Concernant la protection diplomatique, il a été
question de mettre en exergue les fondements de manière
systématique de par sa vision classique qui incarnait l'idée
selon laquelle l'objet de cette protection serait la promotion du droit propre
de l'Etat au détriment du droit de l'individu qui est au
l'élément déclencheur de ladite protection.
Pour l'individu, la place de celui-ci en droit international a
été jusque-là floue. Ainsi, la controverse doctrinale a pu
démontrer qu'aujourd'hui l'individu pouvait être
considéré comme l'un des sujets dérivés du droit
international pouvant éventuellement être titulaire des droits et
d'obligations dans la sphère internationale.
141 MERTON, Dictionnaire universel, édition
HACHETTE, Paris, 1996-1997, p.52
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