Avez-vous déjà changé de
contexte professionnel ou connaissez-vous des contextes professionnels
multiples ?
Je suis sortie de l'école de Rennes118 en
2013 dans la continuité de ma formation initiale. J'ai effectué
mon stage professionnel au Centre Hospitalier Universitaire de Toulouse et j'ai
pris mon premier poste au centre hospitalier d'Albi en tant que directrice des
affaires financières119. Je m'occupais aussi du
contrôle de gestion, des admissions et, au départ, des
systèmes d'information remplacés ensuite par la gouvernance
après une révision des périmètres. Ensuite je suis
arrivée au centre hospitalier d'Arcachon comme directrice adjointe,
toujours chargée des finances mais également des achats avec
notamment le projet de mise en oeuvre de la fonction achat mutualisée au
niveau du groupement hospitalier de territoire. Nous avons piloté ce
projet en binôme avec le directeur des achats du CHU de Bordeaux.
J'occupe la Direction des Ressources Humaines, des affaires médicales et
des affaires générales depuis un peu plus d'un an, toujours au
centre hospitalier d'Arcachon. Cela m'a permis de découvrir à la
fois deux établissements différents et surtout des directions
fonctionnelles et des périmètres très
différents.
Êtes-vous prête à changer
d'établissement ou à passer par un détachement hors de
votre établissement pour explorer de nouveaux contextes professionnels
et ainsi pérenniser votre employabilité dans différents
types d'établissements ?
Oui, tout à fait. Pas forcément pour
pérenniser mon employabilité mais plutôt par
curiosité personnelle et professionnelle, pour développer mes
compétences et ma motivation aussi. J'ai besoin de changer
régulièrement d'établissement ou de fonction : soit en
restant dans le
118 École de Rennes : École des Hautes
Études en Santé Publique (EHESP)
119 La formation de directeur d'hôpital à l'EHESP
est une formation pluridisciplinaire, avec un fonctionnement similaire à
celui de l'ENA (École Nationale d'Administration) amenant à
exercer à tous les postes de direction au sein des établissements
publics et administrations du secteur sanitaire et médico-social.
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secteur hospitalier public, soit même en envisageant de
découvrir d'autres horizons. Ce sont des perspectives qui me
plaisent.
Quels sont selon vous les bénéfices des
changements de contexte professionnel ?
Pour moi il y a un double bénéfice, il y a le
bénéfice que j'en retire personnellement et le
bénéfice pour les établissements dans lesquels j'apporte
ma contribution.
C'est important de développer mes compétences
pour maintenir ma motivation. Quand on reste dans le même
établissement, on a tendance à croire que les modes de
fonctionnement auxquels on participe sont immuables. Dans le premier
établissement dans lequel j'ai travaillé, j'ai découvert
comment fonctionne un établissement de santé et je me suis
rapidement habituée à certaines pratiques et organisations. En
changeant de structure, on se rend compte que les choses ne fonctionnent pas du
tout de la même manière d'un établissement à
l'autre. Pour cela, c'est vraiment important de changer : pour se rendre compte
que toutes les organisations sont vraiment modifiables et ne pas le perdre de
vue. Il y a toujours la possibilité de modifier les organisations si on
prend le temps d'accompagner le changement.
Pour les établissements, le bénéfice
c'est d'avoir régulièrement un regard neuf et de nouvelles
idées. Les personnes extérieures qui viennent avec leur
expérience et leurs compétences permettent d'impulser des
changements. Elles ont une ouverture d'esprit et la conscience que cela peut
fonctionner différemment.
Selon-vous, votre métier est-il amené
à changer dans les prochaines années ? Quels sont les changements
à envisager spécifiquement liés aux nouvelles technologies
?
Je me considère avant tout comme une directrice
d'hôpital avant de me considérer comme une DRH. J'ai
découvert la fonction de DRH il y a un an et j'adore vraiment ce que je
fais mais je me positionne plutôt comme directrice d'hôpital avec
cette possibilité d'exercer différentes fonctions au cours de ma
carrière. C'est aussi lié au fait d'exercer dans un
établissement de taille moyenne : bien sûr chacun a son
périmètre mais on mène beaucoup de projets transversaux et
on est au coeur de la stratégie.
J'ai déjà vu pas mal de changements en sept ans
sur le métier de directeur d'hôpital. L'hôpital est
aujourd'hui sous le feu des projecteurs. Avec la crise sanitaire qu'on
traverse, il va y avoir
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des réformes à concevoir et à mettre en
place au niveau du fonctionnement de l'hôpital public et forcément
cela impacte le métier de directeur. Cela avait déjà
démarré avec les groupements hospitaliers de territoire et
l'ouverture de l'hôpital qui s'ouvre sur la ville, le
médico-social, la prévention. On décloisonne de plus en
plus. La gouvernance hospitalière avait bien évolué aussi
avec les pôles d'activité et cela va continuer. On parle d'aller
encore plus loin dans la médicalisation du pilotage des hôpitaux
c'est aussi quelque chose qui aura un impact sur notre métier : le
binôme directeur/médecin est essentiel ! Il est amené
à se consolider.
Quant à l'évolution par rapport aux outils
numériques, c'est plutôt dans le positionnement de l'hôpital
dans son environnement territorial qu'on sent vraiment leur importance. C'est
un domaine qui avait été un peu mis de côté dans les
hôpitaux. Chacun a développé ses propres outils
indépendamment, il n'y avait pas eu de stratégie
générale mise en place et il y avait de fortes disparités.
Le premier plan « Hôpital numérique » a essayé de
lancer une dynamique pour que tous les établissements priorisent les
mêmes choses dans leur développement numérique et
atteignent des niveaux de maturité équivalents. Il y a
désormais un nouveau palier à passer pour à la fois
atteindre un niveau de numérisation plus important et pour
échanger plus facilement. Aujourd'hui, nous n'avons pas les mêmes
outils et cela complexifie la communication entre établissements. C'est
un vrai défi pour demain.
En quelque mots, que savez-vous des implications de
l'intelligence artificielle dans le domaine de la santé ? Est-ce un
sujet auquel vous vous intéressez ?
Ce n'est pas un sujet auquel je me suis
intéressée de façon systémique. Je ne me suis pas
demandée comment j'allais le développer dans mon
établissement. En revanche effectivement nous en sommes entourés
et cela infuse tous les domaines : le domaine de la technologie médicale
est probablement le plus mature et développé dans certaines
activités comme l'imagerie et la chirurgie. Dans le domaine
administratif, dans les outils qu'on nous propose, on voit désormais des
systèmes qui intègrent l'intelligence artificielle.
Selon vous, quel(s) type(s) d'impact(s)
(positifs/négatifs) les nouvelles technologies et l'intelligence
artificielle ont-elles / auront-elles sur votre métier ?
Spontanément, je n'ai pas d'appréhension
négative quant à l'intégration de l'intelligence
artificielle à l'hôpital. Je vois une vigilance à avoir
pour les intégrer à bon escient et faire en
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sorte que cela puisse être des technologies
complémentaires, qui viennent en appui d'une stratégie. Je ne
crois ni à l'outil pour l'outil ni au process pour le process, il faut
toujours valider le but qu'ils poursuivent.
L'hôpital est un gros employeur et l'intelligence
artificielle va assurément supprimer certains métiers, y compris
les plus élevés dans la hiérarchie des compétences.
A terme, on peut tout à fait imaginer que la machine pourra prendre des
décisions stratégiques, poser un diagnostic et prescrire un
traitement par exemple. Mon rôle de DRH est d'accompagner les
professionnels dans ces changements pour qu'ils puissent s'adapter et les vivre
le plus sereinement possible.
Quant à mon métier de DRH, il existe
déjà de nombreux outils pour automatiser les process RH, pour
développer les échanges avec les professionnels, des algorithmes
permettant de faire des recrutements, de la gestion prévisionnelle des
métiers et des compétences, etc.
D'après vous, quelles sont les actions
à mettre en place pour anticiper l'évolution des changements dans
votre quotidien professionnel liés aux nouvelles technologies et plus
spécifiquement à l'intelligence artificielle à court,
moyen et long terme ?
Il faut vraiment qu'il y ait une vision, une
stratégie, il faut toujours avoir ça en tête quel que soit
son niveau hiérarchique ou fonctionnel. Il ne faut pas céder
uniquement au côté « gadget » qui peut plaire à
certains ou, au contraire, en rebuter d'autres. Si on l'intègre dans une
réflexion générale, alors il peut y avoir de nombreux
bénéfices et on peut partager cette approche avec l'ensemble de
la communauté hospitalière. À un moment donné on
veut développer une politique. Pour la mettre en oeuvre on va avoir
besoin d'un outil. Qu'il y ait, ou pas, de l'intelligence artificielle dans
l'outil ne change pas la donne ni la manière de procéder.
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On parle d'intelligence artificielle en comparaison de
la vision/perception que nous avons de l'« intelligence » humaine. Si
toutes les qualités humaines pouvaient être inculquées aux
machines, quelles seraient selon vous les principales à transmettre ?
Pourquoi et dans quelle mesurent cela vous parait-il possible ? Jusqu'où
doit aller la machine ? Doit-elle rester un outil d'aide à la
décision ?
Je ne suis pas experte du domaine mais je pense que la
machine peut aller beaucoup plus loin que l'homme en matière
d'intelligence pure. On est au-delà du simple modèle
mathématique que peut sortir un ordinateur : on est sur une
décision, a priori la meilleure, sans biais et validée par la
prise en compte de paramètres beaucoup plus nombreux que ne peut en
contenir un cerveau humain. Cela peut être très intéressant
pour sécuriser. La qualité et la sécurité des soins
sont attendus de la part de la population et des professionnels. L'intelligence
artificielle peut nous aider à sécuriser encore davantage les
pratiques.
On parle également beaucoup aujourd'hui du risque de
perte d'humanité dans les établissements. C'est ce que les
professionnels mettent en avant durant les grèves : le manque de moyens
dans les hôpitaux, qu'on n'a plus forcément de temps pour prendre
en charge les patients, pas uniquement sur le plan technique, mais surtout sur
le plan humain. Si on pouvait transmettre des qualités humaines aux
machines, je pense qu'il y faudrait prioriser le respect, l'éthique,
l'écoute et la bienveillance. Toutes ces choses qui participent au
prendre soin et qui sont des valeurs essentielles des professionnels de
santé en général. Lors d'enquêtes ou dans les
groupes de réflexion qui existent à l'hôpital, ce sont
souvent ces termes qui ressortent. On ne travaille pas à l'hôpital
par hasard, quel que soit son poste. C'est parce qu'on a conscience et envie
d'incarner ces valeurs-là.