Avez-vous déjà changé de
contexte professionnel ou connaissez-vous des contextes professionnels
multiples ?
Oui. J'étais consultante avant : en stratégie
d'entreprise et en développement RH. J'ai travaillé à la
fois dans des secteurs financiers, industriels, dans du service à la
personne, dans tout un tas de contextes dans lesquels il y a une
nécessité de s'adapter à chaque fois dans de nouvelles
entreprises, avec de nouveaux modes de fonctionnement, de nouvelles
équipes. J'ai fait ça pendant huit ans. C'est un métier
qui m'a permis de découvrir de nombreux secteurs et que les
différences relèvent uniquement de ces secteurs. Dans
l'organisation, dans les problématiques et dans ce qu'il se passe
structurellement, on est toujours sur des choses qui sont relativement
similaires.
Si non, êtes-vous prêt à changer
d'établissement ou à passer par un détachement hors de
votre établissement pour explorer de nouveaux contextes professionnels
et ainsi pérenniser votre employabilité dans différents
types d'établissements ?
J'ai besoin de projets et de me renouveler dans ce que je
fais. Aujourd'hui, je suis actionnaire et dirigeante de l'établissement
donc à ce jour ce n'est pas du tout prévu mais dans quelques
années, c'est quelque chose de tout à fait possible. La porte
n'est pas fermée. Quand j'aurai fait le tour si je ne m'épanouis
pas comme je le souhaiterais dans mon métier, je me poserai les
questions qu'il faut pour changer, soit dans cet établissement, dans
cette structure et la faire évoluer, soit changer tout court
d'entreprise.
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Quels sont selon vous les bénéfices des
changements de contexte professionnel ?
Je le vois en matière de RH à la clinique : on
a des personnes qui restent dans l'établissement et qui font des
carrières de vingt, trente, trente-cinq ans chez nous, d'autres qui,
avec les nouvelles générations, vont rester trois, quatre ans ou
même moins. Tout dépend des personnes.
Personnellement c'est quelque chose qui m'a beaucoup
apporté. C'est aussi pour ça que j'avais choisi le métier
de consultante à la base : je n'avais pas envie de me mettre dans UNE
voie, dans UN secteur d'activité spécifique. J'avais vraiment
envie de découvrir un maximum de choses, de rencontrer des personnes,
surtout avec des expériences différentes et cela a vraiment
été le cas. Au bout de huit ans, j'ai quand même eu envie
de me poser dans une entreprise. Ça dépend vraiment des moments
de vie aussi, de ce qu'on souhaite découvrir. J'en ressort beaucoup de
positif parce que je pense que j'ai gagné en adaptabilité
et surtout aussi en connaissance des différents secteurs qui
peuvent exister. Aujourd'hui, ça me sert au quotidien dans mon
métier. J'ai une double casquette : je suis DRH mais je suis aussi
directrice opérationnelle. Mon métier c'est de m'assurer que tout
fonctionne au quotidien. J'ai beaucoup de casquettes et le fait d'avoir
travaillé dans des secteurs variés ou sur des missions
variées me permet de m'adapter aux différentes situations que je
peux avoir, à la fois en matière de RH et sur les
problématiques organisationnelles.
C'est vraiment l'adaptabilité et se dire aussi qu'en
fait ce n'est pas que dans ce secteur là qu'il y a ces
problématiques. Ce n'est pas parce que je suis dans un métier
où on s'occupe d'une prise en charge de patients que cela ne reste pas
une entreprise pour autant. C'est une entreprise qui travaille dans le soin
mais cela reste une entreprise, comme une usine dans laquelle j'ai pu
travailler où il y a des problématiques RH, des
problématiques de temps de travail, des problématiques de
turn-over, etc. La seule chose qui change, c'est le secteur d'activité.
Les problématiques sont vraiment similaires.
EB : le métier de DRH dans une structure
sanitaire, parce qu'il est dédié au patient, n'est pas
différent de celui de DRH dans d'autres secteurs d'activité
?
Ce n'est pas faux mais pas que. La dimension et le sens du
métier sont juste extrêmement importants parce que ce n'est pas un
produit à la fin de notre chaine, c'est une personne. Cela rend le
métier quand même bien sûr spécifique mais quand on
prend de la hauteur sur notre façon de gérer, cela reste une
entreprise. Pour toutes les décisions qu'on prend, on regarde bien
sûr la qualité de prise en charge mais au bout du compte on a
quand même des salaires
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à payer et des charges à payer. C'est une
entreprise, une entreprise du soin. Quand on part avec Sabine, mon
associée, et qu'on va dans d'autres pays - on est parti voir dans
d'autres pays comment ça se passait, en Europe et en Amérique du
Nord - ce sont des entreprises, c'est beaucoup moins tabou. C'est vraiment
très français tout ça. Je le dis à certains
professionnels qui sont là, oui bien sûr qu'on a à coeur de
faire bien les choses, on a un patient et notre métier c'est de prendre
en charge ces patients là mais on doit être une entreprise
efficace, une entreprise qui optimise, on doit être efficient. On est
soumis à toutes les charges classiques que toutes les entreprises ont en
France. On est des entreprises de la santé. Après on n'a pas la
même vision que notre directeur financier qui n'a pas fait que de la
santé. Il n'aura parfois pas la même compréhension sur
certaines problématiques où je vais dire par exemple qu'il faut
qu'on investisse un peu plus, qu'on prenne quelqu'un en plus parce qu'il faut
qu'on améliore notre prise en charge et lui va me dire que ça ne
va pas passer en termes de coûts. On reste quand même une
entreprise du soin. C'est là que le soin va prendre une part plus
importante dans le sens où on a à coeur de tellement bien faire
les choses qu'on va quand même plus investir dans le soin même si
on sait qu'en termes de coût, on n'est pas bon. On va essayer de revoir
notre modèle économique pour que ça passe. A certains
moments on va privilégier le soin et prendre plus de risques financiers
parce qu'on est dans une entreprise qui traite des patients.
Selon-vous, votre métier est-il amené
à changer dans les prochaines années ? Quels sont les changements
à envisager spécifiquement liés aux nouvelles technologies
?
Mon métier, j'espère qu'il va changer ou
évoluer plutôt. J'ai à coeur de voir évoluer les
choses et de traiter de nouvelles choses. On a sans cesse de nouveaux
challenges dans notre secteur actuellement. Il y a de grandes réformes.
Forcément mon métier évoluera. Ce qui n'est pas simple
c'est qu'il évolue vers un fonctionnement peut-être moins
tourné vers l'humain. Je pense que le challenge pour moi et pour les
dirigeants d'établissements de santé sera de trouver
l'équilibre entre établissement de santé et entreprise de
la santé. On rentre tellement dans un système de tarification
où il faut qu'on code chaque acte réalisé par l'infirmier,
par le médecin, par l'aide-soignant, par le psychologue, etc. Je
l'entends par mes équipes aujourd'hui, parce qu'on code notre
activité et que notre activité est contrôlée via les
codes, nos professionnels passent énormément de temps sur
l'ordinateur. Ça remet en question et cela a un impact important sur la
relation entre le patient et le professionnel de santé. C'est ma
crainte. C'est un vrai risque et on ne veut pas tomber là-dedans. Il
faut qu'on organise les choses pour que ça se fasse, parce que de toutes
façons on n'aura pas le choix. On le fera
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tout en gardant cette relation qui est si importante pour nous
entre le professionnel de santé et le patient.
En quelque mots, que savez-vous des implications de
l'intelligence artificielle dans le domaine de la santé ? Est-ce un
sujet auquel vous vous intéressez ?
Je ne maitrise pas forcément le concept à fond.
Ce que j'aimerais qu'on fasse via l'intelligence artificielle au sein de
l'établissement c'est qu'on utilise les nouvelles technologies en
complémentarité des compétences de nos professionnels. On
commence à se pencher sur les personnels administratifs. La nouvelle
technologie qu'on va utiliser c'est le dossier patient informatisé. On a
un dossier patient informatisé partagé par tous les
professionnels de l'établissement hormis les personnels hôteliers
comme les ASH115 et les fonctions cuisine. On a une mutualisation de
l'information, il y a un vrai partage d'infos. Il y a également la
pré admission qu'on aimerait mettre en place parce que je pense que
ça permet de traiter une partie du process via l'IA et ensuite de faire
intervenir la secrétaire aux admissions qui va alors être sur un
poste qui sera différent. Aujourd'hui elle est sur un poste où
elle est dans son bureau toute la journée. Ce qu'on se dit c'est que si
on a cette borne d'accueil qui permet de traiter déjà quelques
infos et de faire par exemple 40 à 50% de l'entrée, Elle va
pouvoir, avec un caddie ou un chariot roulant compléter l'entrée
dans la chambre, au lit du patient. Ça nous permet de réorganiser
son temps de travail et ça lui permet d'être en contact avec le
patient de façon plus personnelle. Et c'est plus pratique pour le
patient. Une partie administrative aura déjà été
traitée donc c'est plus enrichissant pour elle.
Sur les médecins on se pose la question de la
télémédecine et des téléconsultations mais
on manque un peu d'infos sur la partie tarification. On est en attente
d'éléments de la part de l'ARS116 pour pouvoir
travailler là-dessus. On aimerait mettre en place notamment des
consultations de médecins spécialistes via la
télémédecine pour éviter les déplacements du
patient parce que ça reste une démarche fatigante pour nos
patients. Il y a des consultations qui pourraient vraiment se faire via la
téléconsultation. Dès qu'on sentira qu'on pourra le faire
on le fera. Aujourd'hui on n'a pas suffisamment de billes, on ne sait pas
comment les facturer, il y a un flou à ce niveau-là. Après
il suffira de déterminer qui reste dans la chambre avec le
115 Les agents des services hospitaliers (ASH) sont
chargés de l'entretien et de l'hygiène des locaux dans les
hôpitaux et les structures médico-sociales. Ils participent aux
tâches permettant d'assurer le confort des malades. Ils ne participent
pas aux soins aux malades et aux personnes hospitalisées ou
hébergées. Source
hopital.fr
116 Agence Régionale de Santé
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patient pendant la consultation, comment le flux s'organise,
comment on sécurise les données, etc. Il faut qu'on
s'intéresse à tout ça. Ça nous permettrait
d'optimiser nos mouvements de patients.
On travaille également sur la fonction
hôtellerie pour les ASH à l'utilisation de tablettes qui
permettent d'avoir un suivi des chambres que nous avons à la clinique.
On développe un projet d'hôtellerie car on part du principe que
les patients restent longtemps chez nous et on souhaite qu'ils s'y sentent
bien. Ça permettrait aux ASH de dire qu'une chambre est prête,
qu'elle a été faite. L'info est automatiquement partagée
avec les admissions de la clinique et le patient entrant peut entrer dans cette
chambre-là. Cela permettrait également de noter des
dysfonctionnements comme un problème au niveau de la douche, du lavabo,
etc., et d'avoir une information qui se transmet automatiquement à notre
équipe d'entretien qui pourra alors intervenir et indiquer si c'est
résolu ou non. Le process sera un peu plus sécurisé.
Aujourd'hui c'est quelque chose qu'on fait de personne à personne ou par
un cahier de liaison. Parfois il y a des manquements et on souhaiterait
justement utiliser les nouvelles technologies pour y pallier. Ça peut
aussi être valorisant pour les ASH qui remontent souvent que
l'information a été transmise mais que le problème n'est
pas réglé derrière. Elles auront ainsi une preuve qu'elles
ont notifié le problème et suivre ce qui est fait. C'est assez
positif en termes de cohésion.
Selon vous, quel(s) type(s) d'impact(s)
(positifs/négatifs) les nouvelles technologies et l'intelligence
artificielle ont-elles / auront-elles sur votre métier ?
Le vrai risque c'est d'avoir un professionnel qui va passer
plus de temps sur une machine et moins auprès d'un patient, notamment
pour les médecins et tous les paramédicaux. Ils nous le disent
aujourd'hui. Quand on a mis en place le dossier patient informatisé, on
n'a pas eu de résistance au changement particulière. Tout le
monde savait très bien qu'il fallait y aller, c'était
cohérent. Plus aucun établissement ne fonctionne sur des dossiers
médicaux papier. On a créé un comité
d'éthique depuis de nombreuses années. On y met toujours à
l'ordre du jour la place de l'ordinateur dans la relation
soignant/soigné. Ce n'est pas anodin. Pas plus tard qu'hier, un
médecin m'a dit : « une entrée d'un patient, ça me
prend 45 minutes. Ce n'était pas le cas avant. Quand on écrit,
ça va plus vite, on écrit rapidement sur un dossier. J'arrivais
vraiment à gérer ma relation avec le patient. Ça me
manque. ». Ça fait partie des risques. Aujourd'hui on essaie
d'organiser leur temps de travail pour qu'ils arrivent à concilier ce
temps avec le patient et à sortir de la chambre en se prévoyant
un temps de saisie. On essaie, en fonction des métiers, de
prévoir les temps de saisie. Pareil pour les coachs sportifs, ils ne
sont
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pas dans le soin directement ni dans un acte technique de soin
mais ils ont aussi l'obligation de saisir des transmissions et des informations
dans un dossier sport sur le dossier patient informatisé. Tout
ça, ça prend du temps. Il y a le métier, l'acte qu'ils
vont réaliser auprès du patient mais il y a aussi ce qu'ils vont
devoir saisir parce que, ce qu'on leur demande aujourd'hui, c'est de tracer
leur activité pour que derrière on code l'acte. Il y a un vrai
changement dans leur métier, à tous niveaux.
En positif, ça permet une mutualisation
d'informations. Certaines personnes, en termes d'organisation de temps de
travail, ne se croisent pas. Si les dossiers sont correctement saisis, en
allant sur le portail médical, on voit ce qui a été saisi
par le coach, on voit ce qui a été saisi par la
diététicienne, le médecin, etc. Les droits d'accès
sont différents en fonction des professions et de la
confidentialité mais il y a un vrai partage d'informations. On sait
même, en fonction d'un agenda, si le patient est dehors en consultation
externe ou s'il est dans la clinique. Il y a donc des aspects positifs qui sont
ressentis par les professionnels mais l'aspect négatif reste le risque
de distanciation entre le professionnel et le patient.
D'après vous, quelles sont les actions
à mettre en place pour anticiper l'évolution des changements dans
votre quotidien professionnel liés aux nouvelles technologies et
à l'intelligence artificielle à court, moyen et long terme
?
Ce qui m'a fait m'interroger sur ma fonction, c'était
le confinement. On a piloté la clinique à distance parce qu'on
s'est dit qu'on faisait partie du personnel administratif et qu'on
n'était pas essentiel sur le terrain. Notre objectif était de
minimiser le nombre de personnes sur la clinique donc on a travaillé
à distance sur un maximum de fonctions. Je me suis dit que finalement,
tous les déplacements que j'étais amenée à faire
n'étaient pas indispensables. Il y a plein de nouveaux outils qui
peuvent m'éviter d'aller à Paris, à certaines
réunions. Il ne s'agit pas de les supprimer. On avait tendance à
se déplacer souvent, surtout sur la partie opérationnelle, moins
RH, sur des réunions de syndicats, des congrès. C'est super
intéressant et cela va me permettre de me poser, même si je reste
à la clinique et d'avoir une prise de recul particulière en
étant seule. Dans les congrès, on se retrouve toujours avec plein
de personnes. D'un côté c'est très bien parce qu'on peut
discuter, ça fait du bien, on voit que ce n'est pas plus simple dans les
autres établissements ou qu'on se débrouille plutôt bien et
c'est satisfaisant mais il doit y avoir des moments pour soi. Écouter un
congrès via un ordinateur c'est aussi très intéressant.
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Je traite beaucoup d'informations qui viennent de nos
logiciels de patient informatisé puisqu'on a tout à
l'intérieur : notre gestion aussi puisque la facturation, le
médical et la pharmacie sont dedans. Ça fait partie des outils
que j'utilise au quotidien. Aujourd'hui je dois l'utiliser à 40%. Je ne
sais pas encore bien m'en servir. Il nous a fallu tellement de temps pour
apprendre à l'utiliser et le remplir le plus correctement possible,
d'avoir une bonne maitrise de l'outil. Maintenant on est dans la phase de : je
me sers de l'information qui est rentrée dans notre gestion. On
travaille avec notre prestataire pour qu'il nous aide à traiter les
données en créant des passerelles de traitement données.
C'est long mais on a un outil qui est le reflet de toute notre activité.
A la fois médicale et soignante mais aussi en gestion et en finance. En
un clic, on peut savoir quelle est la durée moyenne de séjour, le
nombre de patient, notre taux d'occupation à la seconde, pas
d'information RH en revanche. Ça permet d'avoir des informations plus
rapidement sur l'activité de la clinique. A plus long terme, j'aimerais
mieux maitriser l'outil pour mieux piloter.
On parle d'intelligence artificielle en comparaison
de la vision/perception que nous avons de l' « intelligence »
humaine. Si toutes les qualités humaines pouvaient être
inculquées aux machines, quelles seraient selon vous les principales
à transmettre ? Pourquoi et dans quelle mesurent cela vous parait-il
possible ? Jusqu'où doit aller la machine ? Doit-elle rester un outil
d'aide à la décision ?
Comme je le disais tout à l'heure, je pense que la
machine est un outil d'aide à la personne. Qu'on parle des personnes aux
admissions, des ASH, des médecins, l'outil est essentiel. Je pense qu'il
ne peut pas remplacer, ou sur un poste très administratif, et encore.
Quand on est parti au Canada, on voyait que dans des centres de
téléconsultation il n'y avait plus personne à l'accueil.
Ils avaient mis des bornes et la personne devait saisir son nom, devait dire
qu'elle était arrivée et cela envoyait directement l'info aux
médecins. Ça marche dans ce genre de situation. Dans notre
établissement de soins de suite, l'outil peut vraiment être
intéressant sur une partie très administrative mais ça
reste un outil d'aide. On s'est engagé depuis très longtemps dans
notre établissement à être dans une démarche qui
soit la plus humaine possible. Aujourd'hui notre vision, peut-être
qu'elle évoluera, c'est de se dire qu'on va utiliser la machine pour
aider nos professionnels.
En ce moment on est en train de développer la musico
thérapie dans la clinique et on va le faire via des tablettes. Ce sont
des tablettes numériques sur lesquelles on va bientôt être
formé. Ce sont des machines, je pourrais très bien donner la
tablette directement au patient mais quel est le sens de cette action ? Il faut
que ce soit accompagné, qu'on ait des référents
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musicothérapie, que le soignant puisse venir
présenter cette démarche et qu'il accompagne le patient lors de
sa séance. Ça va donc venir proposer de nouvelles disciplines
mais toujours avec l'humain à côté.