En fonction des impacts (positifs/négatifs)
des nouvelles technologies et de l'intelligence artificielle sur leur
métier, comment les médecins sont-ils / seront-ils
accompagnés ?
Il y a 2 choses la première c'est que les
médecins sont des scientifiques et sont assez naturellement
portés à jouer avec tout ce qui est innovant à partir du
moment où la spécialité s'y prête. En
général ils ont été abreuvés durant toute
leur scolarité d'éléments physiques, chimiques,
mathématiques qui leur disaient : « si on arrivait à faire
ça ce serait génial ». Même si tous les
médecins ne sont pas des geeks, il y a quand même une proportion
plus importante chez les médecins à accepter le changement
même sur d'autres métiers à haute qualification.
Il y a trois choses qui peuvent les pousser à changer la
première c'est que :
· L'innovation et les nouvelles technologies peuvent les
amener à avoir un positionnement plus sécurisant dans leur
diagnostic. S'appuyer sur l'intelligence artificielle c'est aussi avoir une
démonstration mathématique que la décision que l'on prend
à un instant T a une valeur mathématique et scientifique qui est
plus importante que la décision d'un médecin seul dans son
bureau. Il y a un aspect médico-légal et de sécurisation
de la décision qui leur plait.
· La deuxième chose, c'est la conviction que si
eux ne le font pas d'autres le feront à leur place dans l'environnement
de concurrence qui est le leur et cela peut avoir des conséquences sur
leur positionnement. C'est aussi une façon pour eux de réaffirmer
leur positionnement en tant que médecin. La maîtrise des
technologies extrêmement complexes reste l'apanage du médecin.
Dans un monde où le sachant et la connaissance sont très
importants, savoir maîtriser tel ou tel outil est un marqueur social.
· La troisième c'est l'attrait pour l'innovation
elle-même.
En fonction des impacts (positifs/négatifs)
des nouvelles technologies et de l'intelligence artificielle sur leur
métier, comment les professions paramédicales, infirmiers plus
spécifiquement sont-ils / seront-ils accompagnés ?
Concernant les paramédicaux, la logique est
différente : on est sur des transformations de métier. On est
obligé de faire un accompagnement externe. Là où les
médecins vont se former eux-mêmes, chercher l'information à
l'extérieur. Avec les paramédicaux on est obligé de
90
mettre en place des plans de formation pour l'adaptation
à l'évolution prévisible des emplois comme le
prévoit la réglementation sur la formation à
l'hôpital. C'est plus compliqué parce qu'on va sur des
transformations de métiers qui sont consubstantiels. L'infirmière
devra faire de l'assistance à prédictions de diagnostic en lien
avec l'intelligence artificielle avec laquelle travaille le médecin.
Elle se rapproche progressivement de la profession médicale là
où elle était la petite main parmi les petites mains il y a
encore 50 ans.
On ne met pas un plan de formation unique en place. C'est du
sur-mesure et de la couture. C'est le plus souvent un médecin qui vise
à l'implantation de nouvelles technologies dans son service qui demande
à ce que les infirmières soient formées. On est
très suiveurs pour le moment. Cela peut être le médecin qui
demande directement à l'infirmière qui accepte et ils arrivent
tous les 2 avec une solution clé en main. Aujourd'hui il n'y a pas de
plan systémique de l'intégration de l'innovation. Ce n'est pas la
direction qui porte : on reste prestation support. Si ce n'est pas le
médecin qui propose à l'infirmier.e, le problème n'est pas
tant la définition de l'action de formation en faisant de l'achat mais
plutôt de trouver le bon profil pour accompagner le changement. Il y a un
ticket en matière de compétences qui est élevé. On
change de métier : on a fait des études à l'Institut de
Formation en Soins Infirmiers (IFSI) pour un certain métier et quand on
arrive à l'unité médico-chirurgicale cardiologique de [tel
hôpital] on ne fait pas son métier d'infirmière comme on
l'a appris à l'école. On va faire de l'analyse de mesure, de
l'accompagnement du médecin, dans de la coopération
sophistiquée. Ensuite il y a une raison financière. A
l'hôpital public, en France, on ne paie pas assez. Chez Bioserenity
à la clinique du sommeil par exemple, ils payent leurs
infirmières entre 3200 et 3400 euros nets mensuels là où
on les paie entre 2200 et 2400 euros à l'hôpital public. D'autre
part il y a des difficultés dans le fait de faire venir les bons
paramédicaux à [tel hôpital]. Bioserenity, en tant
qu'opérateur privé peut faire venir des paramédicaux de
partout puisque leur contrat les autorise à le faire. Il y a un
problème de statut de la fonction publique qui ne nous permet pas de
trouver forcément de bons profils.
Il y a également un problème de formation
initiale qu'on va essayer de résoudre partiellement. Dans le pôle
de ressources humaines de [tel hôpital] il y a 14 écoles et
instituts dont 2 IFSI111 qui forment à eux deux 1000
infirmiers chaque année, 3 promotions de 350. On a engagé depuis
que je suis arrivé un grand plan de restructuration des écoles
avec la création d'un établissement d'enseignement
supérieur, une structure unique qui forme tous les professionnels et
tous les métiers avec une équipe pédagogique unique, ce
qui aujourd'hui n'est pas le cas. L'objet est de faire émerger une
identité de formation, c'est-à-dire donner une
111 Institut de Formation en Soins Infirmiers
91
formation à haute valeur ajoutée à tous
les professionnels quelle que soit la formation dans laquelle ils s'engagent
à [tel hôpital]. Aujourd'hui chaque IFSI a son propre tropisme. On
restructure tout en les rassemblant, on fait remonter le niveau de
productivité et on égalise la quantité de travail de
chacun. Cela permet d'économiser des ETP, notamment chez le corps
enseignant.
Avec l'argent qu'on économise on travaille sur la
simulation avec SimforHealth ou avec Laerdal, assez connu pour ses mannequins
en simulation avec des corps qui réagissent. On prévoit avec eux
du e-learning et de l'apprentissage en présentiel à
réalité augmentée. Les agents peuvent se former sur des
mannequins de simulation de patient Laerdal avec un casque de
réalité augmentée dans une salle comme s'ils
étaient dans un bloc opératoire. L'enseignant peut même
être à distance en dehors de la pièce avec un
contrôle retour directement dans l'environnement numérique.
L'ensemble sera mis en application à échéance septembre
2021.
En fonction des impacts (positifs/négatifs)
des nouvelles technologies et de l'intelligence artificielle sur leur
métier, comment le personnel administratif, dont les secrétaires
médicales/agents d'accueil, sont-ils / seront-ils accompagnés
?
Avec le personnel administratif, c'est encore plus
compliqué. Ils sont peu enclins au changement. On travaille sur 2 axes
la première c'est la conduite du changement et la conduite de
l'outplacement des personnels qui ne sont pas forcément adaptés
à accompagner de nouveaux processus administratifs avec un
rajeunissement à la clé des équipes qui est très
important. On va également travailler à la réduction des
effectifs. On change complètement l'organisation (voir la ci-dessus
la modification des processus de validation par exemple) avant de pouvoir
parler de personnes qui sont compatibles avec le changement. Quand on annonce
un changement, 70% ne suivent pas. On doit d'abord envisager ces
transformations sous l'angle de la GPEC : telle personne qui part à la
retraite dans 2 ans va rester sur son poste, telle autre dans 10 ans donc on va
lui proposer d'aller aux admissions ou à l'accueil plutôt que dans
le service des ressources humaines, untel qui ne souhaite pas s'orienter de
cette manière souhaite-t-elle se reconvertir comme assistante sociale ou
apprendre un nouveau métier qui n'a rien à voir avec le secteur
sanitaire. On fait ensuite du suivi individuel des agents. Une fois que la
nouvelle organisation est posée, on met l'IA ou la nouvelle technologie
en relation avec le besoin.
92
Les formations de conduite du changement sont pour les
managers. Au-delà de la conduite du changement, c'est quasiment de la
formation culturelle. La formation de conduite du changement est une formation
culturelle et mentale : qu'est-ce que le changement ? Comment peut-on faire ?
Quelles sont les recettes d'un changement réussi ? Après on
décline en fonction des populations et des objectifs. Il faut qu'ils
oublient les canevas intellectuels dans lequel ils ont travaillé : le
spectre du juridique n'est pas prioritaire dans l'organisation de
l'hôpital : on est là pour soigner les gens, on n'est pas
là pour émettre des décisions. Quand on dit qu'il faut
émettre une décision en urgence, on ne peut pas faire appel
à telle ou telle procédure interne qui dit qu'il faut 6 semaines
sur tel type de demande. Il y a des patients derrière. Il faut rappeler
au quotidien au personnel administratif qu'il y a des patients derrière.
On essaie de les tremper dans un environnement culturel qui est très
différent de celui dans lequel ils ont évolué. Certains
disent « chouette », d'autres « pourquoi pas » et encore
d'autres « surtout pas ». On ne les laissera pas ces derniers sur le
bord de la route mais il faut néanmoins que l'institution avance. S'ils
ne changent pas il va falloir leur trouver une place qui soit à la
hauteur de leurs attentes mais qui ne les mette pas en difficulté dans
la conduite des nouveaux process mis en en place.
93
Annexe 5 : Interview DRH Nicolas Delmas
ENTREVUE NICOLAS DELMAS, Directeur adjoint des Ressources
Humaines - Hôpital Bichat / APHP. Nord - Université de Paris