Chapitre I :
LES MODES D'ATTEINTES A LA VIE PRIVEE DES
PERSONNES PAR VOIE DE PRESSE ET LEUR INCIDENCE SUR LA VIE DES
VICTIMES.
L'activité journalistique est, comme toute autre, dans
une société organisée, soumise au respect de la
règle de droit. Loin de porter atteinte à la liberté, et
notamment à la liberté d'expression ou de communication, le droit
en est, dans un système démocratique soucieux du respect des
droits et libertés de chacun, la condition et la garantie.
Dans cette perspective, il s'agit, par les règles
légales et éthiques, de poser des principes et de définir
des droits et obligations réciproques, et sous le contrôle du
juge, d'en assurer l'application et la conciliation.
Il suit de là que lorsque l'information
véhiculée ou l'élément révélé
concernant la vie privée d'un citoyen n'a pas une valeur journalistique,
c'est-à-dire n'a pas un intérêt pour le public et pour
l'Etat, une telle révélation constituerait une atteinte ou une
violation au droit à l'intimité des personnes, valeur
sacrée pour une vie personnelle et familiale épanouie.
Dans ces conditions , la personne dont un
élément de la vie intime, privée a été
publiée de façon abusive c'est- à - dire la victime peut
ou est en droit de s'opposer à une telle publication . Laquelle
publication certainement lui cause préjudice en utilisant les voies
légales de l'opposition.
Nous voyons donc que la liberté d'expression dont jouit
le journaliste n'est pas sans limites.
Un système a été monté pour
garantir ou assurer le respect de la vie privée et partant des droits de
la personnalité par les pouvoirs publics, qui sont aussi reconnus par
les lois nationales et par les chartes puis conventions internationales
relatives aux droits et libertés des personnes humaines.
Mais au-delà des considérations légales,
jurisprudentielles ou doctrinales, à partir de quel moment, peut-on dire
qu'il y a atteinte à la vie privée d'un individu,
personnalité publique? En d'autres termes, dans quelles circonstances,
les
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Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
journalistes en faisant usage de l'exploitation de la vie
privée des personnes peuvent-ils être considérés
comme étant en porte à faux avec les règles en vigueur ?
Mieux, comment se manifestent les atteintes par voie de presse contre les
droits d'autrui, et quelles sont leurs incidences sur les personnes, victimes
de ces atteintes ?
Deux points commandent donc cette partie .Ainsi nous
analyserons dans un premier temps les atteintes à la vie privée
par voie de presse (section I) et évidemment leurs conséquences
sur l'existence de ces personnes, victimes d'atteintes de la part des
journalistes (Section II).
Section I- Les atteintes à la vie privée
des personnes par voie de presse.
Quelques exemples pour commencer.
? Une famille endeuillée par la perte d'un enfant,
victime d'un assassinat sur la voie publique, est photographiée pendant
la cérémonie des funérailles privées. Les
clichés paraissent dans un quotidien ou dans des reportages
radiotélévisés le lendemain.
? Un journaliste participe à l'action de locataires
furieux qui mettent sur écoute leur propriétaire accusé
d'avoir violé ses engagements locatifs. Il diffuse un reportage
audiovisuel basé sur les informations obtenues dans ces
circonstances.
? Les fils d'un maire ou d'une autorité publique, deux
adolescents, sont accusés de consommer de la drogue et
arrêtés. Deux de leurs camarades sont également
incarcérés. Les journaux et les stations de radio et de
télévision livrent les noms des quatre jeunes
gens1.
Il n'y a pas de jour où il n'y a pas de plaintes sur la
diffusion de ce genre d'articles. Cela, montre, à quel point la marge de
manoeuvre est étroite entre la liberté d'expression de la presse,
telle que la définissent la constitution et les dispositions
législatives que règlementaires ou telle que l'exige le droit du
public à l'information, et le droit de chacun au respect de sa vie
privée.
1 H.H. Schulte, M.P. Dupresne, Pratique du
journalisme, Paris, septembre 1999, réimpression avril 2002, p.325 et
s.
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l'information en côte - d'ivoire.
A partir de quel moment le droit légitime d'être
laissé tranquille se trouve-t-il compromis par le droit tout aussi
légitime qu'a le public d'être tenu au courant des faits ou
événements sociaux ?
La collecte de données privées est un domaine
délicat pour les médias. Un faux pas involontaire ou
délibéré de la part d'un journaliste, d'un photographe
reporteur, peut entraîner le dépôt d'une plainte dont les
conséquences risquent d'être ruineuses pour l'organe de presse en
cause ou pour le journaliste en question. Les atteintes à la vie
privée, tout comme le renforcement de la protection accordée aux
individus qui s'estiment lésés, peuvent faire l'objet d'une
classification en quatre catégories fondamentales :
- l'intrusion dans la vie privée et le
détournement de l'identité ou de l'image ;
- la représentation mensongère d'une personne
;
- la révélation de faits privés exacts
mais embarrassants.
Certaines de ces catégories sont plus importantes que
d'autres pour la presse, mais toutes méritent de retenir notre attention
que nous regrouperons en deux grandes catégories.
Il s'agira, dans un premier temps des atteintes au secret de
la vie privée des personnes par voie de presse (Paragraphe I) et dans
une seconde perspective des atteintes portées directement à la
liberté de la vie privée par voie de presse (Paragraphe II).
Paragraphe I- Les atteintes au secret de la vie
privée des personnes par voie de presse.
Les atteintes au secret de la vie privée sont diverses,
mais elles peuvent être ramenées à deux
variétés. La première qui a attiré notre attention
est la révélation de faits privés exacts mais
embarrassants (A). Mais il n'importe pas moins de protéger les personnes
contre l'intrusion ou l'immixtion dans la vie privée (B).
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Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
A- La révélation de faits privés
exacts mais embarrassants.
La vie personnelle et familiale ne peut s'épanouir que
dans l'intimité de la maison et du foyer, siège principal de la
demeure et partant de la vie privée. Elle a besoin de paix et de
tranquillité pour être heureuse1. Elle est
repliée sur la personne elle-même, sur les membres de sa famille,
sur ses amis.
En principe, elle ne doit pas être l'objet de
révélations ou de divulgations parce que les uns et les autres
blessent le sentiment de la pudeur à l'égard de la vie
personnelle et familiale2.
L'atteinte consiste donc à la divulgation d'un fait
privé exact ou non mais embarrassant, c'est-à-dire le fait de
porter à la connaissance du public, ou, à tout le moins, d'un
nombre indéterminé de personnes, des événements
relevant de la vie intime, personnelle et familiale.
De façon générale, si une personne
publique ou non veut gagner un procès intenté pour atteinte
à sa vie privée, notamment pour révélation de faits
privés exacts mais embarrassants, elle doit prouver que les faits
publiés :
1. seraient fortement offensants ou diffamatoires pour toute
personne raisonnable, à savoir embarrassants pour cette personne ;
2. ne présentent pas d'intérêt
légitime pour le public, et, par conséquent, n'ont aucune valeur
journalistique ;
3. ont été publiés sans le consentement
de la personne concernée.
Citons le cas d'une personnalité bien connue, qui
confie à un journaliste certaines de ses habitudes favorites :
éteindre une cigarette en la mettant dans sa bouche, manger des
araignées ou sauter du haut en bas d'un escalier pour impressionner ses
conquêtes féminines.
Ultérieurement, il s'avisa qu'il ne désirait pas
laisser divulguer ces renseignements. Le journaliste s'entête et publie
un article sur la personnalité en question. Est-il fondé à
entamer des poursuites au titre du secret de la vie privée ?
1 P. Kayser, La protection de la vie privée,
op.cit, p.3.
2 V.M. Scheler, la pudeur, édition Aubier. La
permanence du sentiment de la pudeur n'est pas infirmée, mais au
contraire attestée, par les variations de son objet in la protection de
la vie privée de P. Kayser, op.cit, p.6.
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l'information en côte - d'ivoire.
En l'espèce, les faits sont exacts mais de
caractère privé et embarrassant. Dans une telle situation, le
juge serait amené à considérer qu'il s'agit d'une atteinte
illégitime à la vie privée dans la mesure où le
journaliste en cause s'entêta de révéler des faits bien
sûr exacts mais sans autorisation de la personne concernée.
Que dire quand il y a un doute sur la véracité
des faits révélés concernant la vie privée d'une
personne ?
L'affaire Ezan Akélé mérite de retenir
notre attention. Dans cette affaire, dénommée affaire
pédophilie qui avait opposé Monsieur Ezan Akélé,
ancien ministre et Mrs Diégou Bailly et Joachim Beugré alors
respectivement directeur de publication et journaliste du quotidien "Le Jour"
et auteur des articles incriminés, avait présenté M. Ezan
Akélé, personnalité publique de notre pays comme
étant un pédophile1. Il s'agit, là, de
révélation de faits de caractère privé mais aussi
embarrassants.Voici présentés les faits : dans parutions des 5et
6 octobre 1998, le quotidien « Le jour »publiait deux articles qui
vont créer ce qu'on a appelé « l'affaire pédophilie
».Ces articles qui vont faire couler beaucoup d'encre et de salive,
étaient ainsi libellés : « révélations sur la
pédophilie en cote - d'Ivoire :un adolescent de 14 ans sodomisé
à plusieurs reprises ; de hautes personnalités citées dont
M.Ezan Akélé, alors ministre des infrastructures
économiques.
Les journalistes n'ayant pas pu apporter la preuve de leurs
propos augure de ce qu'une telle révélation exacte ou non ayant
un caractère privé et sans que les preuves accompagnent
constitueraient sans aucun doute une atteinte à la vie privée.
Toutefois, la jurisprudence ou du moins beaucoup de tribunaux
précisent que les personnalités publiques devraient apporter
aussi la preuve d'une véritable intention de nuire.
Dans ces conditions, le problème qui se pose au
journaliste est de déterminer si l'information dont il dispose peut
être considérée comme légitimement
intéressante pour le public ou revêt un caractère
d'intérêt général.
1 Fraternité Matin, jeudi 29 juillet 1999,
faits divers, affaire pédophilie : le non lieu de la justice.
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Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
Ainsi le fait d'avoir dit la vérité ne constitue
pas une excuse en matière d'atteinte à la vie
privée1. C'est pourquoi, la jurisprudence et la doctrine
soutiennent, par exemple, que le public a le droit de connaître des faits
embarrassants concernant un employé ou un personnage du secteur public,
mais il en irait différemment si la personne en question appartient au
secteur privé.
A côté de la révélation des faits
exacts mais embarrassants constituant une atteinte au secret de la vie
privée, se trouve l'intrusion ou l'immixtion dans la vie privée
d'une personne.
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