A. LA CONSULTATION DE LA CLASSE POLITIQUE
Comme nous l'avons déjà souligné, cette
possibilité n'est pas prévu comme telle en droit constitutionnel
général et moins encore en droit constitutionnel congolais.
Cependant, il s'agit d'un mode auquel les congolais en particulier recourent
lorsqu'une crise politique imminente menacent ou lorsqu'ils se retrouvent dans
une situation non prévue par la constitution ; ou en fin lorsqu'il
s'agit de préserver l'unité de la nation.
Cela étant, il nous semble que dans ce cas
d'espèce, la majorité parlementaire ne joue pas dans le jeu
d'approbation du premier ministre désigné dans la classe
politique étant donné que la consultation préalable de
toute la classe politique, suppose aussi la consultation et en même temps
l'approbation du parlement, étant composée des parlementaires
issus de la classe politique.
Comparativement à la nomination du premier
ministère en régime parlementaire, où il est nommé
dans la majorité parlementaire, le président de la
République, étant le garant de la nation, le gardien de
l'unité de la nation et qui doit assurer la bonne marche des
institutions de la République, a l'obligation de consulter
préalablement à la nomination du premier ministre toute la classe
politique si cela va de l'intérêt de préserver
l'unité du pays et le bon fonctionnement des institutions du
pays.64
Ces consultations de toute la classe politique peuvent aboutir
à des dialogues assortis des clauses que chaque partie à ces
pourparlers doit respecter.
64 Il sied de noter qu'à ce niveau, nous
faisons référence à l'article 69 de la Constitution
congolaise en vigueur, qui confère uniquement au Président de la
république en exercice la compétence d'assurer la
continuité de l'Etat ; en vue de préserver la permanence de la
vie nationale. Il en résulte en d'autres termes que le président
de la République a l'obligation d'assurer le fonctionnement permanant
des institutions afin que ne s'arrête pas la vie de la Nation.
29
B. LE DIALOGUE ENTRE LA CLASSE POLITIQUE ET LA SOCIETE
CIVILE
Au lendemain des indépendances, la plupart des Etats
africains ont sombré dans la dictature des partis uniques qui, au lieu
de faire développer ces Etats nouvellement indépendants, les a
plongé dans la misère et dans une autre forme de colonisation ;
cette fois, une colonisation des africains par les africains.
Cependant, le discours programme de la Baule de l'ancien
président français François MITTERRAND, a ravivé et
attisé le désir des peuples africains de se débarrasser
des partis uniques pour la liberté démocratique.65Les
capitales africaines ont connu des soulèvements populaires revendiquant
la démocratie d'une part, et d'autre part les crises économiques,
politiques, sociales et institutionnelles mettaient en mal les partis uniques ;
d'où il était nécessaire de trouver une
solution.66
C'est l'origine même des conférences nationales
souveraines, qui se sont transformé en nos jours en dialogues entre la
classe politique et la société civile, représentant
l'ensemble du peuple, détenteur de la souveraineté, pour
débattre des questions sur la conduite et la gestion du pays.
Ces dialogues aboutissent pour la plupart aux accords
organisant les modalités de la formation du gouvernement (y compris
la désignation du premier ministre) et la gestion du pouvoir
public, tout en ne faisant pas forcément référence
à la constitution en vigueur ; et souvent ces dialogues sont à
l'origine même d'une nouvelle constitution. Ce qui justifie cette
inflation considérable des textes constitutionnels en RDC ; autrement
qualifié de « mouvement Brownien de constitutionnalisation,
déconstitutionnalisation et réconstitutionnalisation
».67
65 Cfr. Le contenu du discours de la Baule du 20
juin 1990 prononcé par François MITTERRAND, président de
la République française à l' occasion de la séance
solennelle d'ouverture de la 16ème conférence des
chefs d'Etat de France et d'Afrique.
66 Ces soulèvements populaires ont
été provoqué par l'installation dans les décennies
ayant suivi la décolonisation, des régimes politiques à
parti unique, considéré par beaucoup des jeunes Etats africains
comme une solution permettant de garantir la cohésion nationale et de
donner une image de peuple uni et solidaire.
67 VUDISA M., « L'avant projet de la
Constitution », in RDA, Bruxelles, juillet 1998, p. 270.
30
Néanmoins ces pratiques, qui aboutissent souvent
à la mise en place des conventions de constitution, sont
dépourvues de la valeur juridique. Toute fois elles possèdent une
valeur politique. Les violer ou aller à leur encontre peut même
troubler l'opinion publique qui ne manquera pas de s'interroger sur les raisons
de cette dérogation à la pratique.68
A la lumière des théories déjà
étalées, il nous est indéniable d'analyser les
modalités pratiques de la désignation du premier ministre en
droit positif congolais.
68 ARDANT P., Les institutions politiques et
Droit constitutionnel, Cité par NTUMBA-LUABA LUMU A., Droit
constitutionnel général, op.cit., p. 127.
31
CHAPITRE II : DES MODALITES PRATIQUES DE LA DESIGNATION
DU PREMIER MINISTRE EN DROIT POSITIF CONGOLAIS
Depuis son accession à la souveraineté
internationale, la République démocratique du Congo connait
déjà trois changements de Républiques69,
caractérisés par plusieurs changements et révisions
constitutionnels et par conséquent, des systèmes et
régimes politiques. En effet, la République démocratique
du Congo a connu une histoire politique que l'on peut qualifier de hors du
commun, avec des multiples changements anti constitutionnels des dirigeants
politiques, ainsi que des révisions de ces constitutions, autrement dit
d'inflation des textes constitutionnels ou de « kermesse
constitutionnelle »70 ; c'est pourquoi il faut admettre
que l'expérience congolaise en matière de pratique
démocratique manque de profondeur, en terme de
durée.71 C'est ce qui a provoqué des graves
conséquences sur le plan politique jusqu'à ce jour, à
savoir les violations fréquentes de la constitution, notamment en ce qui
concerne l'organisation à intervalles réguliers
d'élections à tous les niveaux, le non respect de la
procédure prévue pour la nomination des premiers ministres, pour
ne citer que ceci.
Paradoxalement, il y a de cela plus de demi-siècle
après l'indépendance de la République démocratique
du Congo et elle compte déjà un grand nombre de
diplômés sortis de toutes les grandes écoles du monde sans
que cette donne n'augmente leur qualité, encore moins leur
capacité d'implication positive dans le relèvement du pays. La
République démocratique du Congo continue donc à chercher
ses intellectuels, au
69 Pour ce qui est de la première
république, elle a été présidée en grande
partie par la constitution du 1er août 1964 outre l'emprise de
la Loi fondamentale. La deuxième république quant à elle a
connu la Constitution dite « révolutionnaire » du 24
juin 1967, révisée par la suite à plusieurs reprises ; et
enfin la troisième république, qui continue d'exister à
ces jours et a connu plusieurs Constitutions (de l'Acte constitutionnel de
la transition d'avril 1994 à la Constitution du 18 février
2006).
70 DJOLI ESENG'EKELI J., Le droit constitutionnel
Tome !! : l'expérience congolaise, Kinshasa, DJES, 2017, p. 25.
71 AKELE ADAU P. et DJOLI ESENG'EKELI J., «
Enjeux de la démocratie en République démocratique du
Congo : questions fondamentales pour la politique chrétien catholique
» in Pour l'épanouissement de la pensée juridique
congolaise-Liber Amicorum Marcel Antoine Lihau, Kinshasa-Bruxelles, Presses
Universitaires de Kinshasa-Bruylant 2006, p. 22.
32
sens de personnalités capables de recourir à
leur cerveau pour affronter avec intelligence les défis politiques et
sociaux.72
Cette inflation constitutionnelle sans suprématie au
vrai sens du terme n'a pas d'impact positif sur la gestion du pouvoir ; car en
parlant de la suprématie de la Constitution, on sous entend
forcément le contrôle de la conformité des actes
législatifs et réglementaires à la norme fondamentale,
à savoir la Constitution.73 Cependant, en République
démocratique du Congo ces textes constitutionnels sont souvent
utilisés comme des écrans afin de camoufler le despotisme au lieu
de limiter des pouvoirs des gouvernants.
Ainsi, la beauté des textes est trahie par la pratique,
« le living constitution ».74 C'est aussi le cas
en ce qui concerne la désignation du premier ministre en droit positif
congolais, qui semble n'avoir jamais respecté totalement la
procédure prévue dans les constitutions connues par la
République démocratique du Congo. Certains75 estiment
que cette situation a des liens avec l'histoire coloniale congolaise.
En effet, les problèmes que connaît la nation
congolaise dans tous les secteurs de la vie nationale sont à notre avis
liés à la nature de l'Etat dont nous avons hérité
de la colonisation et qui n'a pas fondamentalement changé. Plus de
cinquante ans après l'indépendance, le peuple congolais vit dans
un Etat conçu et organisé pour exploiter les richesses naturelles
de son espace physique en vue d'alimenter les marchés internationaux.
L'administration publique et l'organisation institutionnelle congolaises sont
fortement marquées par cette philosophie.76
Nous estimons que plusieurs maux dont nous souffrons
aujourd'hui ne seront pas résolus si on ne repense pas l'organisation de
l'Etat en fonction du paradigme de l'indépendance, à savoir un
Etat congolais au service des citoyens congolais.
72 BONGELI YEIKELO YA ATO E., D'un
Etat-bébé à un Etat congolais responsable, Paris,
éd. L'Harmattan, 2008, p. 31.
73 DJOLI ESENG'EKELI J., Droit constitutionnel
Tome ! : principes structuraux, Ed. Universitaires africaines, 2010, p.
190.
74 DJOLI ESENG'EKELI J., Droit constitutionnel
Tome !! : l'expérience congolaise, op.cit, p. 30.
75 Comme KÄ MANA, Jacques DJOLI ESENG'EKILI,
Jean-Louis ESAMBO KANGASHE, Albert NTUMBA-LUABA LUMU et autres.
76 KÄ MANA, « Réflexions sur
l'invention et la refondation de l'Etat en RDC : Créer un nouvel
imaginaire politique », in Gouvernance et refondation de l'Etat en
RDC, Goma, juin 2012, p. IV.
33
C'est aussi le cas avec presque toutes les nominations des
premiers ministres connus dans l'histoire politique de la République
démocratique du Congo, qui n'ont pas respecté les
procédures préétablies ; on peut les qualifier d'ailleurs
de « partage du gâteau » au préjudice du
souverain primaire, qui est presque mis de côté.
De ce qui précède, nous allons analyser les
procédures de désignation des premiers ministres dans les
régimes présidentiels connus en République
démocratique du Congo, avec les conséquences politiques de ces
désignations (Section I), avant de les analyser dans les régimes
parlementaires (Section II).
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