Enjeux des nouvelles pratiques religieuses dans l’église catholique romaine à Cotonou.par Yaovi Martin CAPO Université d'Abomey-Calavi - Maîtrise en Sociologie-Anthropologie 2018 |
3.4.2. La réaction de l'Eglise catholiqueRené Luneau (2002, p. 74) disait que « les évêques africains ont conscience du défi à relever. Ils comprennent que la demande de guérison est un enjeu-clé et que, " l'avenir du christianisme en Afrique pourrait bien se jouer sur cette question". » Pour ce faire, des synodes ont été organisés pour plancher sur la question. Le Secrétariat pour l'unité des chrétiens, le Secrétariat pour les non-croyants et le Conseil pontifical pour la culture ont organisé un synode en 1985, pour réfléchir sur la présence et l'activité des NMR et autres " sectes". Des propositions ont été faites, en guise de réponses pastorales. Elles se déclinent en six points : 1) Développer le sens de la communauté, 2) Renforcer la formation des prêtres et la formation continue des laïcs, 3) Mener une approche personnelle et intégrale de la foi, 4) Travailler l'identité culturelle des Eglises locales (l'inculturation), 5) Revaloriser la prière et le culte en revoyant les modèles classiques de la liturgie, 6) Harmoniser le ministère des prêtres et celui des laïcs en donnant priorité à la promotion des ministères diversifiés. Le rapport souligne également que les orientations du synode sont une réponse aux besoins et aux aspirations que certains fidèles recherchent dans les nouveaux mouvements religieux. En 1992, toujours pour répondre aux défis que les NMR posent aux Églises traditionnelles, le Comité permanent du Symposium des Conférences Episcopales d'Afrique et Madagascar (SCEAM) a tenté d'apporter des réponses lors de sa réunion. Entre autres propositions, il a été suggéré de créer une Église bien africaine sans tomber dans le syncrétisme, pour donner vie à une Église dans laquelle les Africains s'identifieront plus facilement et d'imaginer des cultes plus participatifs. Pour finir, l'accent était mis sur l'étude de la Bible et sur l'évangélisation des fidèles. Les revendications pour une Eglise typiquement africaine, l'un des atouts majeurs des NMR, vont être relayées par le Synode africain de 1994. Au Bénin, avec l'accord du Vatican, en juillet 2007, l'Eglise catholique a désigné dans chacun des dix diocèses des prêtres exorcistes pour aider les fidèles à lutter contre "des attaques de sorciers ou de puissances maléfiques" (Cakpo, 2013). Depuis lors, il est facile de remarquer que sur nombre de paroisses sont organisées des messes de guérison à l'intention des malades ou des veillées d'évangélisation centrées sur la délivrance et la libération, sous la houlette des prêtres exorcistes. En outre, des communautés ecclésiales de base (CEB) et des groupes de prière charismatiques foisonnent12(*) sur des paroisses et initient des activités de grande envergure, comme des campagnes d'évangélisation, des pèlerinages, des sessions de formation, des retraites, des journées d'amitié, etc. Toutes les occasions sont opportunes pour les leaders de ces groupes ou mouvements d'évangéliser, de délivrer et d'intercéder pour ceux qui sont sous la domination des forces occultes. Selon le prêtre (E2), cette autorisation de création de groupes de prière pour animer la vie des paroisses s'inscrit dans l'esprit du Concile Vatican II. « C'est la réalisation de ce que le Concile Vatican II a anticipé. A savoir qu'il y a des besoins nouveaux dans le monde par rapport à l'Église, les besoins spirituels, sociaux, humains, économiques nouveaux du monde d'aujourd'hui par rapport au monde ancien. L'Église était restée figée dans le monde ancien et c'est ça qui a provoqué le Concile Vatican II. C'est d'adapter le langage de l'Église aux réalités et au langage du monde d'aujourd'hui. Plus on avance, plus le monde catholique commence à découvrir ces nouvelles opportunités données par le Concile Vatican II. Les fidèles commencent à les découvrir. Ce n'est pas seulement à cause des besoins, mais aussi c'est parce que l'Église a ouvert les portes nouvelles. » Les portes ouvertes par l'Eglise catholique ont permis la naissance de l'un des tous premiers mouvements charismatiques, le Renouveau, en 1967 en Occident et au Bénin en 1977. Ce mouvement charismatique symbolisait à juste titre la réponse aux besoins des fidèles de plus en plus attirés par la vague de l'évangélisme et du pentecôtisme. Dans son sillage, d'autres groupes de prière charismatiques vont émerger en faisant éclore davantage au sein de l'Eglise catholique cette effervescence religieuse axée sur la recherche de guérison, de miracles, de réussite, etc. Il s'agit de Fiat, Communauté Emmanuel, Cité de l'Immaculée, Fifaton, Feu nouveau, Amis de saint Michel, Evangélisation pour tous, etc. Sur ce, le prêtre (E2) dira que « On n'a plus besoin maintenant pour approfondir sa piété, approfondir sa communion en Jésus Christ et en Dieu, de créer une secte et de sortir de l'Église. Mais de faire comme saint François d'Assise, comme saint Dominique, comme saint Ignace de Loyola, de réformer l'Église de l'intérieur, d'approfondir sa relation à Dieu à l'intérieur de l'Église. Ce n'est pas en sortant de l'Église qu'on a plus de piété, plus d'amour pour Dieu, mais en restant, en creusant les trésors de l'Église laissés par Jésus Christ, qui sont infinis. C'est pourquoi je salue les initiatives spirituelles, communautaires, que prennent de plus en plus les fidèles pour pouvoir vivre leur foi en profondeur et leur piété comme il se doit par rapport à Dieu. Saint Paul avait déjà dit : "N'éteignez pas l'Esprit..." » De l'avis du prêtre (E5), en paraphrasant le pape Paul VI, ces mouvements charismatiques constituent une chance pour l'Eglise, « (...), car les groupes sont des indicateurs de vie et de vivacité de la religion... Ils répondent à un besoin de l'Eglise, qui va au-delà de la hiérarchie. Comme la plupart d'entre eux sont de l'ordre charismatique, c'est l'Esprit Saint qui souffle. Et selon le besoin du contexte, ces groupes naissent pour répondre à un besoin immédiat des fidèles. C'est important qu'ils s'expriment, qu'ils aient un lieu d'expression de leur foi... Mais l'Eglise n'admet pas de désordre. Même s'ils sont charismatiques, ils sont toujours suivis d'une certaine manière. Ils ne naissent pas comme des cheveux sur la tête. Les fidèles sont libres de créer, mais il y a une procédure. » Les besoins que satisfont ces mouvements charismatiques sont en réalité le fondement des pratiques de religiosités de plus en plus nouvelles qui provoquent souvent l'évasion de certains fidèles catholiques vers les NMR. Mais depuis quelque temps, le dynamisme de ces mouvements charismatiques crée en marge de la liturgie officielle des pratiques qui apparaissent comme des réponses au défi des NMR engagés dans une forte concurrence vis-à-vis de l'Eglise catholique et d'autres institutions religieuses traditionnelles. C'est pourquoi Bastian (2008) dira que « La principale force religieuse sectaire, le pentecôtisme, ne se [trouve] plus seulement à l'extérieur, mais aussi à l'intérieur de l'institution [catholique]... » Cette force meut chaque jour les nouvelles pratiques religieuses comme une soif à étancher chez les catholiques. En définitive, le marché de la religion semble favorable aux églises qui savent tenir compte des besoins exprimés par les populations en difficulté. Pour ne pas voir son hégémonie réduite à néant, à cause des départs de ses fidèles vers d'autres groupes religieux très dynamiques, l'Eglise catholique a su mesurer l'ampleur de la menace et a pu trouver la formule adéquate en promouvant de nouvelles pratiques religieuses et en admettant en son sein des mouvements religieux qui portent le courant pentecôtiste. A n'en point douter, ces pratiques religieuses attirent plusieurs fidèles catholiques ainsi que des croyants d'autres religions. Comment se présentent-elles concrètement, ces nouvelles pratiques religieuses à caractère populaire à côté de la foi catholique officielle ? * 12 Le Code du droit canonique de l'Eglise catholique n°215 stipule que « les fidèles ont la liberté de fonder et de diriger librement des associations ayant pour but la charité ou la piété, ou encore destinées à promouvoir la vocation chrétienne dans le monde, ainsi que de se réunir afin de poursuivre ensemble ces mêmes fins. » |
|