Chapitre I : La socio-archéologie de
l'ethnicité
La socio-archéologie de l'ethnicité postule que
l'être social est un homo ethnicus. Dans ce chapitre, nous
allons proposer des prolégomènes en vue de la validation de cette
hypothèse.
Dans « Le groupe territorial et son identité, le
lien social au-delà de la crise politique », Bernard Poche propose
une prise de vue qui met en exergue le lien social. En effet, pour lui, «
le langage commun utilise des termes dont la démarche
`'scientifique» a renoncée à rendre analytiquement compte
»95. L'objection clairement exprimée est celle qui
postule l'existence du groupe « qu'en fonction de la dialectique
`'nous/les autres» »96, déniant à ce dernier
toute logique. Une « analyse menée avec sang-froid et sans `'peur
ancestrale»(...) montre au contraire que le groupe s'auto-constitue, non
pour dominer ni pour résister à une domination, ni même
pour marquer ses frontières, mais par suite d'un processus
d'agrégation qui auto-construit le caractère et s'oppose à
la `'réduction» (...), à la définition d'un individu
sans identité, sans origine »97.
Aussi, « l'internationalisme qui fut longtemps au
principe, reconnu ou non, de la réflexion sociologique
européenne,(...) fondé, en réalité, sur la
dénonciation de tout relent culturaliste, lieu où
l'identité comme on sait puise l'essentiel des contenus concrets de sa
revendication »98 fit-il que « l'historicité
coloniale déteint en quelque sorte sur l'historicité
locale.»99
L'analyse des stratégies identitaires nous
révèlent des logiques de pouvoirs dans les rapports sociaux entre
groupes ethniques et ce, depuis la précolonie. Célestine Koumba
Boupo nous apprend d'ailleurs que « les sociétés
`'modernes» ne sont, de ce point de vue pas les seules dans lesquelles les
membres de la société s'entretuent autour des `'richesses»
»100. Il convient d'appréhender dans cette assertion le
terme « richesses » au sens bourdieusien de capitaux.
Il s'agit pour nous, à travers ce chapitre sur la
socio-archéologie, d'exhumer les vestiges de l'animal politique
aristotélicien et donc, de laisser découvrir l'ethnie, sous
de nouveaux
95 B. Poche, « le groupe territorial et son
identité, le lien social au-delà de la crise du politique »,
in Nadir Marouf (Dir.), Identité-Communauté, Paris,
L'harmattan, 1995, p.74.
96 Ibid., p.79
97 Ibid.
98 Sylvia Ostrowetsky, « les quatre voies de
l'identité » in Nadir Marouf, op.cit., p. 23.
99 J. Copans, Op. Cit, p. 106.
100 C. Koumba Boupo, « Dynamique de la socialisation chez
les mitsogho » in Stéphanie Nkoghe (Dir.), Anthropologie de la
socialisation, Paris, L'Harmattan, 2013, p. 190.
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auspices, entant que forme élémentaire
d'organisation politique, qui eut pour sens, de répondre au besoin de la
socialité de l'individu. Les développements qui suivront ne
sauront se résumer à la seule Afrique.
L'hypothèse centrale qui conforte l'argument de la
colonialité de l'ethnicité n'est d'aucune validité
empirique ; car, au fait de figer cette réalité complexe à
l'intérieur d'espaces stables à présider une facilitation
du dénombrement, des levée d'impôts et du recrutement des
travailleurs, nous rappelle Catherine Coquery-Vidrovitch101.
C'est dans cet ordre que Matsiegui Mboula constate à
juste titre que « les premiers occidentaux à mettre les pieds en
Afrique ont bien trouvé des peuples avec lesquels ils ont bâti
leurs comptoirs commerciaux et pour qui ils ont prêché la «
bonne parole ». Servons-nous de son questionnement pour appréhender
l'ethnicité dans la précolonie : « Qui étaient ces
peuples ? Comment se nommaient-ils ? »102
Section I : Des prolégomènes pour une
théorie de l'homo ethnicus
Disons-le d'entrée de jeu, nous nous inscrivons en faux
contre les thèses de la colonialité de l'ethnicité. Outre
dans le cas d'un nominalisme pur, la colonialité de l'ethnicité
est réfutée par l'inexistence de l'unicité. Cependant,
nous admettons que son expression est rendu manifeste de plusieurs
manières : race, ethnie, nationalité etc. Le lien commun demeure
alors la notion d'identité dans sa relation au politique.
Les débats « passionnés » autour de la
responsabilité de l'Europe concernant la traite des esclaves et la
colonisation brouillent la sérénité de l'analyse
historique. Les hésitations sémantiques,
révélatrices des difficultés présentes d'assumer le
passé, ne peuvent toutefois occulter des réalités
structurales qui transcendent les remous de l'actualité.
L'identité nationale est un discours, mais un discours
qui fait sens. Donc, « ce n'est pas sacrifier à une vision raciale
de l'histoire de l'humanité que de dresser le constat des
différences entre des groupes humains, ces différences ne se
réduisant évidemment pas à l'aspect physique, mais
incluant les dimensions culturelles, linguistiques, technologiques
constitutives de la
101 Catherine Coquery-Vidrovitch, cite par Matsiegui Mboula,
Op.cit, p 187.
102 F. Matsiegui Mboula, Op.cit., p. 187.
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définition des ethnies - concept tout aussi
controversé, au demeurant, que celui de race »103. Et
l'Histoire de l'humanité ne saurait faire l'impasse d'une analyse de ce
qui constitue son substratum : les hommes dotés de
spécificités fondatrices d'identités collectives, de
modalités diverses de socialisation, d'appropriation de la nature, de
rapports sociaux, d'organisation politique des espaces de vie.
Postuler un homo ethnicus c'est donc non seulement,
oser tordre le coup à un sens commun savant très répandu
dans la littérature scientifique africaine et africaniste, mais peut
sembler aussi fallacieux. Pourtant en dehors des considérations
éthiques posées par la catégorie d'analyse « ethnie
», l'hypothèse de l'homo ethnicus est recevable à
plusieurs titres. La problématique relative à l'usage du concept
d'ethnie est tributaire de son passif. Si de nombreux scientifiques le
récusent au nom de l'unité de l'espèce, ce sont surtout
des raisons historiques et politiques qui remettent en cause son usage, par
suite des crimes, commis par des idéologies racistes, qui ont traduit
différence par infériorité et trouvé dans la race
une légitimation à la colonisation.
1. L'étymologie et la généalogie de
l'ethnie
Une socio-archéologie de l'ethnicité doit
nécessairement tenir compte de l'étymologie et de la
généalogie de ce concept. L'étymologie est l'étude
de l'origine et de l'évolution des unités du lexique (mots,
locutions...), depuis leur état le plus anciennement accessible. Son
étymologie (du lat. etymologia, grec etumologia, de
etumos « vrai »), établit la vérité,
(aussi concrète que l'affirmait Bertholt Brecht) sur l'origine des mots.
L'importance de cette vérité est un impératif du
débat scientifique, car comme le constatait Montaigne, la plupart des
malentendus du monde sont grammairiens.
La généalogie quant à elle, nous dit
Le Grand Robert, désigne l'étude scientifique de la
filiation. La généalogie d'ailleurs, dans le cadre de notre objet
d'étude, lève toutes les amphibologies, en ce qu'elle s'y
intègre « heureusement », par son étymologie (de
genea « espèce, race, famille; génération)
et ses liens avec les concepts de race, souche, famille, origine, entre
autre104.
103 R. Pourtier, « AFRIQUE. Structure et milieu -
Géographie générale » in Encyclopédie
Universalis, 2014, version électronique.
104 Alain Rey (Dir.), Le Grand Robert de la langue
française, version électronique, 2ème
éd.
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Brunot et Bruneau ont d'ailleurs établit, à
travers une comparaison que, « ce que le généalogiste fait
pour les familles, l'étymologiste le fait pour les familles de mots
»105. l'étymologie doit d'ailleurs beaucoup à la
sociologie et à l'histoire car, « L'étymologiste doit tenir
compte des lois phonétiques, des lois sémantiques,
de la date d'apparition du mot, de son extension
géographique, et enfin du milieu social où il a
vécu (...) L'on doit donc, pour établir l'origine d'un mot (...)
prouver que ce mot correspond bien, son pour son, à
l'étymon proposé, il est nécessaire que le rapport des
sens soit clair, et que les circonstances historiques,
géographiques et sociales ne s'opposent pas à
l'hypothèse présentée »106.
Il s'agit donc d'éclairer sur le concept d'ethnie, afin
de valider notre hypothèse de l'homo ethnicus.
L'étymologie de l'ethnie, nous dit Le Grand Robert est une
référence à Vacher de la Pouge et au vocable grec «
ethnos » qui a pour sens, « peuple, nation »,
et qui désigne l'ensemble d'individus que rapprochent un certain nombre
de caractères de civilisation, notamment la communauté de langue
et de culture. Le Grand Robert distingue par ailleurs, l'ethnie de la
race, qu'il définit fallacieusement par une relation les
caractères anatomiques107.
Henri Vallois, malgré une amorce définitionnelle
similaire, et d'autres « hérésies » sur ses
définitions de l'Etat et de la nation se rattrape dans
l'établissement des homologies entre le champ lexical, de la
nationalité. Pour lui, « on réserve le nom de races
à ceux (les groupements humains) établis
d'après un ensemble de caractères physiques (...) On sait,
d'autre part, qu'on appelle nation ou état ceux qui
correspondent à une communauté politique. Viennent enfin ceux
basés sur des caractères de civilisation, en particulier une
langue ou un groupe de langues identiques; on a créé pour eux un
terme qui tend de plus en plus à s'imposer, ce sont les ethnies
(...) Dès qu'on aborde les grandes masses qui peuplent la majeure
partie des continents, les races, les ethnies et les frontières
politiques s'enchevêtrent à qui mieux mieux108
Maintes auteurs conviennent des homologies entres le lignage
ou le clan en vogue avec les notions plus modernes, diront-nous d'ethnie ou de
race. Pour G. Nicolas, « il existe une profonde parenté entre
ethnie, lignage ou clan, parenté qui se trouve le plus souvent
étayée par un vocabulaire familial, voire un mythe d'origine
établissant la commune descendance des membres du groupe à partir
d'un couple initial ou d'un héros mythique »109.
105 F. Bruno et Ch. Bruneau, Précis de grammaire
historique, Paris, Masson et Cie., 1899, pp. 160-162.
106 Ibidem
107 « Ethnie » in Le Grand Robert, op.cit.
108 Henri Vallois, Les Races humaines, Paris: PUF. 7e
édition, 1944.p. 8.
109 G. Nicolas, « Fait ethnique et usages du concept
d'ethnie », in Cahier internationales de sociologie, vol. LIV,
1973, p. 103.
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Nadir Marouf établit cet analogie dans la supposition
suivante : « Si les critères qui se rattachent à la
catégorie de la nation sont ceux de la souveraineté, elle est
tout à fait applicable, alors à la tribu, qui connaît son
système de pouvoir, ses hiérarchies internes et les limites de
son territoire... ».110 Ainsi, une homologie structurale entre
la tribu (ou l'ethnie) et la nation et même la race, au-delà des
dérives relatives à cette notion, est donc valide, telle que
Amselle le soutient111.
L'histoire de la catégorie nation éclaire avec
pertinence cette similarité entre les logiques sous-jacentes à
cet ensemble conceptuel. Les difficultés relatives à la saisie de
l'intelligibilité de l'ethnie ne sont pas sans analogie à celles
qui concernent la nation.
L'étude de l'étymologie du mot « nation
», renvoie, outre les différentes déclinaisons, selon les
sources explorées au verbe latin «nascor» qui traduit ad
litteram signifie « naître », à « peuple
» et « nation ». Entre « natios » qui
signifie la déesse de la naissance et de la provenance chez les Romains,
Habermas, dont l'usage classique appréhende, telle la communauté
au sens de Tönnies, (avec le langage, la filiation(sous-entendue) et la
territorialité, entre autres) comme substrat, toutefois sans politique
organisationnelle moderne112 et « natio»,
c'est-à-dire l'espèce, la race, le peuple chez Gil Delannoi, dont
la primitivité renverrait à « genus » qui
donne à son tour « indigène », les homologies
demeurent, du fait de leur relation avec « nascor ».
Par ailleurs l'importance des apports de Cicéron qui
« emploie « genus romanum » pour désigner la
nation romaine ou encore le genre humain nommé, selon le
procédé, « genus humain », sont toujours
équivalentes à la naissance.
Elle est donc là, la borne, qui à la remarque de
Matsiegui Mboula établit, « depuis la Grèce jusqu'à
nos jours, cette équivoque entre le fait et l'idée, entre
l'appartenance héritée, fermée, et l'appartenance acquise,
ouverte, demeure dans la nation »113.
La lecture de Matsiegui Mboula du vocable « nation »
permet l'aisance de cette homologie. En effet, « le Grec signale
d'ailleurs que la nation en tant que peuple, ethnos, diffère
110 Nadir Marouf, « Identité culturelle et
Identité nationale en Algérie et au Maghreb »,
Colloque National : La place des formes d'expressions populaires dans la
définition d'une culture nationale. Université de
Tizi-Ouzou, novembre 1999, p.26.
111 Jean-Loup Amselle, op.cit. pp. 18-19.
112 Jürgen Habermas, L'Intégration
républicaine. Essai de théorie politique, Paris,
Fayard, 1998, p.70.
113 Matsiegui Mboula, op.cit.p.197.
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du peuple en tant que puissance politique, nommé «
dêmos » et attaché à l'idée politique
de démocratie »114. « Soi-même, né,
héritier d'un sang, d'un sol, d'une langue, voire d'une morale : telles
sont les composantes étymologiques de la nation. S'il existe, un seul
mot capable de les réunir sans trahir, c'est le mot famille.
»115
La nation in finum, s'appréhende, à
l'égard de l'étymologie ainsi convoquée, à la
notion de famille, dans la perspective de Tönnies tel que nous
l'évoquions supra. La symbolique de la nation, au sens de la
filiation, la territorialité ou encore du langage est
omniprésente dans les bases de la vie sociale. Les armoiries, les
hymnes, les devises dans plusieurs nations modernes renvoient la plupart du
temps à la « mère patrie » dont alliance
paternité/maternité, confère sa sacralité et son
autorité, tout en consacrant, l'allégeance et
l'affectivité des membres liés par un destin commun. Le
totémisme des nations primitives procède également de
cette logique avec le caractère suprasensible et symbolique du commun
protecteur qui régit la vie de tous les descendants d'une
communauté.
« Il n'est donc pas étonnant que cette sorte de
chaîne de génération, ce lieu ancestral d'une culture,
prenne de l'importance quand progresse la conscience de la profondeur et la
durée historique »116. Et, c'est avec les processus
historiques que « la nation ou l'ethnie, au sens de famille et que l'on
peut saisir à travers les critères de territoire, de langue, de
culture, de filiation, a pu évoluer vers la nation au sens de
superstructure politique connu à l'époque précoloniale
sous forme d'empire et de nos jours sous la forme de l'Etat-Nation
»117.
La thèse de l'ethnie comme pure « invention »
coloniale est donc réfutée. Non seulement, elle témoigne
d'un manque de profondeur historique, en faisant abstraction des mouvements
endogènes de recomposition identitaire, mais aussi parce qu'elle postule
que le colonisateur aurait été capable de créer ex
nihilo, des ethnies qui n'existaient pas avant son arrivée et qui
n'existeraient pas sans son intervention.
Or, même en admettant qu'il l'ait fait, les tenants de
cette thèse oublient que pour « inventer » une ethnie, il faut
qu'il y ait le minimum de substrat historique nécessaire à la
cristallisation, d'un sentiment d'être différent. Et la seconde
aporie est relative au réductionnisme de ces auteurs, qui pensent
l'ethnie, comme une propriété singulière des
114 Ibid.
115 Ibid.
116 Ibid., p.198.
117 Ibid.
52
colonies, alors même qu'Amselle parle d'une
transposition de la réalité occidentale à l'Afrique en
l'occurrence. La nation (ethnos) est un principe universelle et Aristote et son
animal politique l'avait déjà esquissé. Notre
réserve, consistant à évoquer plutôt la distinction,
pour s'inscrire en dehors de ce débat, d'une scientificité
improbable et d'un militantisme justifiée.
Enfin, nous concédons qu'il est acquis que le
colonisateur a bien « bricolé » les identités, sans
toutefois les inventées. Il les a, le plus souvent, manipulées,
reformulées, classifiées, hiérarchisées,
secondé en cela par les Églises chrétiennes qui
contribuèrent, à leur manière (codification des langues
indigènes, spatialisation de l'action missionnaire, fixation de
certaines coutumes, etc.), à ce travail de bornage ethnique, comme le
montre Coquery-Vidrovitch.
Les propos empruntés à Von Götzen que
Chrétien reprend pour postuler l'assimilation entre « maîtres
» et « sujets » ne sont confortés par aucune
argumentation empirique rigoureuse, outre l'armement et les parures qu'il prend
en exemple118.
La colonisation quant à elle, moins sans doute par
souci de « diviser pour régner » que portée par un
besoin d'inventaire, de nomenclature, d'encadrement administratif et de
cartographie, a procédé à une ethnographie classificatoire
qui a eu pour effet de figer des situations mouvantes, dans certains cas
d'« inventer » des ethnies.
Mais si cette entreprise de bornage ethnique a pu être
menée à bien, c'est parce qu'il existait sans doute, de
manière plus ou moins diffuse, un minimum de substrat historique
grâce auquel a pu se cristalliser un sentiment d'être
différent. Comme le résume le titre d'un ouvrage coordonné
par J.-P. Chrétien et G. Prunier, qui défend cette thèse,
Les ethnies ont une histoire119, histoire qui ne se
réduit pas à celle de la rencontre avec la modernité
occidentale.
En outre, en se fondant sur les stratégies dans les
rapports de pouvoir, la référence à Ndaywel-E-Nziem,
cité supra, confirme que l'ethnie, à travers la
structure clanique, a connu une organisation sociale, politique et
économique en Afrique centrale précoloniale. « C'est dire en
d'autres termes que l'ethnie a connu son système de souveraineté
tout comme la nation occidentale »120.
C'est une piste à mobiliser dans l'optique de la mise
en crise des thèses de Jean Loup Amselle, car c'est au crible des
confusions et des méprises que son oeuvre suscite qu'il faut
118 J.P. Chrétien, in Au coeur de l'ethnie,
op.cit. pp.135-136.
119 G. Prunier & J.-P. Chrétien, Les ethnies ont
une histoire, Karthala, Paris, 2e éd. 2003.
120 F. Matsiegui Mboula, op.cit. p.195.
53
rechercher les germes de sa critique. Outre la distance qu'il
observe vis-à-vis de l'hypothèse de la colonialité de
l'ethnie, il ne s'éloigne guère en réalité du
réductionnisme des théories de la fausse conscience. Entre les
concessions par ici et les réfutations par là, dans son oeuvre sa
position difficile à cerner revient à denier, la pertinence
heuristique de l'ethnie quand il ne s'agit pas, pour lui de l'assigner à
la colonisation. Mercier et Nicolas ont bien vu, en l'ethnie ou en la race, une
continuité directe du clan et du lignage121. Si Amselle, par
un flou prétend « qu'il n'existait rien qui ressemblât
à une ethnie pendant la période précoloniale »
122, la subtilité de son raisonnement obscurcit sa position.
Certes, « A chacun son bambara » de Jean Bazin ou « Les
Bété, une création coloniale » de Jean-Pierre Dozon,
démontrent que certaines ethnies ont bien été
créées par le colonisateur123, il n'en demeure pas
moins que l'ethnicité faisait sens dans la précolonie. Dans
Au coeur de l'ethnie, Amselle affirme pourtant en reprenant Mercier et
Nicolas, à travers l'exemple du dialecte Bambara-Malinké,
l'existence de l'ethnie et de la race dans la précolonie : «(...)
il existe une notion, celle de «shiya« qui correspond bien
à celle de «race« ou d'«ethnie«, voire de clan ou de
lignage ». une grande envie de questionner alors cette
révélation nous vient à l'esprit : Comment expliquer
l'existence d'un vocable qui désigne l'ethnie alors que celle-ci
n'existe guère, surtout que les colons n'y sont pas encore ?
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