Sociologie des carrières professionnelles dans les entreprises privées au Burkina Faso. Cas de Telecel Faso à Ouagadougou.( Télécharger le fichier original )par Antoine SANGUE Université de Ouagadougou - Maà®trise 2014 |
I.3. Carrière et trajectoire professionnelleLe monde du travail dans son élan de dynamisme est un espace social où tout individu aspire à une ascension, un changement de statut, en somme la construction professionnelle de sa carrière. La carrière professionnelle peut être considérée comme une suite de fonctions et d'activités liées au travail qu'occupe une personne au cours de sa vie. La mise en scène du procès de travail crée chez le travailleur une identité liée aux interactions et trajectoires de celui-ci. Dubar (1991) montre le processus par lequel l'identité de l'employé est construite par et dans l'entreprise,et ce, réciproquement. Il analyse les processus de reproduction et de transformation des identités sociales tout au long de la socialisation professionnelle de l'individu. L'auteur montre comment l'identité socioprofessionnelle du travailleur est liée à l'identité de l'entreprise, puisque les employés sont identifiés à son nom, à sa réussite, ce quiimplique du même coup une réciprocité à leur égard. Ainsi, pendant que le salarié fait preuve d'un engagement personnel dans son travail pour la réussite de l'entreprise, cette dernière assure la sécurité subjective et la progression de la carrière du travailleur. La théorie sur la dimension professionnelle de la socialisation élaborée par Dubar s'inscrit dans une logique où le travailleur aspire à l'affirmation de soi. Il montre que « l'identité pour soi » et « l'identité pour autrui » peuvent se construire dans un processus de continuité ou de rupture. Ces différentes configurations identitaires sont le résultat d'une reconnaissance, pouvant se solder par une promotion, ou une conversion à un réseau relationnel. Sinon elles peuvent se caractériserpar une non reconnaissance, un blocage, une stagnation dont l'exclusion ou la défection est l'aboutissement. Il faut retenir avec l'auteur que chaque configuration implique un rapport à l'espace social, et donc un arrangement des sous-espaces qui le structurent. C'est dans ces sous espaces que les individus déploient leurs trajectoires, pour se construire une carrière.En outre, l'auteur associe à toute dynamique dans les procès de travail, le concept de « savoirs privilégiés ».Il classifie les savoirs pratiques issus de l'expérience de travail, et de la compétence ; les savoirs professionnels, impliquant des articulations entre savoirs pratiques et savoirs techniques, associés à une logique de la qualification dans le travail ; les savoirs d'organisation dépendant des stratégies d'organisation, sont liés à la mobilisation et la reconnaissance qui structurent l'identité d'entreprise. Dubar montre aussi comment les savoirs théoriques structurent l'incertitude et l'instabilité, fortement tendue vers l'autonomie. Ilconclut en montrant que les identités sont en perpétuel mouvement ; et cette dynamique de production et reproduction prend parfois l'allure d'une « crise des identités ». Pour l'auteur, les identités sociales et professionnelles typiques ne sont ni des expressions psychologiques de personnalités individuelles, ni produits de structures ou de politiques économiques, mais plutôt des « constructions sociales impliquant l'interaction entre les trajectoires individuelles et des systèmes d'emploi, de travail et de formation »(Dubar 1991 : 264). Procédant selon le paradigme interactionniste, Hughes (1996) traite la carrière au sens moderne et large de parcours suivi par une personne au cours de la période pendant laquelle elle travaille.Qualifiant notre époque d'ère de la bureaucratie, il s'appuie sur les travaux de Mannheim pour dire que la carrière désigne la progression d'une personne à l'intérieur d'une bureaucratie, motivée par une quantité d'argent, d'autorité, de responsabilités et de prestige. Se référant à l'âge biologique, comme dimension première pour étudier la question de la carrière, l'auteur montre que du fait que l'âge change en permanence et de façon irréversible, celui-ci est indissociable au concept de carrière. Il donne un enseignement sur le fait que bien que certaines activités permettent à l'individu de faire une longue carrière soutenue par l'âge, d'autres activités en revanche ne donnent pas cet attribut. En effet, Hughes dit que « certains indices tendent à montrer que passé l'âge de trente-cinq ans, l'infirmière travaillant au bloc opératoire éprouve des difficultés à exécuter au doigt et à l'oeil les ordres du chirurgien » (Hughes 1996 : 179). Cette dimension de la carrière montre comment la variable de l'âge peut être un aspect primordial dans le recrutement, la formation et la promotion d'un individu. En relation avec la question du genre, l'auteur montre aussi comment le cycle menstruel, les grossesses et l'éducation des enfants agissent sur la carrière des femmes. Il fait un lien entre les faits biologiques, les tabous, les définitions sociales et le travail de ces femmes. S'appuyant sur une étude effectuée sur les femmes d'une industrie, il montre comment une proportion de femmes noires et polonaises d'âge mûr, souffraient constamment « d'un petit quelque chose » sous le vocable de « problèmes de femmes ». De ce fait, carrière professionnelle et changement biologique de l'organisme, autant que les obligations matrimoniales chez la femme sontdes dimensions dignes d'intérêt pour l'étude d'une organisation, dont la vocation commerciale demande une forte présence féminine. La mobilité des ressources humaines dans le système social est aussi une dimension que Hughes n'occulte pas dans son approche sur la carrière. Selon lui, la matrice sociale est sujette à des changements et surtout à une évolution dans l'organisation. A une époque dominée par le développement technologique, le travailleur se retrouve dans un espace où l'ergonomie occupe plus de place. Le système social peut évoluer de manière si profonde que l'individu au cours du déroulement de sa carrière, peut passer plusieurs fois d'un poste à un autre, au sein du même système et acquérir de nouvelles connaissances, accompagnant ainsi son capital professionnel. Il indique alors pour conclure, que toutes ces dimensions doivent être prises en compte dans l'étude du comportement des carrières d'un individu au cours de ses trajectoires, dans une logique de la division scientifique du travail. Dans la même perspective interactionniste, Tréanton (1960) donne un important éclairage dans son article sur le concept de « la carrière ». Il circonscrit le concept afin de dégager son aspect de « rôle social ». Selon lui, celui-ci résulte d'un resserrement des liens entre le salarié et l'entreprise et d'avantage en termes de rétribution et de statut social que procure l'ancienneté d'emploi. Dans ce sens, la carrièreest un moyen de se prémunir contre l'insécurité sur le plan du chômage, de la maladie, et de la vieillesse, et aussi de prévoir les étapes et détours qui surviendront. Tréanton indique par ailleurs que l'expérience et l'efficacité s'améliorent au fil de la carrière. Faisant référence à Ford, l'un des plus grands industriels américains, l'auteur montre comment celui-ci donnait priorité d'embauche à ses anciens ouvriers du fait des avantages d'ancienneté ou de séniorité. Une carrière peut ainsi donc prémunir un salarié contre une perte de statut, de pouvoir, de salaire. Selon l'auteur, la carrière est un instrument d'anticipation et sa définition convient lorsqu'on veut établir une distinction avec le concept de parcours professionnel. L'apport considérable de cet article réside dans sa conceptualisation de la construction des carrières. En effet, « chaque carrière s'imbrique dans le réseau entier des carrières »(Tréanton 1960 :78), ce qui signifie que l'accès à un certain statut dépend de l'organisation d'ensemble et de la possibilité de substitution ou d'intérimaire, à nombre de place constante, ouverte par un prédécesseur qui laisse son poste et un successeur qui prend la suite. Le processus de promotion des travailleurs et la « prévision des carrières » dépendent alors des conditions de croissance économique, de progrès techniques et d'une politique de plein emploi, condition première du développement des entreprises. Mais plus encore, Tréanton rapporte que ceux qui échouent à entrer dans ce processus de carriérisation ont dû abandonner en cours de trajectoire et font figure de résiduels. La carrière joue par conséquent un rôle de différenciation sociale. Qui s'intéresse à la question des carrières des travailleurs, ne peut occulter l'aspect concernant la sécurité sociale. Delamotte (in Friedmann et Naville 1962) définit la sécurité sociale comme une institution qui a pour ambition d'assurer la protection sociale des travailleurs. Elle est constituée entre autre d'assurance sociale, d'accident de travail, de prestations familiales. En France, la sécurité sociale désigne un ensemble de dispositifs et d'institutions qui ont pour fonction de protéger les individus des conséquences d'événements ou de situations diverses, qualifiés généralement de risques sociaux. Cet ensemble, communément appelé sécu est le résultat de luttes, de mouvement sociaux et de pressions exercées par les organisations syndicales. Dans une étude de cas spécifique au Burkina Faso, Domba (2009) s'intéresse au contexte d'apparition de la protection sociale. Il montre que la sécurité sociale1(*) qui se veut promouvoir à une échelle plus vaste, la solidarité que présente à l'état naturel le groupe familial, est née grâce à l'action de l'Organisation des Nations Unies en 1945 et à l'adoption de la déclaration universelle des droits de l'homme en 1948, imposée aux Etats membres. Elle était connue à ses débuts sous l'appellation de caisse de compensation des prestations familiales. Au cours du temps, elle fit l'objet de changements et d'amélioration pour le bien être de la famille. C'est alors qu'elle prend l'allure d'un système de régulation de la société via diverses politiques. Dans la gestion des charges sociales, l'entrepreneur pour son employé, procède à une fusion entre cotisations et salaire et considère le coût global de la main d'oeuvre tel qu'apparaît dans la comptabilité de son entreprise. Domba signifie en outre que nonobstant ces actions menées par l'Etat et l'entreprise, des insuffisancessubsistent dans la couverture des charges sociales. Salaires et prestations sociales sont complémentaires. Les prestations sont ce qui est touché en plus du salaire, les allocations familiales, les couvertures et assurances santé par exemple. Notons que le salaire ne consacre au travailleur que son rôle dans la chaîne de production. La sécurité sociale témoigne des autres aspects de sa condition en lui reconnaissant une dimension qui va au-delà de l'économique. En effet, tout travailleur, selon son milieu d'origine et ses diverses trajectoires, véhicule un comportement et une attitude qui relèveraient de déterminants renvoyant à sa socialisation et ses représentations.
* 1Au Burkina Faso, la sécurité sociale a été créée le « 06 Décembre 1955, par l'arrêté N°1029/ITLS/HV» (Domba, 2009). |
|