PREMIERE PARTIE : CADRE
THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE
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CHAPITRE I : CADRE
THEORIQUE
Dans ce chapitre, il est question de faire une synthèse
des documents qui abordent notre question de recherche. Cette recherche
documentaire nous permet de voir les différents points de vue
développés par les chercheurs et de dégager de nouvelles
pistes de recherche. Ce cadre théorique est composé de la revue
de littérature, de la problématique, des objectifs, des
hypothèses et de la définition des concepts.
I. REVUE DE LITTERATURE
Afin d'élaborer notre cadre théorique, nous
avons procédé à une recherche documentaire à partir
d'ouvrages, d'articles, de mémoires, de rapports d'études et de
travaux divers. Cette revue de littérature est construite autour d'un
certain nombre de thématiques : la division et l'organisation du
travail, les modes de recrutement, la gestion de la carrière
professionnelle des agents, la socialisation et représentations sociales
des agents dans le champ professionnel.
I.1. Division et organisation du
travail
Dans toutes les sociétés humaines, le travail
est l'objet non seulement de règles techniques et morales, mais aussi de
contrôle social. La division du travail a toujours été au
centre de l'organisation du travail contemporain, de manière plus ou
moins explicite (Durkheim 1930, Sainsaulieu 1988, etc.). Elle est
censée augmenter la force productive et l'habilité du
travailleur ; elle est perçue comme une condition nécessaire
du développement intellectuel et matériel des
sociétés.
C'est ainsi que Taylor (in Mousli2006) a mis au point une
méthode de rationalisation afin d'augmenter la productivité. Le
taylorisme repose sur une double division du travail. La division
horizontale du travail qui consiste à parcelliser les tâches
en un ensemble de gestes simples et répétitifs confiés aux
ouvriers. La division verticale du travail, qui isole les
tâches de conception, laissées à la hiérarchie
et les tâches d'exécution imposées aux ouvriers. Selon
l'auteur, la méthodologie de Taylor a consisté à produire
plus en moins de temps, à organiser scientifiquement le
travail bien qu'à l'époque le modèle fût
contesté.
La démarche scientifique de l'organisation de la
société adoptée par Durkheim (1930) est toujours
d'actualité. En effet il met en exergue deux formes de solidarité
sociale: « la solidarité mécanique », qu'on
retrouve surtout dans les sociétés traditionnelles fondées
sur un ensemble de croyances et de normes héritéeset la
« solidarité organique », fondée sur la
division du travail. Les formes pathologiques de la division du travail qui
cessent d'engendrer la solidarité sont également
analysées. Observant le développement de la division du travail
dans les sociétés contemporaines, il remarque que la division du
travail, loin de diviser les Hommes, renforce leur
complémentarité en les obligeant à coopérer.
L'auteur ne réduit pas la division du travail à une
spécialisation professionnelle. Il estime qu'elle concerne toutes les
activités humaines. Selon lui, la solidarité sociale peut
être étudiée par son « symbole
visible » qui est le droit.Le passage d'une forme dominante de lien
social à une autre, c'est-à-dire d'une société
fondée sur la solidarité mécanique à une
société fondée sur la solidarité organique,
s'explique pour lui par le progrès de la division du travail. Avec
l'accroissement de cette dernière et la complexité croissante de
la société, les règles de droit s'étendent et
reposent de plus en plus sur un droit restitutif et coopératif. Ce qui
est illustré par le développement des recours aux contrats,
symboles de l'échange. Durkheim présente les formes pathologiques
de la division du travail. Quand les règles qui déterminent la
division du travail ne sont pas acceptées par tous en raison d'un manque
d'équité ; quand le travail exerce une contrainte trop
forte, la machine imposant son rythme sans créer de solidarité,
mais plutôt un automatisme, comme le montre plus tard Naville
(1963) ; ou quand les fonctions sont insuffisamment coordonnées, et
partant les employés insuffisamment occupés dans les
administrations ne perçoivent pas le lien qui les unit aux autres si
bien que :
« l'individu, courbé sur sa tâche,
s'isole dans son activité spéciale, il ne sent plus les
collaborateurs qui travaillent à côté de lui, à la
même oeuvre que lui, il n'a même plus l'idée de cette oeuvre
commune »(Durkheim 1930 : 348).
D'autres peuvent avoir pour conséquence l'anomie,
c'est-à-dire une désintégration du lien social. L'anomie
provient d'un manque d'interaction entre les fonctions.C'est le cas lorsque
l'antagonisme entre capital et travail sépare le maître de
l'ouvrier pouvant conduire à des révoltes. Aujourd'hui, la
montée du chômage et de la précarité au travail
constituent indéniablement des facteurs que Durkheim pourrait ranger
dans les formes pathologiques de la division du travail, celles qui dissolvent
le lien social.
Ces anomalies pourraient se lire dans l'espace de travail de
Télécel Faso, où l'utilisation permanente des NTIC,
créé des formes de solidarité organisées autour
d'une logique particulière.
Au-delà des formes pathologiques de la division du
travail, Bourdieu (1976), lui, entend que chaque société est
organisée autour d'un système de production et de distribution
qui lui permet de se pérenniser dans le temps. Dans son étude
ethnologique sur la société Kabyle, il montre comment cette
société est régie par un mode d'organisation construit
autour d'un système qu'il appelle la logique pratique.
Cette logique permet de mettre en exergue la distinction entre les deux sexes
masculin et féminin, quand bien même cela semble contextuel. Son
analyse se porte sur plusieurs domaines. L'espace de la maison, les parties du
corps, l'année agraire, la cuisine, la journée, les travaux
quotidiens. Les pratiques sociales sont associées à des
séries de contraires : le masculin étant
généralement associé au sec, au chaud, au plein, à
l'épicé, au clair, au dehors, au dur ; pendant que, le
féminin est lié à l'humidité, au froid, au
vide, au fade, à l'obscur, au dedans et au tendre. Cette division
sexuelle du travail proposée par l'auteur peut servir à analyser
la distribution des tâches et des postes aux travailleurs au sein de la
société Télécel Faso. Au regard de la dimension
commerciale de l'entreprise, la distribution interne des tâches suivant
le sexe répondrait à des stratégies de mise en
scène des attributs physiques et intellectuels des individus en vue
d'assurer une visibilité et une rentabilité optimale de
l'entreprise.
Dans une logique médicale, Freidson (1970)
élabore une théorie du procès de travail fort
considérable. En effet, l'auteur analyse les processus d'organisation en
cours dans l'espace du travail médical. Selon lui, la division du
travail dans les domaines non professionnalisés, est le résultat
de données liées à l'histoire, aux obligations dues au
système économique et politique. Cependant, la division du
travail médical est régulée par la profession dominante du
médecin, doté d'un soutien politique de l'Etat, qui lui donne le
droit de diriger toute activité qui s'y rattache au sien. L'auteur
désigne ces activités par le terme de métiers
paramédicaux, qui sont les métiers relatifs à
l'administration des soins dont le médecin a le contrôle absolu,
consistant à assister plutôt qu'à remplacer la tâche
du médecin. C'est le cas de l'infirmière et du technicien de
laboratoire par exemple. La profession médicale prend alors une forme de
hiérarchie. Ainsi, le médecin se retrouve au centre d'un
ensemble de spécialistes dont l'activité est
régulée par son autorité. Tout le travail de
l'infirmière découle des ordres du médecin. C'est ce qui
amène l'auteur à dire que « l'activité
d'infirmière était ainsi définie comme un
élément subalterne de la division technique des taches
attachées à la médecine»(Freidson 1970 : 71). En
outre, dans les métiers paramédicaux, il existe une
hiérarchie de prestige et d'autorité. Autant le médecin a
la main mise sur l'activité de l'infirmier ou de la sage-femme, autant
ces dernières aussi codifient le comportement professionnel des
techniciens. Toutefois, Freidson remarque que les femmes sont plus nombreuses
dans les métiers paramédicaux que celui de médecin. Et
cette causalité se trouve au coeur des origines sociales, puisqu'aux
USA, elles sont pour la plupart issues de groupes ethniques, raciaux et
religieux les plus dévalorisés. La question reste à
savoir, si chez Télécel Faso, les postes de travail sont aussi
distribués selon une origine ou une trajectoire sociale, ou selon une
appartenance à telle ou telle autre catégorie sociale.
Dans son analyse de l'espace du travail,Hughes (1996) montre
que la division du travail implique « l'interaction qui est l'essence
des totalités ». Elle ne consiste pas dans la simple
différence entre type de travail d'un individu et celui d'un autre, mais
dans le fait que les différentes tâches sont les parties d'une
totalité et l'activité de chacun contribue dans une certaine
mesure au produit final. Selon l'auteur, l'étude du travail ne doit pas
occulter une partie du système d'interaction. Car l'on ne saurait parler
de poste de travail sans une organisation la mandatant, et pas de travail sans
d'autres personnes. Ce qui implique que l'étude du travail d'une
catégorie de personnel, ne saurait se faire sans l'analyse du travail
des autres. Ainsi, toutes ces catégories de personnel sont dans
l'obligation de dépasser les frontières qui les séparent,
et se tourner vers une nécessaire coopération, qui, pourtant peut
être source de conflits. S'appuyant sur le métier de l'avocat et
celui du médecin, Hughes note que :
« Tout comme l'activité de l'avocat
appartient à un système qui plonge aux enfers du moins
respectable et s'étend jusqu'aux limbes de la fourberie et de la
violence [...], celle du médecin est aussi en contact avec l'univers de
l'impur au sens moral et rituel, mais surtout avec la saleté
physique »(Hughes 1996 : 63).
Concernant l'aspect déontologique et éthique du
travail, il utilise le concept de « la division morale du
travail ». Pour l'auteur, par rapport à la gestion des erreurs
par exemple, dans le travail, il existe un « code
éthique » peu ou prou implicite ou explicite, au sein des
professionnels. En effet, autant que certaines erreurs sont
blâmées et même sanctionnées par les pairs, il arrive
des fois que certains protègent leurs collègues. Cela
résulte de l'étroite solidarité qui coexiste entre les
membres d'une profession, rassemblés sous le couvert conceptuel
del'éthos. En somme, l'auteur résume le procès du
travail par la formule de social drama of work ou le drame social
correspondant à une analogie entre les représentations
théâtrales et les situations de travail où se rencontrent
plusieurs types de travailleurs. Cela permet de dire que la division du travail
va bien au-delà du simple phénomène technique ; elle
contient d'infinies nuances psychosociologiques. Bien que notre étude
concerne un groupe professionnel réuni autour d'une finalité
économique, la richesse thématique rassemblée par
Chapoulie dans le regard sociologique de Hughes, guide notre recherche, en ce
sens qu'il permet d'appréhender les relations du travail sous un aspect
ethnographique.
D'Iribarne (2007) a effectué diverses analyses
comparatives dans les questions de management en entreprise, aussi bien dans
les pays dits modernes, que ceux en voie de développement. Il montre que
le fonctionnement des organisations est marqué par des
différences de conception de la coopération qui sont
enracinées dans une vision de l'Homme et de la société
selon la culture. La manière de concevoir les rapports internes à
l'entreprise, la nature des rapports hiérarchiques, est ancrée
dans la conception ambiante du lien social. Il paraît alors plus
avisé d'élaborer des plans de coopération qui
répondraient, non seulement aux normes et valeurs prônées
par une économie mondialisée, mais aussi et surtout aux pratiques
culturelles de l'espace donné. La vie des entreprises devient alors un
lieu d'observation privilégié pour comprendre la manière
dont s'articulent tradition et modernité.
Selon d'Iribarne la rencontre de deux cultures au sein d'un
contexte économique revêt une complexité qui mérite
une attention. L'entreprise étant un lieu de contingence culturelle,
chaque geste, parole ou attitude est une logique qu'on ne peut remettre en
question et que l'on doit relire dans son contexte culturel. Il s'agit
d'établir un lien de complémentarité entre les cultures
présentes dans l'entreprise. Concernant la notion de culture, il la
rapporte à uncontexte spécifique :
« D'un côté la communauté
(gemeinschaft), où l'existence de chacun est régie par
un ensemble de croyances et de normes héritées qui s'imposent
à lui, et de l'autre la société (gesellschaft),
libre association d'individus attachés à leurs
intérêts et maîtres de leurs valeurs. [...] Elle est
supposée fournir les valeurs communes, les préjugés
communs permettant de légitimer les coutumes, les traditions, qui
conditionnent les conduites » (D'Iribarne2007 : 1).
Ainsi donc définies, deux cultures ou modes de gestion
peuvent faire bon ménage au sein d'une entité si toutefois un
certain équilibre est préservé. Chaque
société apparaît marquée par des traits culturels
qui, tout en oeuvrant pour une stabilité, sont compatibles avec d'autres
formes diverses d'ordre social. Dès lors que l'on fait face à cet
enchevêtrement, il ne s'agit plus de changer de culture pour permettre le
développement ; il s'agit plutôt de construire, dans le
fonctionnement de chaque entreprise et dans les institutions de chaque
société, des formes d'ordre social qui, tout en étant
compatibles avec la culture des membres, soient favorables au
développement. Ainsi, selon D'Iribarne, dans les pays dit modernes, et
particulièrement dans la société anglo-saxon,
« chacun est représenté comme propriétaire de
soi-même, négociant l'usage de sa force de travail comme il
négocierait un bien quelconque [...] même s'il est
placé en position subordonnée »(D'Iribarne 2007 :
2).Par contre, dans les pays en voie de développement, la
greffe de ce modèle n'a pas encore pris et le challenge est de trouver
des institutions adaptées à ces différents cadres
culturels. C'est pourquoi il propose une importation de ces méthodes de
management ditesbest practices. Dans les pays en développement,
D'Iribarne pense que cette méthode de management est confrontée
aux résistances culturelles. Et le changement est tellement difficile
à obtenir du fait que les individus sont condamnés par leur
culture à s'auto construire dans le sous-développement.
Toutefois, dans les « sociétés
particularistes », comme c'est le cas de l'Afrique subsaharienne,
où prédomine une forme d'éthique sociale qui demande
d'être fidèle aux groupes dont on est membre, famille, clan,
confrérie, réseau, il y a une toute autre logique
(Labazée 1988). Ainsi faire passer son devoir professionnel avant
les services que l'on peut rendre aux siens relèverait d'une trahison
à l'égard de son réseau relationnel, au profit de son
entreprise. Fort heureusement, on remarque de nouvelles dynamiques, surtout en
Afrique urbaine.
D'Iribarne propose alors d'une part, d'encadrer le capital
symbolique des employés, de manière à leur permettre de
montrer aux autres membres des réseaux de solidarités auxquels
ils appartiennent que, s'ils refusent leurs sollicitations, ce n'est pas par
manque de fidélité à leur égard, mais parce qu'ils
ne peuvent pas faire autrement, contraints par une certaine déontologie
dont le sens échappe au profane. D'autre part, l'entreprise doit
être elle-même, selon des modalités adaptées à
la culture locale, un groupe d'appartenance porteur de devoirs de
fidélité suffisamment forts pour être la source
d'obligations qui l'emportent sur les obligations envers d'autres groupes.
Qu'en est-il des modalités de recrutement ?
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