2. Le chancre bactérien
La maladie a été décrite dans les
années 60, suite au développement rapide de nouvelles
plantations. Tout d'abord signalée en verger de pêcher dans la
vallée du Rhône, elle est certainement la première cause de
dépérissement du verger d'abricotier en
Drôme-Ardèche.
2.1 Agent causal
L'agent causal est une bactérie du genre
Pseudomonas, qui se caractérise par un chromosome circulaire
entre 5,9 et 6,5 Mbp. Globalement, le génome contient environ 5000
gènes dont un minimum 30% sont spécifiques aux pathovars (Baltrus
et al., 2011; Buell et al., 2003; Green et al., 2010).
Elle colonise les surfaces et les tissus
végétaux de la plante hôte. En se basant sur la
pathogénicité et la gamme des plantes hôtes,
Pseudomonas syringae, l'agent pathogène responsable de la
maladie du chancre bactérien (Preston, 2004), regroupe 50 pathovars
(Young, 2010) signalés sur 180 espèces dans le monde (Kaluzna et
al., 2010). Chez les arbres fruitiers six pathovars pathogènes ont
été identifiés (tableau 1).
L'étude du chancre bactérien a été
initiée en Pologne par Brzezinski (1902) qui a déterminé
que la gommose et le dépérissement du pêcher, de
l'abricotier, du prunier, et du cerisier était d'origine
bactérienne. En même temps en Hollande, Van Hall (1902)
décrit l'agent causal de la brûlure bactérienne du Lilas
comme Pseudomonas syringae.
8
Plus tard, la position taxonomique de P. syringae et
P. morsprunorum a été changée après la
révision des statuts des bactéries pathogènes. La
classification récente des pathovars de P. syringae
déterminée par hybridation d'ADN a montré que P.
syringae pv. syringae (Pss), P. syringae pv. morsprunorum
(Psm) race 1 et race2 sont des agents pathogènes
génétiquement distincts adaptés aux mêmes plantes
hôtes (Bultreys and Kaluzna, 2010) .
P. syringae est caractérisé par une
grande variabilité génétique, physiologique et biologique
que certains auteurs expliquent par les nombreuses combinaisons possibles en
fonction des conditions de climat, sol, et méthode de culture (Roos and
Hattingh, 1987b).
L'abricotier (Prunus armeniaca L.), le pêcher
(P. persica), le prunier (P. domestica L.) peuvent être
sévèrement attaqués par trois bactéries :
Pseudomonas syringae pv. syringae (Pss),
Pseudomonas syringae pv. monorsprunorum (Psm), et
Pseudomonas viridiflava (Prunier and Cotta, 1985). Cette
dernière bien qu'on lui ait attribué un nom d'espèce, fait
partie du complexe P. syringae (Gardan et al., 1999; Young, 1991). Au
sein des Pseudomonas syringae pv. monorsprunorum
(Psm), il a été déterminé deux races
: P. syringae pv monorsprunorum race 1 et P. syringae
pv. Monorsprunorum race 2 (Freigoun and Crosse, 1975; Vicente et
al., 2004).
Une étude menée en Turquie sur l'abricotier
montre que sur 53 isolats de P.syringae, 42 isolats était
identifiées comme Pss et 11 comme Psm (Donmez et al.,
2010; Kennelly et al., 2007). (Crosse and Garrett, 1966; Kennelly et al., 2007)
ont identifié que la souche Pss était plus
pathogène pour l'abricotier tandis que Psm était plus
pathogène sur le cerisier (Latorre and Jones, 1979).
Mlle HADJ BRAHIM Mouna ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE
9
Tableau 1: Liste des espèces de
Pseudomonas et des pathovars de P. syringae,
rencontrées chez les arbres fruitiers
Agent
|
Maladie
|
Hôte(s)
|
Sources
|
Pseudomonas avellanae
|
bacterial canker
|
Noisette européenne
|
(Scortichini, 2002)
|
Pseudomonas savastanoi pv. savastanoi
|
olive knot
|
Olive
|
(Young, 2004)
|
Pseudomonas syringae pv. avii
|
bacterial canker
|
Cerisier sauvage
|
(Menard et al., 2003)
|
pv. caryli
|
twig dieback
|
Noisette européenne
|
(Scortichini et al., 2005)
|
pv. morsprunorum
|
bacterial canker
|
Fruits à noyau
|
(Latorre and Jones, 1979)
|
pv. papulans
|
blister spot
|
Pommier
|
(Bedford et al., 1988)
|
pv. persicae
|
bacterial canker
|
Pêcher
|
(Barzic and Guittet, 1996)
|
pv. syringae
|
nécrose apicale
|
Mangue
|
(Cazorla et al., 1998)
|
|
bacterial canker
|
Fruits à noyau
|
(Latorre and Jones, 1979)
|
|
blister bark
|
Pommier
|
(Mansvelt and Hattingh, 1986a)
|
|
blossom blast
|
Poirier
|
(Mansvelt and Hattingh, 1986b)
|
P. syringae est un bacille à gram
négatif, aérobie strict, pathogène fluorescent, capable de
se déplacer grâce à ses flagelles polaires. La plupart des
espèces de ce genre sont ubiquistes, et peuvent coloniser une grande
variétés de niches écologiques et microclimatiques, en
exprimant des symptômes de gravité variable (Kaluzna et al.,
2010). Ces Pseudomonas présentent des molécules qui
peuvent être des antigènes (Samson and Saunier, 1987), dont la
connaissance est à la base de la discrimination des pathovars.
L'espèce P. syringae possède trois
propriétés importantes: un pouvoir pathogène, un pouvoir
glaçogène, et une aptitude à la vie épiphyte.
L'aptitude épiphyte de Pseudomonas syringae
:
Pseudomonas syringae est un germe ubiquiste et
pathogène de nombreuses plantes mais sa principale
caractéristique est une présence épiphyte à la
surface d'un très grand nombre de plantes hôtes; il y constitue
alors des populations qui sont particulièrement abondantes au printemps
(Hirano and Upper, 1990). Cette aptitude à coloniser la surface des
organes aériens des plantes et à s'y multiplier conduit à
des populations
Mlle HADJ BRAHIM Mouna ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE
10
bactériennes élevées, essentielles pour
l'initiation de l'infection, et forment un réservoir d'inoculum
(Gaignard and Luisetti, 1993).
Le cycle de la maladie du chancre bactérien comporte
des phases d'hiver et d'été (Cameron, 1962). Durant la phase
hivernale, les bactéries sont présentes sur l'écorce des
tiges et des branches alors que durant l'été, les
bactéries occupent les tissus verts (les feuilles, les fleurs et les
pousses) (Crosse, 1966). Le cycle de P.s pv persicae proposé
par Luisetti est décrit dans la figure 1.
C'est avec les travaux de Crosse (1959) que l'on commence
à considérer la feuille comme un habitat pour les
micro-organismes, à parler de phyllosphère (habitat
localisé à la surface des feuilles et dans les espaces
intercellulaire) et de vie épiphyte (population résidentes
à la surface des feuilles dont la croissance est associée aux
tissus sains de la plante). Afin de se protéger de la dessiccation, des
rayons UV et des radicaux libres, les P. syringae peuvent former des
agrégats par l'intermédiaire de structures extracellulaires comme
des exopolysaccharides (EPS tel que l'alginate).
Phase épiphyte
Phase parasite
Figure 1: Cycle biologique de P.s percicae
sur pêcher (Gaignard and Luisetti, 1993)
.
Mlle HADJ BRAHIM Mouna ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE
11
Pouvoir pathogène:
Le pouvoir pahogène traduit une
spécificité d'hôte liée au pathovar
considéré, sauf pour le pathovar syringae dont la gamme
d'hôte est actuellement contestée. En effet, l'adaptation à
de nombreuses espèces végétales, à des
environnements différents, résulte d'une sélection
permanente, en réponse à la pression du milieu, favorisant
l'apparition de sous-populations (écotype, pathotypes).
Une fois que P. syringae a colonisé la surface
extérieure de la plante, la bactérie pénètre les
espaces intercellulaires par des lésions ou des ouvertures naturelles.
Le pouvoir pathogène de P. syringae s'exprime alors suivant
deux processus: la sécrétion de protéines effectrices
à l'intérieur des cellules des plantes hôtes afin de
moduler les fonctions de la plantes, et/ou la production d'exopolysaccharides,
de phytotoxines, de phytohormones et d'enzymes dégradant les parois
cellulaires.
La réussite de l'infection est fonction de la
quantité de l'inoculum, du niveau de sensibilité de la plante au
moment de la pénétration et des conditions environnementales
(Young, 1991). A une phase épiphyte succède une phase
pathogène et réciproquement. Des études ont ainsi
montré qu'il y avait une relation entre le nombre de bactéries de
P.s pv syringae présentes à la surface des
organes aériens du maïs et l'intensité des
dégâts de gel. Des analyses (Luisetti et al., 1991) sur vigne ont
également montré que les dégâts dus au gel
étaient plus intenses lorsque le nombre de P.s pv syringae
augmentait.
La production de toxine apparait être également
un élément important du pouvoir pathogène. La virulence de
P.s pv syringae est attribuée d'une part aux
nécroses au niveau des fleurs, branches, des bourgeons et des feuilles
induites par une toxine, connue sous le nom de syringomycine (antibiotique)
(Bender et al., 1999; Quigley and Gross, 1994). En effet des inoculations avec
cette toxine pour des concentrations variables sur des bourgeons de
pêcher (Sinden et al., 1971) ont donnés des symptômes
similaires à ceux de l'inoculation avec la bactérie. Il semble
que la syringomycine produite par P.s pv syringae, perturbe
les fonctions physiologiques localisées au sein des membranes plasmiques
des cellules hôtes via des flux H+,Ca2+ et
K+ (Gross and Cody, 1985; Zhang and Takemoto, 1987), avec la
perturbation du gradient pH de la membrane plasmique, l'acidification
cytoplasmique, et la création d'un environnement riche en nutriment pour
la bactérie, initiant la mort cellulaire (Bender et al., 1999;
Mlle HADJ BRAHIM Mouna ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE
12
Quigley and Gross, 1994). Outre son effet perturbateur, la
syringomycine facilite la diffusion des bactéries à la surface
des plantes par la diminution de la tension superficielle de l'eau (Bender et
al., 1999). Bien qu'elle soit un important facteur de virulence, la
syringomycine peut non seulement induire l'exsudation de métabolites par
la plante sans pour autant créer de maladie, mais elle agit comme un
biosurfactant (composé actif qui favorise l'humidification, la
solubilisation et l'émulsion de composés organiques)
régulant la disponibilité en eau pour la bactérie (Lindow
and Brandl, 2003).
Trois facteurs importants sont impliqués dans la
synthèse de la syringomycine : la reconnaissance des signaux de plantes
par les bactéries, l'induction des gènes impliqués dans la
production de syringomycine (six gènes étroitement liés,
dans un cluster, sont impliqués dans la synthèse (syrB1, syrB2,
syrC, et SyrE), la sécrétion (syrD), la régulation (syrP)
de la syringomycine), et la sécrétion de cette phytotoxine
(Quigley and Gross, 1994). En effet, l'activation de la production de cette
toxine se produit dans les molécules de signalisation de la plante,
telles que les glycosides phénoliques, qui sont présentes dans
les feuilles, les écorces, les fleurs et les plantes sensibles à
l'infection par P. syringae pv. syringae. De plus, cette production de
syringomicine est améliorée en présence de sucres, en
particulier le saccharose et le fructose. Dans le cas du cerisier, les feuilles
possèdent deux glycosides de flavonol, et un glycoside de flavanone,
tandis que de grandes quantités de saccharose et le fructose sont aussi
présents. La grande disponibilité de ces molécules de
signalisation de la plante, et leur implication dans la production de
syringomycine, peut expliquer la sensibilité de la cerise à
P. syringae pv. syringae (Bender et al., 1999).
Cette toxine contribue significativement au niveau de la
virulence de la bactérie, ainsi (Luisetti, 1983) a
démontré que l'agressivité de P.s pv persicae
était corrélée avec leur aptitude à produire
des toxines. Les toxines produites par P. syringae appartiennent
à différentes familles et sont issues de voies de synthèse
diverses :
Mlle HADJ BRAHIM Mouna ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE
13
Tableau 2: Phytotoxines produites par
différents pathovars de P. syringae et modes d'action (Bender
et al., 1999)
Toxine
|
Pathovar
|
Classe chimique ou origine de
la biosynthèse
|
Mode d'action
|
Coronatine
|
atropurpurea, glycinea,
maculicola,
morsprunorum,tomato
|
Polyketide
|
Chloroses Hypertrophie inhibition de l'élongation
racinaire et stimulation de la production d'éthylène
|
Persicomycine
|
persicae
|
Acide gras
|
|
Phaseolotoxine
|
actinidiae, phaseolicola
|
Sulfodiaminophosphinyl peptide
|
Inhibition de l'OCTase impliquée dans le cycle de
l'urée Chloroses
|
Syringomycinea
|
syringae, aptata, atrofaciens
|
Lipodepsinonapeptide
|
Création de pores dans la membrane et de flux de cations,
nécroses
|
Syringopeptine
|
syringae
|
Lipodepsinonapeptide
|
Même mode d'action que la syringomycine
|
a incluant les toxines relatives comme la syringotoxine, la
syringostatine, et la pseudomycine.
Propriété glaçogène des
bactéries :
Certaines espèces du genre Pseudomonas, dont
P. syringae, P. viridiflava et P. fluorescens
peuvent être glaçogènes, c'est-à-dire avoir la
capacité d'augmenter la température du point de
congélation de l'eau dans les tissus (Hirano and Upper, 2000),
provoquant ainsi la rupture de la paroi cellulaire végétale et
permettant la colonisation des tissus (Scortichini, 2010). Cette
capacité est fréquente pour les souches épiphytes du
pathovar syringae mais n'a jamais été rencontrée
au sein du pathovar morsprunorum race 1 (Mittelstädt and Rudolph,
1998). Cette propriété est considérée comme un des
facteurs favorisant les premières phases de l'infection
bactérienne.
Dans cette catégorie avec une activité de prise
en glace (ou INA pour Ice Nucletation Activity) (Gross et al., 1984),
on trouve la majorité des pathovars de l'espèce P.syringae
dont P. syringae pv syringae. La majorité (80%) des
souches de P. syringae pv syringae isolées en France ont une
activité glaçogène à une température de
-5°C.
Mlle HADJ BRAHIM Mouna ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE
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