III.2.2. Les théories de la croissance
endogène
Dans les années 1980, le rôle de l'investissement
public dans la croissance économique à long terme est
relayé par les tenants de la théorie de la croissance
endogène. Cette théorie met particulièrement l'accent sur
les externalités positives qu'engendrent certains aménagements
publics d'infrastructure et, a le mérite de regrouper certains
néokeynésiens et néolibéraux. En effet, les
économistes s'accordent sur le fait que l'Etat doit assurer la
fourniture des biens et services non rentables pour le privé mais qui
peuvent s'avérer utiles d'un point de vue socioéconomique. Il
s'agit des biens publics ou collectifs qui n'obéissent pas aux principes
d'exclusions et de rivalités (infrastructures routières,
systèmes d'adduction, éducation, sécurité
nationale, santé, aéroports, etc.). Ainsi, Paul Romer (1986)
affirme que le moteur de la croissance
21 Musgrave R., (1959), The Theory of Public Finance,
New York, McGraw Hill.
22 Les effets croisés peuvent d'ailleurs
être contradictoires. Par exemple, si la redistribution
opérée via la fiscalité occasionne des distorsions dans
l'allocation des ressources (des pertes d'efficacité), elle est en
même temps susceptible d'exercer un impact positif sur la croissance
économique et donc de concourir à une meilleure allocation inter
temporelle des ressources (pour un point récent sur les études
correspondantes, voir Persson T. et Tabellini G., (2000),Political Economy :
Explaining Economic Policy, Cambridge, MA, MIT Press).
23 C'est vers la fin des années 60 que
l'analyse économique des choix publics prend véritablement son
essor, notamment avec les travaux de l'École de Virginie. La
théorie des choix publics est apparue très tôt comme l'une
des théories ayant le plus aidé à faire avancer les
idées néo-libérales sur le plan économique.
Élaborée essentiellement par des économistes comme
Buchanan et Tollison (1972), Tullock, elle postule que l'inefficience des
entreprises publiques est due notamment aux groupes d'intérêts et
aux jeux politiques qui caractérisent les administrations publiques.
Selon l'Ecole du « Public Choice » les agents qui prennent les
décisions publiques, notamment les administrateurs d'entreprises
publiques, les politiciens et les bureaucrates, le font en privilégiant
non pas l'intérêt général, mais leurs
intérêts propres comme le ferait tout individu dans ses choix
privés [Hodge, 2000].
Mémoire rédigé par AJOULIGA DJOUFACK
Hermann Blondel 37
Efficience des dépenses publiques de santé et
croissance économique en zone CEMAC
provient essentiellement de l'accumulation de
connaissances et du capital technologique due à l'innovation et
à la recherche-développement. Robert Lucas24 (1988)
privilégie l'accumulation de capital humain. Robert Barro,
quant à lui, prend en compte les dépenses d'infrastructures
publiques.
Bien que les pères fondateurs de la théorie de
la croissance endogène à savoir Romer et Lucas rejettent le
rôle primordial de l'Etat, ils acceptent cependant que l'Etat devrait
favoriser la croissance de longue période. La question n'est pas de
savoir si l'Etat doit intervenir ou non dans l'activité
économique, mais de savoir comment et jusqu'où peut-il
intervenir.
Dans son article ?Government Spending in a Simple Model of
Endogeneous Growth?, publié en 1990, Barro soutient que la taille
du gouvernement influence de manière significative le taux de croissance
économique, en se basant sur l'existence d'un niveau optimal pour la
participation du gouvernement dans l'économie. Selon l'auteur, il existe
une relation non-linéaire entre les deux variables qui peut être
très ambigüe, en tenant compte du fait qu'elle dépende de
l'effet négatif de la taxation sur le revenu qui, par son tour, sera
compensé par l'effet positif de l'investissement en capital. En
général, le modèle prédit que le gouvernement
devrait offrir des services publiques aux agents, ménages et aux firmes.
La quantité de services offerts par le gouvernement tient en compte des
abstractions concernant certaines externalités liées aux services
publiques, tels que l'exclusion et la rivalité. La dépense
publique est prise comme un élément additionnel à la
fonction de production puisque les facteurs de production privés ne sont
pas des substituts directs des inputs publics, selon l'auteur. La croissance
endogène est garantie par l'hypothèse de rendements
d'échelle constants dans l'accumulation de facteurs de production. Les
dépenses publiques sont financées par la taxation et lorsque que
le gouvernement augmente les dépenses, la productivité du capital
est à la hausse dans une telle proportion que les variables
fondamentales du modèle augmentent à cause de la relation
positive entre productivité et croissance. Néanmoins, pour le
modèle, plus importante est la taille du gouvernement moins est le
revenu retenu par les ménages, ce qui conduit aux changements
négatifs sur le taux de croissance.
L'article de Barro met l'accent ainsi sur l'optimisation des
services du gouvernement par rapport à la croissance économique
optimale. Selon l'auteur, les dépenses gouvernementales peuvent
être productives lorsque, dans certaines conditions pour la fonction de
production, elles sont choisies de façon optimale, contribuant donc,
à la croissance économique et elles sont improductives dans le
cas contraire. En d'autres termes, les gouvernements favorisent la croissance
économique grâce à l'offre de biens publiques qui
accroissent la productivité marginale du capital. Cependant, lorsque la
taille du gouvernement augmente, de plus en plus de ressources sont
affectées pour des motivations politiques plutôt que pour des
raisons liées aux forces du marché, et nous arrivons dans un
scenario propice à l'émergence des inefficacités et donc,
qui conduit à une précarité de la croissance
économique.
24 Prix Nobel d'économie 1995
Mémoire rédigé par AJOULIGA DJOUFACK
Hermann Blondel 38
Efficience des dépenses publiques de santé et
croissance économique en zone CEMAC
Toutefois, dans la littérature économique, les
dépenses publiques n'ont pas toujours été perçues
comme des moteurs de la croissance économique. Leur efficacité a
été remise en cause à travers la théorie du
marché politique. Des auteurs comme James Buchanan (Prix Nobel 1986) et
Gordon Tullock (1961) contestent l'idée que l'Etat est le
représentant de l'intérêt général. Ils
montrent en effet que les pouvoirs publics sont des agents économiques
qui cherchent à maximiser leur satisfaction par une élection ou
une réélection et que les décisions publiques sont le
résultat de l'agrégation de décisions privées
telles que les promesses électorales. Ils cherchent donc à
honorer des promesses électorales plutôt qu'à se soucieux
de l'efficacité ou de la productivité d'une dépense
publique. De même, la théorie de la bureaucratie25
stipule que les agents ou bureaucrates cherchent à maximiser leurs
revenus ou leur pouvoir. Il en résulte un accroissement
injustifié des dépenses publiques. En effet selon la
théorie de la bureaucratie, le pouvoir administratif met en
évidence le passage de l'échange volontaire à la
dérive bureaucratique. A cause du théorème
d'impossibilité d'Arrow, un ensemble de logiques individuelles ne peut
pas conduire à une rationalité collective. Dès lors, le
risque est grand de voir, au mépris de la démocratie, les choix
publics correspondre davantage aux préférences des dirigeants
qu'à une expression de la volonté populaire. La classe dirigeante
peut alors se servir des dépenses publiques pour assurer la
réalisation de ses objectifs et la défense de ses
intérêts propres. Les fonctionnaires disposant d'une information
privilégiée et désireux d'accroître leur pouvoir,
ont tendance à surestimer les montants de leurs besoins en
investissements sans souci de leur efficacité, de sorte que le poids des
dépenses budgétaires ne fait que croître de période
en période, sans que l'intérêt public ne le justifie. Selon
Niskanen, les organismes publics croissent du fait de leur inefficacité
et du désir de puissance de leurs dirigeants (Delas, 2001).Ces analyses
ont fait l'objet de développements dans plusieurs travaux comme ceux de
Bléart (1991) et de Muller (2005). Dans ces conditions, le concept de
dépenses publiques productives devrait être questionné.
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