III.2. REVUE DE LA LITTERATURE THEORIQUE
La question théorique de l'impact des dépenses
publiques sur la croissance a de tout temps constitué une
préoccupation centrale de la science économique. Les
théoriciens du développement économique ont traité
cette question en considérant le capital public comme un facteur
environnemental qui influence à travers ses externalités
positives le développement économique et social d'un pays.
Néanmoins, depuis la moitié des années 80, un profond
renouveau sous l'impulsion des modèles de croissance endogène a
remet sur scène la question de l'apport des investissements publics
à la croissance économique. Ces théories ont
constitué un enjeu majeur des développements récents de la
théorie économique car elles réhabilitent le rôle
économique de l'Etat et redonnent des objectifs pour atteindre une
croissance durable et soutenue. Toutefois, avant de passer en revue la
portée théorique de la croissance endogène, il est
important de mettre en lumière les fondements théoriques
l'intervention de l'Etat.
III.2.1. Les fondements théoriques de l'intervention
de l'Etat
Jusqu'au début du 20esiècle, les
idées classiques du ?laissez-faire?
prédominaient parmi les centres de discussion
économique. Cette doctrine a été fondée sur
l'hypothèse selon laquelle les marchés concurrentiels
conduiraient à l'optimum de Pareto, ce qui permettrait la satisfaction
des consommateurs et l'efficience de la production. Étant données
la rareté (relative) des ressources disponibles et la diversité
des
Mémoire rédigé par AJOULIGA DJOUFACK
Hermann Blondel 35
Efficience des dépenses publiques de santé et
croissance économique en zone CEMAC
moyens de les employer, l'objectif qu'il paraît naturel
de chercher à atteindre est que ces ressources soient utilisées
au mieux, qu'elles ne soient pas gaspillées. La définition
traditionnelle que la science économique donne de l'absence de
gaspillage correspond au critère de Pareto: l'utilisation des ressources
est considérée comme efficace s'il est impossible de trouver une
autre allocation qui soit jugée au moins aussi bonne par tous les agents
économiques et strictement meilleure par au moins l'un d'entre eux. Or,
sous réserve que certaines conditions soient remplies, le seul jeu des
mécanismes de marché, animés par des agents qui n'ont
à l'esprit que leur intérêt personnel, conduit à une
situation qui satisfait ce critère d'efficacité. Autrement dit,
l'équilibre d'une économie de marché sans État
constitue un optimum parétien18 ; en ce sens, toute action
gouvernementale conduirait à une situation sous-optimale : c'est la
fameuse théorie de la main invisible d'Adam Smith.
Toutefois, De là à conclure que l'État
est fatalement « celui qui dérange » l'ordre idéal du
marché, il n'y a qu'un pas qui ne peut toutefois pas être franchi,
et cela pour trois raisons.
? D'abord, les mécanismes de marché ne
parviennent pas nécessairement à coordonner les actions des
différents agents de manière telle que l'économie atteigne
un équilibre (les marchés peuvent témoigner de
rigidités qui aboutissent à un « équilibre de
sous-emploi », se caractérisant, par exemple dans le cas du
marché du travail, par un chômage qui dépasse son niveau
« naturel »). Cette « ankylose » de la main invisible
justifie la mise en oeuvre par l'État d'une politique de stabilisation
économique visant à (r)établir l'équilibre.
? Ensuite, l'équilibre de marché n'est un optimum
parétien que si certaines
conditions sont satisfaites19. Les cas où
elles ne le sont pas correspondent aux « défaillances du
marché » (market failures) ; ouvrant ainsi la voie à une
intervention palliative de l'État au travers d'une politique
d'allocation des ressources visant à assurer l'optimalité
parétienne.
? Enfin, l'optimum qui, dans le meilleur des cas, est atteint
à l'équilibre de marché
n'est pas le seul qui soit réalisable. Et rien ne
garantit qu'il soit celui que, du point de vue de l'équité, la
société (dont l'État est le mandataire) conçoit
comme le meilleur. Or, sous réserve que la répartition initiale
des ressources soit modifiée dans un sens approprié, n'importe
lequel des optima réalisables peut être obtenu par un
système de marché20. La recherche de
l'équité se traduit ainsi par la mise en place d'une politique de
redistribution visant à permettre à l'économie de
marché de sélectionner le « meilleur des états
meilleurs », l'«optimum optimorum».
18 Ce résultat fondamental, version moderne
de la « main invisible » d'Adam Smith, correspond au Premier
théorème de l'économie du bien-être. Par la main
invisible, Smith désignait le processus qui, en économie de
marché, fait coïncider les intérêts individuels avec
l'intérêt général.
19 Succinctement, les trois conditions à
remplir sont l'efficacité de l'échange, celle de la production et
celle de la combinaison des biens produits.
20 Ce résultat, tout aussi fondamental que
le précédent dont il constitue une sorte de réciproque,
est connu sous le nom de Second théorème de l'économie du
bien-être.
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Hermann Blondel 36
Efficience des dépenses publiques de santé et
croissance économique en zone CEMAC
Ces trois grands domaines de l'intervention publique (qui
renvoient à la célèbre typologie de Musgrave)21
sont largement interdépendants. La plupart des actions menées
dans le cadre de l'un d'eux ont en effet des répercussions sur les deux
autres22. Ce qui a conduit à une réflexion sur de
nouveaux modus operandi de l'interventionnisme étatique, ainsi
qu'à une redéfinition de son périmètre. Ce
changement de rythme s'explique à la fois par une évolution des
doctrines et une évolution des moeurs ; des vielles théories
libérales du 19esiècle qui confinaient le gouvernement
dans un domaine aussi étroit que possible (armée, police,
justice) ont fait place aux doctrines interventionnistes, très
variées dans leurs nuances (d'une économie de marché
simplement orientée vers l'étatisme intégral), mais
identiques quant à leurs tendances générales de charger
l'Etat de tâches nouvelles soit par la substitution d'organismes
administratifs aux entreprises privées soit par un appui à
l'égard de ces mêmes entreprise(théorie du new public
management)23.
Après une période considérable de forts
débats sur les fluctuations cycliques des économies, certaines
critiques ont commencé à émerger par rapport aux limites
de ces théories concernant l'explication des phénomènes de
long terme. De nombreux auteurs ont ainsi utilisé la croissance
économique comme baromètre permettant d'apprécier
l'efficacité de l'intervention publique à travers
l'efficacité des dépenses publiques, c'est le cas des auteurs
néoclassiques de la théorie de la croissance endogène
notamment Romer (1986), Lucas (1988) Barro (1990) Artus et Kaabi (1993).
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