III.1.3. Notion d'efficience et
généralités sur les modèles de frontière
Le secteur privé et le secteur public présentent
de nombreuses similitudes. Ils produisent tous deux des biens et des services,
en étant soumis à des contraintes de gestion de leurs ressources
financières, techniques et humaines. Cependant, la nature des objectifs
poursuivis dans les deux secteurs est différente : dans le secteur
privé, l'objectif de rentabilité économique est
inhérent à un projet d'entreprise qui doit s'autofinancer pour
s'inscrire dans la durée. Il est au coeur des attentes des actionnaires
lorsque le capital des entreprises est ouvert. Dans le secteur public, le
soutien financier de l'Etat et des collectivités fait passer au second
plan l'objectif de rentabilité économique : la principale
finalité recherchée est la satisfaction de l'intérêt
général correspondant à la responsabilité d'un
service public face au gouvernement et aux citoyens. Dans ce sens, si les
dépenses sociales de santé sont nécessaires pour un
9Selon François Perroux (1990), « le
développement est la combinaison des changements mentaux et sociaux
d'une population qui la rend apte à faire croître, cumulativement
et durablement, son produit réel global.»
Mémoire rédigé par AJOULIGA DJOUFACK
Hermann Blondel 19
Efficience des dépenses publiques de santé et
croissance économique en zone CEMAC
accroissement potentiel du niveau de vie des populations, leur
efficience en est une autre non moins importante - si non plus importante que
les autorités doivent promouvoir.
III.1.3.1. Clarification du concept d'efficience
De façon générale, l'efficience est un
concept qui mesure la productivité d'un facteur ou d'une unité de
production. C'est le rapport entre ce qui est réalisé et les
moyens mis en oeuvre (capacité à produire le maximum avec le
minimum d'efforts ou de dépenses). Elle indique à quel point une
organisation utilise à bien ses ressources pour produire des biens et
des services et correspond à l'écart entre la production maximale
autorisée compte tenu des inputs consommés et la production
réalisée avec la même quantité d'inputs (Boussemart,
1994). C'est donc un concept axé sur les ressources (intrants ou
inputs), les biens et services (extrants ou outputs) et le rythme auquel on
utilise les intrants pour produire ou offrir les extrants
(productivité).
L'économie étant une science d'allocation des
ressources, l'efficience économique ou efficience productive
traduit la possibilité de produire une quantité maximale
à partir d'un input donné. Elle est mesurée à
partir de la relation entre la production observée et la production
maximale suite à l'utilisation de l'input en question. On dira donc que
les dépenses publiques de santé sont efficientes si l'Etat ne
peut produire, une fois que la frontière
d'efficience10 (frontière de production) est
atteinte, un niveau d'output plus élevé que l'output efficient en
réduisant les dépenses engagées. Autrement dit, si pour un
niveau de dépenses l'Etat ne peut améliorer ses résultats
de santé sans toutefois augmenter son niveau de dépenses. Ainsi
l'efficience ne représente qu'une dimension du rendement d'un programme
ou d'une opération du gouvernement. Elle se distingue d'une part de
l'économie qui indique la manière
d'obtenir des ressources en quantité suffisante et de qualité
satisfaisante au moindre coût ; d'autre part de
l'efficacité, c'est-à-dire est la
capacité d'une personne, d'un groupe ou d'un système à
parvenir à ses fins, à ses objectifs (ou à ceux qu'on lui
a fixés). Donc, être efficace, revient à produire à
l'échéance prévue, les résultats escomptés
et réaliser les objectifs fixés, lesquels objectifs peuvent
être définis en termes de quantité, mais aussi de
qualité, de rapidité, de coûts, de rentabilité, etc.
L'efficience fait plus appel à la productivité des facteurs et
s'appréhende dans le même sens de l'efficacité technique ou
productive ; c'est le résultat d'une meilleure productivité dans
l'entreprise issue d'un arbitrage judicieux de la combinaison des facteurs
limités dont elle dispose. Par ailleurs la notion d'efficience
économique diffère de la notion d'efficacité
sociale ou collective. Le concept
d'efficience dans sa dimension économique n'est relatif qu'à un
seul agent économique (producteur) alors que celui d'efficacité
sociale ou collective est relatif à l'ensemble de l'économie qui
inclut producteurs et consommateurs. Elle est atteinte lorsqu'il est impossible
d'accroître l'utilité d'un agent économique sans
détériorer celle d'un autre. On parle alors d'optimum de Pareto
ou optimum de premier rang. Pour définir ce concept d'efficience
économique, Farell (1957) la décompose en efficience allocative
et efficience
10 La frontière d'efficience ou
frontière de production est le lieu géométrique de
combinaison d'inputs permettant d'obtenir un niveau maximal d'output. Elle
matérialise les meilleures pratiques et l'écart de chaque
observation par rapport à cette frontière représente son
degré d'inefficience.
Mémoire rédigé par AJOULIGA DJOUFACK
Hermann Blondel 20
Efficience des dépenses publiques de santé et
croissance économique en zone CEMAC
technique qui, selon Daniela Borodak (2007) se
décompose à son tour en efficience d'échelle et en
efficience technique pure.
III.1.3.1.1. Efficience technique et efficience
allocative
L'efficience technique ou efficience physique
indique dans quelle mesure une institution utilise de manière
optimale les ressources physiques à disposition pour un niveau
donné de résultat. Elle concerne la capacité à
éviter le gaspillage (Daniela Borodak, 2007). Un gouvernement est donc
déclaré techniquement efficient si, pour les niveaux de
dépenses publiques utilisés et d'outputs produits, il lui est
impossible d'augmenter la quantité d'un output sans augmenter la
quantité de dépenses ou de réduire la quantité d'un
autre output, ou réciproquement de réduire la quantité
d'inputs sans réduire la quantité d'outputs. On suppose donc
à travers cette définition que l'ensemble des gouvernements ont
accès au même niveau de dépenses, et que seuls ceux qui
produisent le maximum sont considérés techniquement efficients.
L'utilisation de la notion d'efficience technique permet de mesurer
l'écart existant entre le niveau de dépenses publiques
injectées pour chaque administration, et un niveau
considéré comme optimal déterminé en tenant compte
des administrations les plus performantes. Plusieurs institutions seront
comparées les unes aux autres et, à partir de l'ensemble des
observations, il sera possible d'établir une frontière
d'efficience . Les établissements situés sur cette
frontière seront considérés comme techniquement
efficients. L'inefficience technique correspond donc à une production
insuffisante par rapport à ce qui est techniquement possible avec un
niveau d'inputs donné (ou réciproquement une quantité
d'inputs supérieur au nécessaire pour un niveau d'outputs
donné).
L'efficience allocative ou efficience-prix
provient de la capacité à combiner les inputs et les outputs
dans les proportions optimales, compte tenu des prix donnés sur le
marché. L'efficience allocative fait donc intervenir la notion des prix
des facteurs de production ; et se réfère à la
capacité de l'entreprise de choisir pour un niveau de production la
combinaison d'inputs qui minimise le coût. Théoriquement, un
processus de production sera dit allocativement efficace si le taux marginal de
substitution (TMS) qui est le rapport des productivités marginales entre
chaque paire de facteurs est égal à la proportion des prix de ces
derniers. Ainsi, Toute erreur dans ce programme entraîne une
inefficacité allocative. Dans ce cas, la firme sur ou sous-utilise des
facteurs par rapport à d'autres, ce qui rend la production plus
coûteuse que celle qui utilise les facteurs dans les proportions
optimales. Ainsi, l'efficience allocative consisterait donc à choisir
entre différentes combinaison techniquement efficientes celle qui est
optimale en termes de coût (prix moindre pour le même
résultat).
Pour illustrer graphiquement ces concepts d'efficience,
Farrell représente une fonction de production à deux facteurs de
la forme Y= f(X1 ; X2), où
Y représente l'output et (X1 ;
X2) les deux facteurs considérés. Dans sa
représentation, il suppose que les
rendements d'échelle sont constants, ce qui donne la
forme unitaire de la fonction [f (J ~ ;
J ~ ) = 1] représentée
à la figure (3.1).
Mémoire rédigé par AJOULIGA DJOUFACK
Hermann Blondel 21
Efficience des dépenses publiques de santé et
croissance économique en zone CEMAC
Sur la figure (3.1), la courbe QQ'
désigne l'isoquant et représente le lieu
géométrique de l'ensemble des possibilités de production ;
c'est le lieu géométrique de combinaison des vecteurs ressources
qui sont techniquement efficaces pour un output donné : c'est la
frontière de production ou frontière d'efficience. Tout point
situé sur cette frontière est techniquement efficient ; S
et S' par exemple sont techniquement efficients car
ils utilisent des quantités minimales des deux facteurs pour produire la
quantité unitaire de produit. Par contre tout point situé
à l'intérieur de l'isoquant c'est-à-dire à sa
droite est techniquement inefficient (P par exemple) car il
engage une quantité élevé de facteurs pour produire juste
une quantité unitaire de produit. Géométriquement,
l'inefficience technique au point P est
représentée par le segment SP. L'inefficience
technique renvoie donc à une utilisation excessive d'input.
Selon Farrell, géométriquement l'efficience
technique (ET) au point P est
donnée
OS
par le rapport ETp= OP . S
étant le point de la frontière qui possède les
mêmes proportions
d'inputs que P. La notion d'efficacité
technique est donc comprise entre 0 et 1
(OS?OP). Ainsi tous les points situés sur la
frontière d'efficience QQ' ont un score d'efficience
technique égale à 1. Toutefois, bien qu'ils
soient techniquement efficaces ils ne le sont pas allocativement.
Figure 3.1 : Efficience technique et
efficience allocative
Q
P
A
S
R
S'
Q'
O A
Source : Farrell,1957
x2
Y
x1
Y
Théoriquement, une combinaison de facteurs est dite
allocativement efficace si le taux marginal de substitution est égal au
rapport des prix des facteurs. La droite AA' représente
graphiquement ce rapport des prix, et la courbe QQ' le lieu
géométrique des rapports des productivités marginales.
Ainsi le point S' déterminé par la tangente de
l'isocoût AA' à l'soquant QQ'
est allocativement efficace. R étant la
projection de P sur S
Mémoire rédigé par AJOULIGA DJOUFACK
Hermann Blondel 22
Efficience des dépenses publiques de santé et
croissance économique en zone CEMAC
sur AA', l'efficacité
allocative (EA) de Pet S est
déterminée par le rapport EAp=OROS .
Tout
comme l'efficience technique, l'efficience allocative est
comprise entre 0 et 1
(0?EAi?1). RS représente la
réduction de coût si la production correspondait au point
S'. Tous les points situés sur l'isocoût sont
donc allocativement efficients mais ne sont pas tous faisables (techniquement
efficients).
Le produit de l'efficience technique (ET) et
de l'efficience allocative (EA) est appelé selon
Farrell (1957) efficience économique
(EE) ou efficience totale (ETT) :
EE = ETT= ET x EA.
Cet efficience économique est obtenue au point
S' (S' étant techniquement et
allocativement efficace). L'efficience économique au point P
est égale au produit de :
ET x EA = OSx OR= OR
p p OP OS OP .
Par conséquent le point P n'est ni
techniquement ni allocativement efficient. S bien qu'il soit
techniquement efficient est allocativement inefficient. P et
S ont la même inefficience allocative. Le point
R bien qu'étant allocativement efficient est
techniquement inefficient.
III.1.3.1.2. Efficience d'échelle et efficience
technique pure
L'efficience d'échelle représente
l'écart existant entre les performances constatées et celles qui
seraient obtenues dans une situation d'équilibre concurrentiel de long
terme où le profit est nul, c'est-à-dire par rapport à une
situation de rendement d'échelle constants. Une institution est dite
inefficiente d'échelle si sa situation initiale est
caractérisée par des rendements d'échelle croissants ou
décroissants. L'efficience d'échelle cherche donc à
déterminer dans quelle mesure une institution fonctionne avec des
rendements d'échelle croissants ou décroissants ; permettant
ainsi de définir la taille optimale d'un établissement.
Il y'a rendement d'échelle croissant lorsque la
production varie de façon plus importante que la variation des facteurs
de production utilisés ; en d'autres termes, la production d'une
unité supplémentaire s'accompagne d'une baisse de coût
unitaire : on parle d'économie d'échelle.
Les rendements d'échelle décroissants
désignent l'augmentation moins que proportionnelle de la production
consécutive à l'augmentation des facteurs de production. En
d'autres termes, le coût marginal augmente ; autrement dit, plus on
produit et plus il devient coûteux de produire une unité
supplémentaire : c'est la déséconomie d'échelle.
L'efficience technique pure reflète la
capacité d'une institution à optimiser (maximiser) sa production
pour un niveau donné d'intrants et, symétriquement à
minimiser ses consommations en ressources pour un niveau donné de
production. Elle reflète l'organisation du travail à
l'intérieur de l'unité de production : l'habileté
d'organiser, de motiver et de surveiller efficacement les employés et
les superviseurs ou encore l'habileté d'éviter les erreurs et les
mauvaises décisions (Daniela Borodak, 2007). Ces aspects de
Mémoire rédigé par AJOULIGA DJOUFACK
Hermann Blondel 23
Efficience des dépenses publiques de santé et
croissance économique en zone CEMAC
l'efficience sont classés sous la rubrique
«efficience- X11». Par
conséquent, la mesure de l'efficience technique pure est
indépendante des prix des produit et des intrants.
Pour illustrer ces deux types d'efficience, Coelli et
al, (1998) représente dans un repère, une fonction de
production à un seul facteur (figure 3.2).
Figure 3.2 : Efficience technique pure et
efficience d'échelle
Output : Y
Rendements d'échelle constants Rendements d'échelle
variables
H M N
A
0
B
XH XM XN Input: X
Source : Coelli et al. (1998).
La courbe en trait discontinu sur la figure (3.2) traduit
l'effet du progrès technique correspondant au déplacement de la
courbe (frontière) vers le haut. La firme N
n'étant pas sur la frontière d'efficience, est
techniquement inefficiente. Cette inefficience technique provient de deux
sources : inefficience d'échelle et inefficience technique pure.
L'efficience
11 La théorie de l'efficience X a été
développée par Leibenstein (1966) pour prendre en compte le fait
que certaines inefficacités organisationnelles ne résultent pas
d'un défaut d'allocation des facteurs de production. C'est le cas
notamment des inefficacités liées à la motivation du
personnel ou à une mauvaise organisation de l'entreprise. Des
entreprises disposant de la même composition de main-d'oeuvre (facteur
travail) et de la même technologie (facteur capital) peuvent parvenir
à des performances inégales. Il existerait ainsi un facteur X,
différent des facteurs de production traditionnels (travail et capital)
qui explique l'efficience ou l'inefficience des firmes. Les travaux de
Leibenstein sur la théorie de l'efficience X étaient initialement
appliqués à l'analyse du sous-développement et
n'établissaient pas de lien formel entre l'inefficience X et les
organisations publiques. C'est dans un article ultérieur (Leibenstein,
1978) que l'auteur dégage un certain nombre de facteurs qui seraient
source d'inefficience X dans les organisations publiques et qui, par
conséquent, pouvaient implicitement justifier certaines politiques
entreprises par l'État. Ces facteurs sont liés à la
structure organisationnelle fortement bureaucratisée des organisations
publiques, et aux comportements stratégiques des agents publics.
Mémoire rédigé par AJOULIGA DJOUFACK
Hermann Blondel 24
Efficience des dépenses publiques de santé et
croissance économique en zone CEMAC
technique pure correspond au rapport
|
XM ; l'efficience d'échelle au
rapport
XN
|
XH. Le produit XM
|
XH
.
XN
de ces deux efficiences correspond à l'efficience
technique totale au point N, soit
Puisque la mesure de l'efficience se fait par rapport à
une frontière d'efficience, l'estimation de cette frontière
constitue donc une étape centrale dans toute analyse d'efficience
(Boussemart, 1994).
|