Section 2 : La notion de pauvreté et lien entre
productivité et pauvreté
Dans cette section, nous explorons les différents
contours du concept de pauvreté, avant de passer en revue les notions de
pauvreté absolue, pauvreté relative et de pauvreté
subjective dans un premier temps et dans un second temps nous parlerons du lien
entre productivité et pauvreté.
2.1. La notion de pauvreté
2.1.1 Cadre conceptuel de la pauvreté
Dans la littérature, les fondements philosophiques du
concept de pauvreté sont nombreux et fournissent plusieurs façons
pour définir la pauvreté. Deux principales écoles se sont
ainsi fondées : l'école welfariste et l'école non
welfariste. Cette dernière école se subdivise en deux approches
à savoir l'approche des besoins et l'approche des capacités.
Notons ainsi que chaque école conduit à une identification
différente des pauvres et a ses recommandations en matière
d'allègement de la pauvreté.
A) L'école welfariste
Encore appelée approche utilitariste, l'approche des
welfaristes proposée par l'école néoclassique (Yaya
Koloma, 2008), prend appui sur une théorie de la microéconomie
classique. Elle se base sur une théorie du bien-être,
définie par les néoclassiques. Les welfaristes assimilent donc le
bien être à l'utilité ; utilité
générée par la consommation totale. Cette approche est
associée au niveau des revenus ou des dépenses de consommation
des personnes. Dit autrement, cette approche est fondée sur une fonction
d'utilité définie sur
49
Mémoire de Master II soutenu par : NGASSEU NOUPIE Elie
l'ensemble des biens et services capables de rendre compte des
préférences des choix de chaque individu pour des ensembles
alternatifs de biens et de services de consommation. Le consommateur retire une
utilité qui est fonction du type et de la qualité des biens
consommés d'une part et d'autre part de ses caractéristiques.
Cette approche présente des limites
importantes21 : elle sous-tend une conception trop étroite du
bien-être (Lachaud, 1998 ; Deaton, 200322) et fait abstraction
de certains facteurs qui ont vraisemblablement une utilité23
dont la valeur n'est toutefois pas quantifiable, lorsqu'elle ne manifeste pas
dans le comportement de consommation, comme les biens non marchand et les
aspects non matériel de la condition humaine (Ravallion,1996 ; Deaton et
Muellbauer,1980). En outre, considérer le revenu comme seul moyen de
ciblage des pauvres réduit l'efficacité des politiques de lutte
contre la pauvreté, notamment en asymétrie d'information
(Ponty,1998 ; Ayadiet al, 2005). Comme l'a souligné sen(1997), le fait
de disposer d'une consommation élevée ne signifie pas toujours
qu'on réalise toutes les aspirations-« functionnings »-
valorisées par la société dans laquelle on vit et qui sont
susceptibles de permettre à un individu de mener une vie descente. De
plus, ces mesures ne tiennent pas toujours compte du choix des individus qui
peuvent décider de réduire volontairement leurs dépenses
de consommation en vue de la satisfaction d'un besoin inobservé. Fort de
ce constat, il nous semble utile d'examiner l'autre approche.
B) L'école non welfariste
En nous inspirant de Ravallion (1996), nous pouvons dire
qu'à l'opposé de l'école welfariste ou utilitariste, se
dresse l'école dite non-utilitariste ou non welfariste. Cette autre
approche conventionnelle préconise d'évaluer la pauvreté
selon des normes et valeurs non pas propres à chaque individu, mais
d'après un contexte social donné. L'approche non-utilitariste,
approche normative, a tendance à mettre en valeur l'idée d'un
minimum vital pour se nourrir, se vêtir ou se soigner de manière
adéquate, selon les normes propres à chaque
société. L'approche non-utilitariste qui insiste sur la multi
dimensionnalité du bien-être se subdivise
21 En plus de l'hypothèse de
comparabilité interindividuelle des préférences
(Arrow,1963 ; cité par Ravallion, 1996).
22 « Even if you have enough goods, they are worth little
if you are not healthy enough to enjoy them ». (page12).
23 Selon le PNUD (2000, cité par Zerbo
[2003] p.4), certains biens ont a la fois une valeur utilitaire directe et une
valeur instrumentale dans la réalisation du bien-être :
indépendamment de tout autre effet, ils influent directement sur le
bien-être, mais sont aussi des moyens d'accès à d'autres
biens et peuvent avoir des effets au plan des capacités des
individus.
50
Mémoire de Master II soutenu par : NGASSEU NOUPIE Elie
en deux approches. Elle peut ainsi être mise en relief
en considérant les capacités de l'individu ou ses besoins
(Ravallion, 1996).
1. L'approche des besoins de base
Cette approche a été impulsée par le
B.I.T dans les années 1970. L'approche non utilitariste fondée
sur les besoins de base ou essentiels analyse la pauvreté en fonction
des critères de satisfaction ou non de certains besoins essentiels qui
sont socialement définis dans chaque société. Par exemple
ces besoins essentiels peuvent être : « une alimentation
adéquate, une bonne santé, savoir lire et écrire, un
logement décent, un bon habillement, etc. ». Nous pouvons donc dire
dans le même sillage qu'Asselin et Dauphin (2000), que les pauvres sont
ceux qui sont privés d'un ensemble de commodités de base
perçues comme préalable à l'atteinte d'une certaine
qualité de vie24.
Cette approche qui se veut plus pratique, s'éloigne
donc de la conception abstraite (approche welfariste), et favorise des
politiques ciblées. Mais malgré son apparente simplicité,
sa mise en oeuvre pose des problèmes de définition des besoins
essentiels. Par exemple, qu'est-ce qu'une alimentation adéquate ? Quelle
est la ration adéquate quantitativement et qualitativement, même
au niveau d'une société, en présence notamment de
communautés culturellement différentes ? C'est la raison pour
laquelle ces besoins sont souvent déterminés de manière
exogène, par le planificateur, l'analyste ou les experts
(nutritionnistes, physiologistes) indépendamment des perceptions des
populations. Une autre difficulté, souvent évoquée,
concerne l'agrégation de ces besoins en un indicateur de pauvreté
et la subjectivité dans les choix des seuils de pauvreté.
Ainsi, comme le montre, PNUD (2007), sous l'angle des besoins
essentiels ou besoins de base, il ne peut y avoir de définition
universelle de la pauvreté et par conséquent des critères
universels d'identification des pauvres.
2. L'approche des capacités
L'analyse des capacités considère que le type de
vie que mène un individu est fonction de ses capacités à
bien combiner ses atouts physiques et intellectuels (savoir-faire ou
habileté). Cette combinaison permet à chaque individu
d'accéder ou non à un minimum vital dans un contexte social (au
sens global du terme) et environnemental donné.
51
24 Cité par Foko Borel et al,(2006,page5).
Mémoire de Master II soutenu par : NGASSEU NOUPIE Elie
C'est à l'économiste Amartya Sen que l'on doit
cette approche25. En effet (Foko Borel et al, 2006), dans les
années 1980, Amartya Sen rejeta l'utilité comme l'étalon
du bien-être, de même que les formules non utilitaristes
basées sur les besoins. Pour lui, le bien-être signifie être
bien, être en mesure de vivre longtemps, être bien nourri,
être en bonne santé, éduqué, etc. Selon Sen, la
valeur du niveau de vie n'a rien à voir avec la possession de biens,
c'est la faculté qu'ont les individus de fonctionner26. La
pauvreté devant être perçue comme une privation de cette
faculté.
La capacité renvoie à la liberté que
possède l'individu, étant donné d'une part ses
caractéristiques (âge, sexe, ethnie, religion, santé,
niveau d'instruction, patrimoine, migrant, etc.) et d'autres part les
opportunités qui lui sont offertes par la société
(accès à l'emploi, accès aux infrastructures publiques de
base, accès au crédit, sécurité, corruption,
pratiques discriminatoires, perception des conditions de vie, etc.), de
rechercher le bien être : choisir parmi tous ses fonctionnements
potentiels, ceux qui vont lui permettre de satisfaire ce qu'il a raison de
valoriser. Ces fonctionnements peuvent être des plus simples, comme
« se nourrir décemment », ou plus compliqués, comme
« vivre une vie digne d'être vécue ». Le bien-être
d'un individu est mesuré par l'utilité retirée de ses
capacités et des fonctionnements effectivement accomplis. Ainsi, en se
focalisant sur les réels moyens que possèdent les individus pour
convertir leurs ressources en satisfaction, cette approche élargit
l'évaluation du bien-être à des aspects autres que
monétaires.
|