I.1.7. Saisir la notion de civilisation
Le terme civilisation dérivé indirectement du
latin civis a été utilisé de différentes
manières au cours de l'histoire.
Dans l'acception actuelle, la civilisation, c'est l'ensemble
des traits qui caractérisent l'état d'une société
donnée, du point de vue technique, intellectuel, politique et moral,
sans porter de jugement de valeur. On peut alors parler de civilisations au
pluriel et même de « civilisations primitives », au sens
chronologique, sans connotation péjorative.
Au XIXe siècle la civilisation, alors
envisagée comme un idéal à atteindre et comme un processus
de transformation de la société vers cet idéal, fut la
principale légitimation donnée à la colonisation
impérialiste. Il s'agissait de « civiliser » les peuples du
monde dans une vision hiérarchique et évolutionniste de la
civilisation.
Aujourd'hui les conceptions de la civilisation sont plus
égalitaires de sorte
12HENRI LAURENS 2002 : 704
Le terme, dans les années 2000-2010, n'est plus
employé par ces
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que le terme désigne davantage un état de fait
historique et social qu'un processus de transformation des
sociétés. L'idée a cessé de fonctionner en
opposition avec celles de barbarie ou de sauvagerie, tandis qu'est
affirmé le principe du « droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes».
Pour pouvoir définir des civilisations qui n'ont ni
structure précise ni représentation institutionnelle, il faut
sélectionner les faits que l'on juge appropriés. Ainsi, on se
fonde sur des faits linguistiques, éthiques, géographiques,
culturels, religieux ou politiques. Mais les concepts de religion ou de
culture, sont eux-mêmes discutés. Pour Bertrand Binoche «
Après avoir prédit le triomphe de la civilisation, on peut bien
annoncer le choc des civilisations, mais cela ne contribue pas à y voir
plus clair. »
Après avoir été largement employé
depuis la fin du XVIIIème siècle au singulier, en
l'opposant à la « barbarie », le terme est mis ensuite au
pluriel, en particulier par les sciences sociales au XXème
siècle. Cela fait suite à un débat organisé en
1929, s'appuyant sur des articles de Lucien Febvre et Varce (Yauss. En
Iôg (a revue de synthèse est revenu sur la réapparition
dans l'actualité de ce mot au cours des années 1990. En 2003, la
revue Sciences Humaines s'est aussi interrogée sur ce retour à la
mode du terme « civilisation ».
Si les ethnologues et anthropologues ont
préféré le terme de « culture », les historiens,
les archéologues, et parfois les sociologues ont largement
utilisé le mot « civilisation ». Les politologues, et
particulièrement Samuel Huntington dans Le Choc des civilisations
(1996), en ont fait usage. Certains historiens et géographes tels que
Pierre Gourou et Fernand Braudel en ont fait une notion centrale de leurs
approches. Le concept braudélien de civilisation (« civilisation
matérielle ») est défini de la manière suivante :
c'est d'abord un espace, une aire culturelle à laquelle sont
rattachés des biens (matériels ou non, ce qui peut englober la
forme des maisons, les traditions culinaires, la manière de vivre etc.,
biens ayant une cohérence entre eux. Si, en plus de cela, une permanence
s'observe dans le temps, alors Braudel définit une civilisation. Cette
vision est très proche de celle des archéologues actuels qui
définissent des « cultures » évoluant dans l'espace et
dans le temps, à travers des outils comme les tableaux
typo-chronologiques, présentant l'évolution des types (comme les
divers types de vases) au cours d'une période de temps dans un espace
donné.
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scientifiques « à cause sans doute de son
caractère ambigu et peut-être de son appartenance à une
géographie classique surannée. Ils lui préfèrent le
mot de culture, promu surtout par les anthropologues anglo-saxons puis
francophones, en grande partie synonyme de civilisation, mais plus neutre.
» Cependant le terme est encore d'usage courant sans que soit pour autant
précisé son sens. Par exemple, lors d'une de ses
conférences au Collège de France en 2015, Anne Cheng a ainsi fait
allusion, sans s'y attarder, à la « civilisation chinoise »
à propos du confucianisme.13
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