Déterminants de l'exclusion bancaire au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Martin AMBASSA Université Catholique de Bertoua - Master Recherche 2014 |
Première Partie : Facteurs Socioéconomiques de l'Exclusion BancaireIntroduction de la première partieL'exclusion bancaire est un phénomène qui ne prend de sens que suite à ses conséquences sociales (Gloukoviezoff, 2004). En référence aux faits stylisés qui ont prévalus, les premières réflexions théoriques se sont principalement investies à justifier l'exclusion bancairepar l'exclusion géographique7(*) à travers les transformations socioéconomiques à l'origine des bouleversements observés au niveau de l'approvisionnement des services financiers (Leyshon et Thrift, 1993, 1994, 1995).Cette situation d'exclusion constitue un handicap lourd pour un véritable essor économique (Agossou, 2008). Eradiquer ce fléau est d'autant plus nécessaire que, dans les pays développés ou industrialisés (PI), les services bancaires font partie intégrante de la vie quotidienne des populations. Dans ces pays, les dispositions juridiques ou à défaut, les habitudes sociales rendent la détention d'un compte bancaire strictement nécessaire. Ainsi, s'en priver de ces services, est fortement préjudiciable pour les ménages qui vivent dans ces milieux. Cependant, la place qu'occupent les services bancaires dans ces milieux n'a pas la même proportion dans les autres zones.En effet, La zoneCEMAC est classée parmi les régions du monde où le phénomène d'exclusion bancaire est le plus développé. En effet, 18% de cette population adulte possède un compte bancaire, 10% dispose d'une épargne et 4% bénéficie d'un emprunt auprès d'une institution formelle (Demirgüc-Kunt et Klapper, 2012). Un tel constat révèle l'urgence qu'il y a à lutter contre cette forme d'exclusion. L'objectif de cette partie consiste à identifier les facteurs socioéconomiques ou facteurs liés à la demande de l'exclusion bancaire et de les évaluer. Pour y parvenir, il est important pour mieux le ressortir, de mettre en évidence d'une part, l'approche théorique des facteurs socio-économiques de l'exclusion bancaire (Chapitre 1). Et d'autre part, d'évaluer ces facteurs au Cameroun (Chapitre 2). Chapitre 1 Les Facteurs Sociaux Economiques de l'Exclusion Bancaire : Approche ThéoriqueIntroduction Les facteurs socioéconomiques émanent de l'organisation sociale qui détermine la position ou les conditions de vie des personnes au sein d'une société. La littérature a identifié des facteurs liés à la demande et des facteurs liés à l'offre pour expliquer l'exclusion bancaire. Ainsi, les facteurs socioéconomiques sont de faite les facteurs liés à la demande des services bancaires (Kempson et al 2008). Certains travaux ont révélél'existenced'une étroite corrélation entre le niveau de vie et l'exclusion bancaire (Gloukoviezoff, 2008 ; Anderloni et al, 2008 ; Kempson, et al 2008). Pour ces derniers, un niveau d'exclusion bancaire assez élevé rend difficile une situation sociale déjà précaire. Et, affecte négativement l'intégration sociale. En outre, Gloukoviezoff établie également un rapport étroit entre l'exclusion bancaire et l'exclusion sociale. Cette dernière est définie par l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale comme faisant « référence à l'ensemble des mécanismes de rupture, tant sur le plan symbolique (stigmates ou attributs négatifs) que sur le plan des relations sociales (rupture des différents liens sociaux qui agrègent les hommes entre eux). En cela, elle est extrêmement proche de la définition en termes de capabilités développée par Sen (1993, 1999) dont Guérin (2000) propose une application à l'analyse de la situation des femmes confrontées à la précarité. Pour analyser les mécanismes du processus d'exclusion sociale, Sen développe la notion de capabilité. Pour lui, « la capabilité reflète la liberté de mener différents types de vie. Dès lors, une personne peut être considérée comme pauvre lorsque sa liberté réelle d'être et d'agir c'est-à-dire son autonomie, est restreinte ». L'exclusion bancaire est-elle due à une autonomie restreinte qui tient à la fois du domaine social et du domaine économique? L'objectif de ce chapitre est d'examiner théoriquement les facteurs socioéconomiques de l'exclusion bancaire. Il s'agit d'une partde mettre en évidence la structure de l'exclusion bancaire (Section 1), et d'autre part, de ressortir les analyses théoriques (Section 2). Section 1 : Structure de l'exclusion bancaireLa structure de l'exclusion bancaire fait référence à ses composantes. En outre, elle permet de ressortir les différents mécanismes qui la constituent. Bien que cette forme d'exclusion soit encore peu étudiée à ce jour, il n'en demeure pas moins queses conséquences ont une ampleur significative. L'objectif de cette rubrique consiste à mettre en évidence la structure de l'exclusion bancaire. Il s'agit précisément dans cette rubrique de mettre en exergue d'une part, les typologies de l'exclusion bancaire. Et d'autre part, les conséquences socioéconomiques de l'exclusion bancaire. 1. Les typologies de l'exclusion BancaireLes typologies de l'exclusion bancaire mettent en évidence tour à tour, les différentes formes d'exclusion bancaire et les niveaux de bancarisation. (a) Les Formes d'exclusion bancaire Deux approches permettent de déterminer les différentes formes de l'exclusion bancaire. Malgré que ces formes aillent dans le même sens, il convient tout de même de noter que ces deux approches analysent différemment l'exclusion bancaire. Il s'agit des formes issues des analyses de Servet, (2000) et de Gloukoviezoff (2004). v Les formes d'exclusion bancaire : l'analyse de Servet (2000) Pour Servet, la finance en générale et les instruments monétaires en particulier ne sont pas excluant en tant que tels. Toutefois, sous certaines conditions et dans certains contextes, ils peuvent le devenir. L'interrogation sur « l'exclusion bancaire », dans de nombreuses sociétés, se révèle être aujourd'hui un enjeu de société fort, tant la finance apparaît comme un facteur de fracture entre groupes sociaux et entre générations. L'exclusion bancaire peut aujourd'hui revêtir trois formes qui sont fonctions soient, des personnes soient des situations. Servet (2000), distingue à cet effet : la stigmatisation, la mise à l'écart et la marginalisation économique. · La stigmatisation En effet, les analyses à micro-échelle des pratiques monétaires montrent d'une part que, l'argent n'est pas un instrument neutre et impersonnel avec lequel les personnes n'auraient qu'un rapport fonctionnel, car il est un élément fort de l'identité des personnes. D'autre part, chacun gère son budget en fractionnant et en segmentant l'usage des divers moyens de paiement et d'épargne à sa disposition sur la base de classifications morales largement inconscientes. L'argent permet à chacun de se définir par rapport aux autres (dans une relation horizontale ou verticale hiérarchique ou égalitaire) et par rapport aux institutions (c'est la souveraineté monétaire) mais aussi de s'apprécier, de se projeter dans l'avenir, etc. D'où l'amputation de la personnalité ou un sentiment de rejet que constitue un accès limité à la gamme des moyens de paiement connu dans une société à un moment donné. A cet effet, la stigmatisation, ou plus exactement la discrimination est de fait, déterminée par les milieux culturels d'appartenance et les réseaux de socialisation. · La mise à l'écart Au sujet de la mise à l'écart, celle-ci peut être exercée par un établissement particulier qui, voulant diminuer son niveau de risque, rejette tel ou tel type de clientèle ou qui donne accès, le privilège, à tel ou tel service pour une minorité de sa clientèle (allant du niveau de découvert autorisé par exemple ou crédit offert et aux garanties exigées dans le cas d'un projet d'investissement). · La marginalisation économique La troisième forme d'exclusion bancaire qui peut être relevée concerne les handicaps qu'une personne subie en raison, soit de son lieu de vie, soit de sa situation personnelle patrimoniale et de l'irrégularité de ses flux de revenus. Ces handicaps peuvent s'additionner et conduire ceux qui les subissent à une situation de forte marginalité économique et financière. En effet, Vivre dans tel ou tel espace largement dépourvu d'offres de services financiers diversifiés et concurrentiels devient discriminant compte tenu des risques encourus par ces lieux d'implantation et de leur manque supposé de rentabilité. v Les formes de l'exclusion bancaire : L'analyse de Gloukoviezoff (2004) L'exclusion bancaire se compose de difficultés d'accès et de difficultés d'usage. Ces deux dimensions ont pour conséquence d'entraver les pratiques financières des personnes concernées. Il importe donc de s'interroger sur les formes prises par cette exclusion. L'analyse de Gloukoviezoff distingue comme formes d'exclusion bancaire, l'exclusion volontaire, l'exclusion involontaire et les exclus de l'intérieur. · L'auto-exclusion ou l'exclusion volontaire L'auto-exclusion correspond à un processus par lequel une personne réduit progressivement les services dont elle dispose à mesure que sa situation professionnelle ou familiale se dégrade. Ce processus peut aller jusqu'à une absence totale de services bancaires, y compris de compte. Elle dépend d'un certain nombre de barrières qui entravent les pratiques bancaires de certaines catégories de clients. Elle est donc un élément déterminant de la compréhension du processus d'exclusion bancaire. Elle met d'ailleurs en lumière que : l'exclusion en termes d'accès ne se limite pas à la sélection explicite faite par les établissements bancaires mais incluele renoncement de clients potentiels. Renoncement qui semble concerner un nombre de personnes plus important que celui des personnes se heurtant à une sélection explicite ; le renoncement aux services bancaires est le fruit de difficultés d'usage. Il y a donc un lien direct entre exclusion en termes d'accès et celle en termes d'usage. · Sélectivité des établissements bancaires ou exclusion involontaire Les ménages aux revenus modestes se heurtent fréquemment à la sévérité de la sélection de nombreux établissements bancaires. La sélection bancaire se fait avec pour objectif de garantir la rentabilité de la relation nouée. Il faut pour cela minorer les risques de défaillance du client, mais également les coûts qu'il engendre. Ainsi, les clients aux revenus modestes présentent un niveau de risque moyen plus élevé de par le niveau et la nature de leurs ressources. De plus, en raison de la pression concurrentielle qui pousse à limiter les coûts et donc le temps passé avec les clients ayant le moins de potentiel économique, c'est sur la base de son expérience et en fonction d'indicateurs comme le niveau et la nature du revenu (salaire), la domiciliation (le lieu de résidence), l'âge, etc., que le banquier doit prendre sa décision. Ainsi, Il existe donc un risque de discrimination souligné par Fors8(*), pouvant priver d'accès au compte ou autres services bancaires certaines catégories de la population. · Les exclus de l'intérieur Gloukoviezoff (2004), émet une autre forme d'exclusion bancaire dénommée « les exclus de l'intérieur ». En effet, elle concerne les personnes qui ont accès au système bancaire mais rencontrent des difficultés d'usage. Il reprend d'ailleurs à la suite d'un banquier que : « Un exclu bancaire n'est pas forcément un exclu des banques, cela peut être quelqu'un qui est dans la banque mais qui n'y comprend rien». Ce titre d'exclus de l'intérieur, a ainsi été emprunté à l'analyse que font Pierre Bourdieu et Patrick Champagne des difficultés rencontrées par l'École pour s'adresser avec succès à tous (Bourdieu et Champagne, 1993), s'applique avec particulièrement de pertinence au problème de l'exclusion bancaire. En effet, le secteur bancaire est confronté au couple massification9(*)-démocratisation10(*). La bancarisation de masse de la population ne s'est pas traduite par une démocratisation de même ampleur du système bancaire. Autrement dit, si une partie de la population a au moins un accès minimal aux services bancaires (massification), tous les clients ne bénéficient pas d'une prestation de service adaptée à leurs besoins spécifiques. C'est là le coeur du processus d'exclusion bancaire. Une partie de la clientèle, pourtant contrainte de recourir aux services bancaires, est alors confrontée à une forme de relation bancaire qui n'a pas été pensée pour elle ou plutôt, avec elle. (b) Les niveaux d'exclusion bancaire L'exclusion bancaire revêt différent niveaux observables dans les ménages. En effet, compte tenu du fait que l'exclusion bancaire implique les difficultés d'usage et d'accès, Anderloni et al (2008), proposent trois niveaux d'exclusion : Tableau 1: Récapitulatif des niveaux d'exclusion Bancaire
Source : fait par l'auteur à partir de la littérature y afférente * 7L'exclusion géographique traduit l'impossibilité ou la difficulté d'accéder physiquement aux services bancaires. * 8Projet de recherche, laboratoire d'expertise et de recherche en plein air, Université Québec * 9Bancarisation de masse (Gloukoviezoff, 2004) * 10Tous les clients ne bénéficient pas d'une prestation de service adaptée à leurs besoins spécifiques (Gloukoviezoff, 2004) |
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