Annexe 3: Historique du SSA et du DIH:
deux destins liés
? Historique du SSA et du DIH
Le SSA français est l'un des plus anciens parmi les
services de santé des armées du monde, consacré par
l'édit royal de 1708 qui a « porté création de
médecins et chirurgiens inspecteurs généraux, chirurgiens
majors des camps et armées, médecins et chirurgiens majors des
hôpitaux des villes et places de guerre, et des armées de terre
» 250. Cet acte a été désigné comme
l'acte fondateur du service mais le soutien sanitaire des forces armées
prend en réalité racine dans l'Antiquité même si son
développement a été chaotique jusqu'au XVIIIème
siècle.
A l'origine, alors que la valeur des armées se mesurait
à l'aune de la valeur individuelle de son chef, les médecins
étaient rattachés aux personnalités clés des
armées251. La naissance de la démocratie et
l'apparition d'armées nombreuses et structurées dans les
civilisations antiques permettront ensuite à l'ensemble des mercenaires
grecques et des légionnaires romains de bénéficier des
soins. En dépit de la présence de médecins et de
l'établissement « d'hôpitaux militaires » antiques, il
n'existe pas encore à cette époque de véritable service de
santé structuré252.
C'est au Moyen Age que se développeront les premiers
ordres hospitaliers militaires. En effet, malgré toute l'importance
délivrée au jugement divin et donc la stagnation des soins
médicaux, la nécessité de conserver des effectifs
entrainés pendant les Croisades rend l'émergence d'une
organisation médicale indispensable253.
Les siècles suivants vont s'ouvrir progressivement
à la science. Une lente structuration du soutien santé conduira
à l'Edit Royal en 1708. Mais en France le service de santé est
alors
250 Edit du ROY, donné à Versailles au mois de
janvier 1708, enregistré au parlement le 22 mars 1708.
251 L'assistance médicale des médecins
égyptiens ou mésopotamiens était réservée au
roi et à ses grands subordonnés.
252 Médecin en Chef Valérie Denux, La
médicostratégie : la place du domaine santé dans la
pensée militaire, Master de sciences historiques, philologiques et
religieuses, Ecole Pratique des Hautes Etudes, 2008-2009, p10,11.
253 Médecin en Chef Valérie Denux, La
médicostratégie : la place du domaine santé dans la
pensée militaire, Master de sciences historiques, philologiques et
religieuses, Ecole Pratique des Hautes Etudes, 2008-2009, p12.
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subordonné à l'Intendance qui n'est pas
bienveillante à son égard, d'autant plus qu'il n'est pas
dirigé par les mêmes valeurs d'humanité. Le manque de
considération de la part du commandement conduira à l'inaptitude
du service de santé à répondre aux besoins grandissants
des armées.
Dans ce cadre, la Bataille de Solférino (1859) qui a
été déterminante dans la construction du DIH, a aussi
été décisive pour le SSA car elle a rompu le huit clos
entre le service de santé et le commandement en soumettant la
problématique des soins aux militaires au jugement de l'opinion
publique254. L'appel d'Henri Dunant, fort de son effroyable
spectacle, a démontré au niveau international la
nécessité de réorganiser le soutien sanitaire au sein des
conflits armés. La création du Comité international de la
Croix-Rouge en 1863 prouve que le peuple n'est plus prêt à
accepter les souffrances inutiles des soldats et que les services de
santé militaires ne sont pas efficaces puisqu'il est nécessaire
de mettre en place des organisations de secours privées. C'est ainsi que
les sociétés nationales de la Croix-Rouge sont
créées, à partir de 1864, pour être des
Sociétés de secours aux blessés sur le champ de bataille,
appelées à renforcer les capacités des services de
santé des Armées. Il faudra attendre 1889 pour que le service de
santé français devienne autonome255.
Ce n'est réellement qu'à partir de 1917, devant
les effroyables pertes des trois premières années de la grande
guerre que le service de santé des armées associé à
la Croix Rouge française va se restructurer améliorer son
efficacité256. Mais à l'image des armées, le
service de santé des armées ne saura pas s'adapter à la
guerre de mouvement de 1940. La seconde guerre mondiale et les mouvements
humanistes qui suivirent ce conflit constituèrent un tournant dans le
domaine de la santé comme dans le domaine juridique. En effet, à
partir de 1945 les armées commenceront à réellement
investir dans leur soutien santé qu'elles ne verront plus uniquement
comme un moyen de conserver les effectifs ou un devoir d'Etat mais comme un
devoir envers l'humanité.
Les guerres coloniales et les guerres de décolonisation
ouvriront ensuite l'extension des missions des services de santé avec la
mise en oeuvre de programmes d'aide médicale aux
254 Médecin en Chef Valérie Denux, La
médicostratégie : la place du domaine santé dans la
pensée militaire, Master de sciences historiques, philologiques et
religieuses, Ecole Pratique des Hautes Etudes, 2008-2009, p13.
255 Loi de 1882 modifiée en 1889.
256 Projet de Loi sur le SSA, 1922. Classement provisoire cote
9NN631, DAT, SHD.
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populations257. Les aspects du domaine de la
santé seront dès lors intégrés dans la
réflexion militaire.
Par ailleurs, le service de santé des armées
français commencera à réellement se structurer comme en
témoigne en 1962, la création d'une direction centrale des
services de santé. En 1968, les services de santé de la Marine
Nationale, de l'Armée de l'Air et de l'Armée de Terre fusionnent
en un seul service de santé des armées. C'est la voie qui s'ouvre
à une approche interarmées et donc globale de la prise en charge
médicale. Dans le même temps, le service de santé des
armées a fait sien le défi technique d'intégrer les
meilleures pratiques médicales. Aujourd'hui, son excellence est reconnue
et la voie vers un système cohérent et interarmées se
poursuit. Il forme dans ses écoles des personnels de santé de
haut niveau et aguerri. En 2011, les écoles de formation initiale
fusionnent pour créer l'École de Santé des Armées
(ESA), désormais le centre unique de formation initiale des
médecins et des pharmaciens des armées. L'Ecole du Personnel
Paramédical des Armées centralise depuis 1990 la formation des
infirmiers des armées. Le centre de formation santé
opérationnel (CEFOS) est mis en place à la Valbonne. La formation
dans tous ces centres de formation est coordonnée par l'Ecole du val de
Grâce.
? Un objectif commun au DIH et au SSA : la prise en
charge des souffrances des
blessés et malades au sein des conflits
armés
Le service de santé des armées est aujourd'hui
une véritable composante opérationnelle indispensable à la
conduite des opérations. Le soutien santé est devenu
dimensionnant pour les opérations militaires. Il a atteint sa
maturité technique et une capacité organisationnelle qui lui
permet de s'adapter aux évolutions de son environnement, tout en
continuant à porter les valeurs d'humanité258.
Le Projet de Service SSA 2020 adopté en 2013
prévoit que « La mission première du service de
santé des armées est le soutien santé opérationnel
des forces armées. C'est sa raison d'être, son coeur de
métier ». Le service de santé des armées est
responsable de la préservation des effectifs tout en maintenant
l'efficacité opérationnelle. L'impact du service de santé
des armées sur l'économie des vies humaines est indiscutable.
Pour cela il agit sur
257 Le commandement à l'image de Lyautey, estimait que
cela concourait à la « pacification des pays dont la France
avait la responsabilité ». Forissier R., Crise du soutien
sanitaire du corps de bataille français au cours de la retraite de
mai-juin 1940, Médecine et armées, 1999, 27, 8, p609.
258 Cf. Projet de Service SSA 2020.
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quatre leviers principaux : le traitement des blessés et
des malades, la prise en charge de la population et le maintien du moral des
troupes.
Dans l'histoire, dès la structuration de
l'armée, le soin aux blessés apparait légitime et
noble259. Peu à peu l'évacuation des blessés et
la médicalisation de l'avant permettent une prise en charge remarquable
des blessés260.
Cependant, le traitement des malades est plus récent
car la médecine était très peu efficace avant l'ère
de la pasteurisation face aux épidémies et la maladie
apparaissait comme un signe de faiblesse et de lâcheté. Pourtant
Sun Zi avait déjà identifié l'importance de la lutte
contre les maladies : « Lorsqu'une armée ne souffre pas de cent
maladies, on dit qu'elle doit remporter la victoire 261».
En effet, les épidémies constituent une catastrophe sanitaire et
une paralysie pour les armées. Depuis l'intégration des
mécanismes infectieux, la part de morts de maladie est beaucoup plus
faible262. Mais les militaires sont toujours exposés à
des maladies spécifiques en opération, certaines pathologies
pourraient aussi renaitre ou apparaitre. L'épidémiologie et les
traitements curatifs des malades sont donc au coeur du soutien sanitaire.
La prise en charge de la population s'est
développée avec les guerres de colonisation. La phase de
pacification des territoires donnait une place particulière à
l'assistance médicale aux populations263. Pour Lyautey, le
médecin « est le premier et le plus efficace de nos agents de
pénétration et de pacification 264».
Quant à la préservation du moral des troupes,
elle est apparue au XXème siècle comme un effet miroir pour
déséquilibrer le moral de l'adversaire265. Le SSA
participe donc a la supériorité
259 A partir du XVIIe siècle les progrès
techniques de la chirurgie de guerre et de la médecine
générale permettent véritablement de sauver un maximum de
blessés. Médecin en Chef Valérie Denux, La
médicostratégie : la place du domaine santé dans la
pensée militaire, Master de sciences historiques, philologiques et
religieuses, Ecole Pratique des Hautes Etudes, 2008-2009, p 25.
260 Lors de la guerre des Malouines, en 1982, aucun
blessé ramassé vivant, du coté des anglais, n'est, par la
suite, décédé. Op. cit. (193) p26.
261 Sun ZI, L'art de la guerre, Trad. Nicquet Cabestan
V., p125
262 Pendant la grande guerre pour la première fois les
pertes pour maladie furent loin derrière celle des blessures. Les
services de santé ont largement limité la propagation des
maladies dans les tranchées. Hyacinthe Vincent (1862-1950), impose la
vaccination contre la typhoïde et éradique pratiquement cette
fièvre parmi les troupes françaises. L'Armée d'Orient
conduit aussi une lutte remarquable contre le paludisme.
263 Trinquier R., La guerre moderne, Economica, 2008.
264 Rey J.L., Service de Santé des Armées et
actions civilo-militaires au Kosovo ; de la théorie à la
pratique, Médecine et armées, 2001, 29,2.
265 Sun Zi expliquait que l'on pouvait attaquer le psychisme
collectif et individuel de l'ennemi par des méthodes appropriées.
Sun ZI, L'art de la guerre, Trad. Nicquet Cabestan V.
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psychologique de la force même s'il n'a pas d'action
directe sur l'ennemi. Le commandement et les services de santé cherchent
donc à protéger le moral collectif. Le soutien sanitaire
participe en ce sens au bien-être du groupe. De plus, dès la
deuxième guerre mondiale, l'armée est analysée comme un
milieu social dont le fonctionnement particulier engendre des pathologies
psychiatriques aux aspects cliniques spécifiques266. On
identifie aujourd'hui des réactions psychologiques pouvant être
liées à un stress important vécu au combat267.
Les causes de ces troubles ont variés dans le temps mais il semble que
la société actuelle ait tendance à les
accroitre268. Au sein des conflits récents, la dimension
psychologique du soutien santé s'est donc largement
développée sous l'impulsion des psychiatres et du
commandement269. Cet aspect est traité dans le DIH par les
articles 16(2) et 75(2) PI qui interdisent les expériences
médicales ou scientifiques et les atteintes à
l'intégrité physique ou mentale des personnes. L'article 1 de la
convention contre la torture adopté en 1984 interdit aussi les
souffrances mentales infligées à des tiers afin d'obtenir des
renseignement270.
Le SSA participe donc à la limitation des souffrances
physiques et mentales des soldats et de la population au sein des conflits
armés. En raison des spécificités de sa mission et de son
environnement, le SSA a donc mis en place un code éthique
spécifique.
Ces textes mettent en relief la dualité
d'éthiques du personnel militaire de santé. Les médecins
militaires ont le souci de préserver les effectifs et de soutenir
l'action militaire tout en respectant la déontologie médicale et
le DIH.
266 Barbusse H., Le Feu dans Les grands romans de la
guerre de 14-18, Paris, Ed. Armand Colin, 1983.
267 Au Rwanda, un médecin témoigne que 60% des
militaires ayant participé aux travaux d'enfouissement de Goma ont
présenté des difficultés psychologiques à leur
retour. Raingeard, Regard d'un médecin d'unité sur sa
fonction d'hygiéniste mentale, Médecine et armées,
25, 5, 1997.
268 Ainsi, l'habitude du confort, la mise à mal du
patriotisme et la violence des combats peuvent nuire à la
résistance psychique des soldats. Juillet P., Moutin P., Psychiatrie
Militaire, Masson et Cie, 1969.
269Op. cit. (193) p31à36.
270 Article 1 Convention contre la Torture 1984. Voir aussi
article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949.
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