Annexe 2: Historique du DIH, de la guerre
juste à la guerre justifiée
Les étapes de la construction du DIH permettent de
mettre en relief la nature de ce droit, soumis à la volonté des
Etats et donc au compromis, et son essence, en ce qu'il entend limiter les
souffrances de l'Homme dans la guerre.
? une volonté très ancienne de limiter les
souffrances dans la guerre
Le Code d'Hammourabi prévoit dès 1750 avant
Jésus-Christ des règles de conduite pour limiter les souffrances
de la guerre.
Les religions monothéistes abordent toutes la question
de la conduite de la guerre. L'Islam prévoit dans le verset 190 de la
sourate 2 du Coran un principe qui limite la lutte menée par les
musulmans aux seuls combattants de la partie adverse.234
Le judaïsme opère une distinction fondamentale
entre la guerre obligatoire235 et la guerre
optionnelle236 qui doit être autorisée et dont les
moyens sont limités. Le Deutéronome cinquième livre du
Pentateuque - la Torah - constitue les lois civiles et religieuses applicables
en 622 avant Jésus-Christ.
Les grands principes chrétiens de la guerre juste
ont été surtout délivrés par les écrits
de Saint Augustin (La cité de Dieu, XV, 5), fortement
inspirés de Saint Ambroise et de Saint Thomas d'Aquin. Trois conditions
majeures sont exigées par les théoriciens pour lancer une guerre
juste. Tout d'abord, une guerre juste doit avoir une cause juste : elle doit
être soit défensive, soit pénale, soit de charité,
soit effectuée pour le bien commun. La guerre doit ensuite être
déclenchée par une autorité supérieure
compétente. Enfin, concernant le jus in bello, la guerre doit
être conduite avec une « intention droite » et ne pas
se laisser guider par la haine ou le
234 Ben Achour Y., La civilisation islamique et le droit
international, RGDIP, n°1/2006, p19 à 39.
235 Elles sont de trois types : les guerres conduites contre
les sept tribus Cananéennes, sorte de guerre totale, la guerre contre
Analek, guerre de mémoire contre les ennemis du peuple juif, et la
guerre préventive qui repose sur le verset qui traite de la menace
« si quelqu'un vient te tuer, tue le en premier » (Exode 22 ; 1).
236 Guerres menées pour étendre le territoire et le
prestige d'Israel.
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profit. Elle doit se conformer au principe de
proportionnalité et ne pas générer de dommages plus
importants que celui auquel on voulait remédier. 237
? L'apport des philosophes et jurisconsultes
Hugo Grotius, jurisconsulte Hollandais contemporain de la
guerre de trente ans, dans son Droit de la guerre et de la paix,
rassemble et ordonne les préceptes de ses prédécesseurs
théologiens.238 Le droit de tuer ne doit pas comprendre les
enfants, les femmes, les vieillards et tous ceux « dont le métier
est animé de la paix et non de la guerre ». Grotius affirme
déjà que l'on ne doit tuer l'ennemi ou porter atteinte à
ses biens que par nécessité. Emeric de Vattel, dans son livre
Le droit des gens ou principe de la loi nouvelle appliqués à
la conduite et aux affaires des nations et des souverains, déclare
obligatoires dès 1758 les règles de Grotius et rajoute que
l'ennemi qui rend les armes et cesse de résister ne peut être
tué. Le siècle des lumières dénonce ensuite
fortement le fléau de la guerre. Jean Jacques Rousseau entrevoit
l'impératif de distinction entre les combattants et les non combattants
et le principe de nécessité qui fonderont plus tard le droit
international humanitaire (DIH). La dimension théorique de ces
thèses ne leur permet pas de réglementer directement les
opérations militaires. Cependant, elles constituent une base
éthique dont la combinaison avec les sources religieuses et culturelles
vont influencer des propositions juridiques individuelles et
étatiques.
? Une impulsion décisive délivrée
par deux initiatives individuelles primordiales
En 1861 aux Etats-Unis Franz Lieber, professeur de sciences
politiques à l'Université de Columbia de New York, rédigea
à la demande du Président Abraham Lincoln un recueil
d'Instructions pour les armées en campagne, qui fut soumis
à une commission d'officiers d'Etat-major et approuvé par le chef
de l'Etat. Le code Lieber fut donc appliqué pendant la guerre civile de
1861 à 1865. Ce document constitue encore aujourd'hui le texte le plus
complet applicable à un conflit non international. Ses 157 articles
codifient les principes et coutumes de la guerre, tels que formulés par
les philosophes. On y retrouve l'obligation de n'attaquer que les
237 Chesterman S., Just War or just peace? Humanitarian
Intervention and international law, Oxford University press, 2001, 295p -
Walzer M., Guerres justes et injustes, trad. S.Chambon et A. Wicke,
collection Folio Essais, Gallimard, 2006, 601p.
238 Il pose une série de principes et consacre une
large part de son ouvrage à « la modération dont on doit
user dans une guerre même juste » (livre III, chapitre XI à
XIV). Grotius H., Droit de la guerre et de la paix (1625), trad.
Pradier Fodéré P., PUF, 2nde ed, 2012.
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ennemis portant une arme (article 15) et de traiter
humainement les prisonniers et les blessés (articles 22 à 34).
En 1859, de l'autre coté de l'Atlantique Henry Dunant,
homme d'affaire genevois, assiste à la bataille de Solferino. Il
s'émeut des souffrances des soldats autrichiens, français et
italiens dans ce conflit international que constitue la guerre pour
l'unité italienne. 6000 morts et 40 000 blessés, c'est la plus
grande hécatombe depuis Waterloo. Face à l'absence de dispositif
pour protéger les blessés sur le champ de bataille, Dunant
organise avec des femmes charitables un service de secours de fortune
auprès des blessés. De retour à Genève, il
décrit l'horreur du champ de bataille dans un ouvrage publié en
1862, Souvenirs de Solferino239. Dunant dépeint la
bataille puis les souffrances provoquées par celle-ci. Il conclut par
deux propositions. La première concerne la création
d'organisations bénévoles240. La seconde vise la
reconnaissance et la protection de ces sociétés par des textes
juridiques internationaux. 241 L'accueil de ce livre fut
contrasté mais en 1863, Henry Dunant fonde néanmoins avec quatre
de ses amis le Comité International de Secours aux Blessés
qui sera rebaptisé Comité International de la Croix
Rouge peu après.242 Il organise ensuite un
congrès auquel assiste 16 Etats dont la France.
? La première conférence de
Genève
Le Conseil Fédéral de Suisse convoque ensuite la
première conférence de Genève relative au DIH. Le 22 aout
1864, la première convention de Genève est signée et
ratifiée par la majorité des Etats. Ce texte a pour but principal
la protection des victimes de la guerre. Dès lors, on dénommera
couramment le droit ayant pour objet la protection des victimes, droit de
Genève. Le signe distinctif adopté est une croix rouge sur fond
blanc en hommage au rôle joué par la Suisse dans la construction
du DIH. Ce symbole devra être apposé sur les ambulances et les
hôpitaux et porté par les personnels de secours.
Plusieurs textes viennent ensuite renforcer le droit de
Genève. L'Institut de Droit International, crée en 1873, adopte
un Manuel des lois de la guerre sur terre en 1880 à
Oxford243. L'institut offre ainsi aux gouvernements un manuel «
propre à servir de base, dans chaque Etat, à une
législation nationale conforme à la fois aux progrès de la
science juridique et aux besoins des
239 Croix Rouge Suisse, 14e éd., 1986, 159p.
240 « n'y aurait-il pas moyen de fonder des
sociétés volontaires de secours qui aurait pour but de donner ou
de faire donner, en temps de guerre des soins aux blessés » Dunant,
H., Souvenirs de Solférino, 1862 dans Croix Rouge Suisse,
14e éd., 1986, 159p.
241 Harouel V, Histoire de la Croix-Rouge, coll « Que
sais-je ? » n°831, PUF, 1999, 127p.
242 Harouel V, Histoire de la Croix-Rouge, coll « Que
sais-je ? » n°831, PUF, 1999, 127p.
243 Annuaire de l'Institut, 1881-1882, vol.5, p156-174 dans
Bettati M., Droit Humanitaire, coll. Précis, Dalloz, Paris
2012, p 11.
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armées civilisées ». Il insiste
sur l'importance de la diffusion de ce droit dans les armées. Les 86
articles de ce manuel s'inspirent largement du Code Lieber. En 1884, un
Précis des lois de la guerre sur terre à l'usage des
officiers français reprend les principes du manuel d'Oxford. Ce
précis de Jules Guelle est illustré d'exemples destinés
à faciliter sa mise en oeuvre par les élèves-officiers de
l'Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr.244
La codification du DIH sera ensuite liée aux secousses
sismiques qui ont ébranlées la société
internationale.
? Avant la première guerre mondiale
La convention de la Haye adoptée en 1899 a pour
principal apport, à travers la clause Martens, de rendre le respect de
toutes les valeurs fondamentales universelles obligatoires juridiquement car
elles constituent du droit en devenir245. La conférence de la
Haye de 1907, quant à elle, pose les jalons d'un nouveau principe en
droit des conflits armés selon lequel le recours à la force ne
peut plus être automatique. Ces textes n'empêcheront pourtant pas
la Grande Guerre.
? Au lendemain de la première guerre
mondiale
La prévention de la guerre devient alors le principal
objectif de la Société des Nations (SDN), au détriment du
développement du DIH246. En 1928, le Pacte
négocié entre le français Aristide Briand et
l'américain Franck Kellog proclament solennellement que les signataires
condamnent et renoncent au recours à la guerre pour le règlement
des différents internationaux. La guerre internationale devient
illégale. En 1929, la deuxième conférence de Genève
adopte une convention pour l'amélioration du sort des blessés et
des malades dans les armées en campagne, et une autre relative au
traitement des prisonniers de guerre. Elles consacrent
244 Guelle J., Précis des lois de la guerre sur
terre, commentaire pratique à l'usage des officiers de l'armée
active, de la réserve et de la territoriale, dans Bettati M.,
Droit Humanitaire, coll. Précis, Dalloz, Paris 2012, p12.
245 En effet la clause Martens, qui doit son nom au
délégué russe à cette conférence
Frédéric Formhod Martens, dispose que : « En attendant
qu'un code plus complet des lois de la guerre puisse être
édicté, les Hautes Parties contractantes jugent opportun de
constater que, dans les cas non compris dans les dispositions
réglementaires adoptées par elles, les populations et les
belligérants restent sous la sauvegarde et sous l'empire des principes
du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis entre
nations civilisées, des lois de l'humanité et des exigences de la
conscience publique. » Première convention de la Haye,
1899.
246 La SDN est créée en 1919 lors du
traité de Versailles. Le mouvement Amsterdam-Pleyel mené par
Romain Rolland et Henri Barbusse a pour objet l'abolition de la
compétence de la guerre.
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l'admission de deux nouveaux emblèmes : le
Croissant-Rouge et le Lion et le Soleil Rouge pour la Perse. Cependant, la mise
hors la loi des conflits internationaux à échoué. La
seconde guerre mondiale est un conflit d'un nouveau genre qui a provoqué
le décès de 24 millions de civils.
? Au lendemain de la seconde guerre mondiale
En 1945, les représentants de 50 pays se sont
rencontrés à San Francisco pour élaborer la Charte des
Nations Unies. La Charte fut signée le 26 juin 1945. L'Organisation des
Nations Unies (ONU) est créée pour « préserver
les générations futures du fléau de la guerre qui deux
fois en l'espace d'une vie humaine a infligé à l'humanité
d'indicibles souffrances »247. Elle repose sur le principe
d'égalité souveraine des Etats et prévoit que le recours
à la force est interdit sauf en cas de légitime défense ou
s'il est autorisé par le conseil de sécurité de
l'ONU248. Sachant que la paix ne peut pas être assurée
de façon certaine, les membres de l'ONU démontrent la
volonté d'édicter des règles nouvelles de DIH et de
réprimer les violations du DIH.
En 1949, le CICR et des experts gouvernementaux organisent la
révision du DIH à la lumière des récents conflits.
Ils incorporent le droit de Genève et le droit de la Haye dans quatre
conventions :
1. Convention relative à l'amélioration du sort
des blessés et des malades dans les forces armées en campagne.
2. Convention relative à l'amélioration du sort
des blessés, des malades et des naufragés dans les forces
armées sur mer.
3. Convention relative à la protection des prisonniers
de guerre.
4. Convention relative à la protection des personnes
civile.
247 Alinéa premier du Préambule de la Charte des
Nations Unies adoptées à San Francisco le 26 juin 1945.
248 Article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies
adoptées à San Francisco le 26 juin 1945 : « les membres
de l'organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de
recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre
l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de
tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des
Nations Unies » et Articles 51 et 42 de la Charte des Nations Unies
adoptées à San Francisco le 26 juin 1945.
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? Au lendemain de la décolonisation
A l'initiative du CICR, deux protocoles additionnels aux
conventions de Genève de 1949 furent adoptés le 10 juin 1977,
l'un relatif aux conflits armés internationaux, l'autre relatif aux
conflits armés non internationaux.
? Après la guerre froide
De nombreuses organisations non gouvernementales (ONG)
exercent alors une pression remarquée sur les gouvernements et poussent
parfois ceux-ci à conclure de nouveaux engagements. Les médias
sont friands d'humanitaires après le collapsus des idéologies et
les ONG sont ainsi relayées par l'opinion publique. En grande partie
adoptés par l'ONU ces textes forment le « droit de New York ».
Ils visent à limiter la fabrication, le stockage et l'usage de certaines
armes, mais aussi à réprimer les violations graves du DIH et
à renforcer la protection des personnes et des biens
particulièrement vulnérables pendant les conflits
armés249.
249 Cf. Statuts du Tribunal Pénal International pour la
Yougoslavie et du Tribunal Pénal pour le Rwanda adoptés par le
Conseil de Sécurité, Statut de la Cour Pénale
Internationale adopté à l'initiative de la Commission du droit
international des Nations Unies. Et Convention Internationale relative aux
droits de l'enfant, 1989.
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