Inventer un nouveau modèle, le refus du retour en
arrière :
Afin d'affiner la compréhension de la pensée
écologiste des zadistes, il est intéressant de la
confronté à deux courants différents :
l'anarcho-primitivisme et le décroissantisme.
Frederic Dufoing, dans son ouvrage L'écologie
radicale définit l'anarcho-primitivisme comme « un
écologisme anthropocentrique » qui vise à redonner à
l'Homme son intégrité1. Cette idéologie reprend
les thèses anarchistes quant au refus de l'Etat et des relations
hiérarchiques qui aliènent l'Homme. Il y a la critique de la
modernité et de la science. L'Homme était libre à une
certaine époque et il s'agit de retrouver cette liberté. John
Zerzan, auteur primitiviste, estime que la sédentarisation et l'adoption
de l'agriculture constituent la matérialisation de l'aliénation
de l'Homme car elles ont donné naissance au besoin de produire, à
la division du travail, à la propriété privée,
à la guerre et à une certaine rationalité qui a mis fin
à l'intuition. Ce processus a ensuite permis l'apparition de la religion
qui entraîne l'apparition d'un leadership idéologique ce qui
conduit nécessairement à la centralisation du
pouvoir2. Les anarcho-primitivistes utilisent les travaux de
paléontologue ou d'anthropologue comme Marshall Sallings ou Pierre
Clastres pour proposer un modèle de société alternatif qui
repose sur l'abondance, l'absence de hiérarchie et la fin de la
civilisation moderne.
Pour Frédéric Dufoing, le problème des
anarcho-primitivistes est de n'utiliser les données scientifiques qu'en
partie en omettant des parts importantes. Ainsi ils vont vanter les
sociétés sans Etat décrites par Pierre Clastres en
omettant de mentionner que dans telle société, un rapport de
pouvoir et donc une hiérarchie existe entre les individus.
L'anarcho-primitivisme prône la restauration intégrale du mode de
vie des chasseurs-cueilleurs. Pour Damian White et Gideon Kossof3,
les anarcho-primitivistes ont une vision trop « romancée » des
vertus du mode de vie des chasseurs-cueilleurs.
Les zadistes ne s'inscrivent pas dans la vision
anarcho-primitiviste dans la mesure où ils n'entendent pas restaurer un
ancien mode de vie mais bien créer un nouveau modèle. De plus,
ils ne rejettent pas l'agriculture ou la sédentarisation. En effet, ils
utilisent l'occupation
1 DUFOING Frédéric, L'écologie
radicale, Paris, Infolio éd, 2012, p.73.
2 Ibid., p.80.
3 WHITE Damian F., KOSSOF Gideon, « Anarchisme,
libertarisme et environnementaliste : la pensée autoritaire et la
quête de sociétés auto-organisées, dans,
Ecologie & Politique 2011/1 (N°41), p.145-171.
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maraîchère et l'occupation d'habitation pour
lutter contre les projets et pour développer leur projet de vie
alternatif. L'objectif est d' « habiter le territoire » à
savoir l'utiliser pour y vivre.
Les anarcho-primitivistes veulent combattre la
société industrielle et tente de trouver des alternatives
concrètes à l'agriculture intensive. Frédéric
Dufoing détaille trois alternatives développées par les
anarcho-primitivistes : le « forestgardening », la «
permaculture » et le « natural farming »1. Le
forestgardening consiste à développer une « agriculture
intégrée » en forêt en remplaçant les ajouts
humains extérieurs par des processus de régulation. Le
système doit s'autoréguler. La permaculture vise à
pratiquer une agriculture permanente qui se fond dans les
écosystèmes. Le natural farming ou agriculture naturelle entend
limiter l'intervention humaine dans la pratique agricole. L'idée
générale est de restreindre au maximum l'apport industriel dans
l'agriculture et revenir à une temporalité de production
naturelle. Outre ces initiatives, l'anarcho-primitivisme défend le
sabotage pour lutter contre l'agriculture intensive.
Les zadistes luttent également contre l'agriculture
industrielle et intensive qui non seulement participe à la
pérennisation du modèle économique capitaliste mais aussi
qui a des effets désastreux pour la planète. Ils envisagent ainsi
des alternatives à cette agriculture dont celles
développées par les anarcho-primitivistes. Mais, comme en
témoigne l'engagement pris par les zadistes de Notre-Dame-des-Landes
après l'abandon du projet2, la pensée zadiste tente de
concilier le modèle qu'elle entend mettre en place avec le modèle
ancien du territoire sur lequel elle habite. Il s'agit plus d'apprendre
à vivre ensemble et de réfléchir à des nouvelles
alternatives que d'imposer frontalement un nouveau modèle.
Pour Frédéric Dufoing, le décroissantisme
s'est construit en marge de l'altermondialisme avec pour
référence Ivan Illitch et pour postulat l'impossibilité
d'une croissance infinie3. L'origine de la crise écologique
réside dans un oubli effectué par le courant économique
dominant : la matière et l'énergie qui sont à la base de
la discipline économique doivent de nouveau être prises en compte.
Cette économie dominante a conduit à une croyance aveugle dans le
progrès, au monopole de la raison, de l'efficacité et du savoir.
Elle entraîne la perte des communaux et des savoir vernaculaires. Comme
nous l'avons vu
1 DUFOING Frédéric, L'écologie
radicale..., Op.cit., p.85.
2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Défendre la ZAD...,
Op.cit., p. 32-33.
3 DUFOING Frédéric, L'écologie
radicale..., Op.cit., p.99.
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précédemment, ce constat des causes de la crise
écologique est partagé en partie par les
zadistes.
Les décroissantistes critique l'existence de l'Etat
dans la mesure où il n'est que le « promoteur historique
»1 de la logique économique et a ainsi permis sa
diffusion en provoquant l'homogénéisation du territoire. Le champ
politique est colonisé par l'imaginaire économique capitaliste et
ne possède aucune liberté d'action. Les zadistes partagent cette
critique d'un Etat « sponsor et financier » de l'idéologie
néolibérale mais ils développent une autre critique qui
porte sur son caractère autoritaire et illégitime.
De plus, les décroissantistes entendent lutter contre
plusieurs « fausses croyances »2 qui reviennent à penser que
les besoins humains sont infinis et qu'ils ne peuvent être assouvis que
par le système industriel. Les besoins de l'Homme n'ont pas tous «
besoin » d'être assouvis dans la pensée
décroissantiste.
Enfin, comme pour la pensée zadiste, la pensée
décroissantiste ne défend pas un modèle qui aurait une
vocation universelle et qui serait bon pour l'Homme en général.
Elle rejette l'existence d'un monopole culturel et s'oppose ainsi à
l'école développementaliste qui estime que le
développement économique et industriel conduirait
nécessairement à la mise en place d'institution
démocratique.
Les propositions développées par la
pensée décroissantiste sont assez floues. Certaines sont reprises
par Frédéric Dufoing3. Il faudrait relocaliser
l'économie et sortir de la civilisation industrielle en mettant fin
à des pratiques comme la publicité, l'automobile ou la grande
distribution. Les décroissantistes reprennent l'idée de
créer un revenu minimum inconditionnel et de limiter les revenus
supérieurs. Pour parvenir à ces solutions, ils appellent à
modifier les pratiques individuelles quotidiennes de chacun et envisagent un
changement par la réforme des modèles politiques et
économiques. Ils se situent plus dans une approche gramscienne avec
cette volonté de produire une contre-hégémonie à la
culture économique capitaliste.
Les pensées zadistes et décroissantistes
partagent de nombreux points communs notamment en ce qui concerne leurs
critiques du système actuel. Mais ce qui les différencie portent
sur deux éléments importants. En premier lieu, les
décroissantistes ne critiquent pas
1 Ibid., p.118.
2 Ibid.,p. 120.
3 Ibid., p.124.
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fondamentalement la notion de propriété
privée et leur dénonciation du capitalisme porte surtout sur son
monopole. Pour les zadistes, la propriété privée et le
capitalisme sont l'essence même de la domination et de l'existence d'une
hiérarchie entre les individus. En second lieu, les zadistes ne visent
pas à modifier les comportements individuels pour améliorer le
système. Ils préfèrent mettre en place des alternatives
qui auront beaucoup plus de chance d'amener un changement au modèle
dominant.
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