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Les zones a defendre: d'un mouvement de contestation sociale à un nouveau courant de pensée politique

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par Antoine Vieu
Université de Bordeaux - Master 2 2016
  

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Inventer un nouveau modèle, le refus du retour en arrière :

Afin d'affiner la compréhension de la pensée écologiste des zadistes, il est intéressant de la confronté à deux courants différents : l'anarcho-primitivisme et le décroissantisme.

Frederic Dufoing, dans son ouvrage L'écologie radicale définit l'anarcho-primitivisme comme « un écologisme anthropocentrique » qui vise à redonner à l'Homme son intégrité1. Cette idéologie reprend les thèses anarchistes quant au refus de l'Etat et des relations hiérarchiques qui aliènent l'Homme. Il y a la critique de la modernité et de la science. L'Homme était libre à une certaine époque et il s'agit de retrouver cette liberté. John Zerzan, auteur primitiviste, estime que la sédentarisation et l'adoption de l'agriculture constituent la matérialisation de l'aliénation de l'Homme car elles ont donné naissance au besoin de produire, à la division du travail, à la propriété privée, à la guerre et à une certaine rationalité qui a mis fin à l'intuition. Ce processus a ensuite permis l'apparition de la religion qui entraîne l'apparition d'un leadership idéologique ce qui conduit nécessairement à la centralisation du pouvoir2. Les anarcho-primitivistes utilisent les travaux de paléontologue ou d'anthropologue comme Marshall Sallings ou Pierre Clastres pour proposer un modèle de société alternatif qui repose sur l'abondance, l'absence de hiérarchie et la fin de la civilisation moderne.

Pour Frédéric Dufoing, le problème des anarcho-primitivistes est de n'utiliser les données scientifiques qu'en partie en omettant des parts importantes. Ainsi ils vont vanter les sociétés sans Etat décrites par Pierre Clastres en omettant de mentionner que dans telle société, un rapport de pouvoir et donc une hiérarchie existe entre les individus. L'anarcho-primitivisme prône la restauration intégrale du mode de vie des chasseurs-cueilleurs. Pour Damian White et Gideon Kossof3, les anarcho-primitivistes ont une vision trop « romancée » des vertus du mode de vie des chasseurs-cueilleurs.

Les zadistes ne s'inscrivent pas dans la vision anarcho-primitiviste dans la mesure où ils n'entendent pas restaurer un ancien mode de vie mais bien créer un nouveau modèle. De plus, ils ne rejettent pas l'agriculture ou la sédentarisation. En effet, ils utilisent l'occupation

1 DUFOING Frédéric, L'écologie radicale, Paris, Infolio éd, 2012, p.73.

2 Ibid., p.80.

3 WHITE Damian F., KOSSOF Gideon, « Anarchisme, libertarisme et environnementaliste : la pensée autoritaire et la quête de sociétés auto-organisées, dans, Ecologie & Politique 2011/1 (N°41), p.145-171.

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maraîchère et l'occupation d'habitation pour lutter contre les projets et pour développer leur projet de vie alternatif. L'objectif est d' « habiter le territoire » à savoir l'utiliser pour y vivre.

Les anarcho-primitivistes veulent combattre la société industrielle et tente de trouver des alternatives concrètes à l'agriculture intensive. Frédéric Dufoing détaille trois alternatives développées par les anarcho-primitivistes : le « forestgardening », la « permaculture » et le « natural farming »1. Le forestgardening consiste à développer une « agriculture intégrée » en forêt en remplaçant les ajouts humains extérieurs par des processus de régulation. Le système doit s'autoréguler. La permaculture vise à pratiquer une agriculture permanente qui se fond dans les écosystèmes. Le natural farming ou agriculture naturelle entend limiter l'intervention humaine dans la pratique agricole. L'idée générale est de restreindre au maximum l'apport industriel dans l'agriculture et revenir à une temporalité de production naturelle. Outre ces initiatives, l'anarcho-primitivisme défend le sabotage pour lutter contre l'agriculture intensive.

Les zadistes luttent également contre l'agriculture industrielle et intensive qui non seulement participe à la pérennisation du modèle économique capitaliste mais aussi qui a des effets désastreux pour la planète. Ils envisagent ainsi des alternatives à cette agriculture dont celles développées par les anarcho-primitivistes. Mais, comme en témoigne l'engagement pris par les zadistes de Notre-Dame-des-Landes après l'abandon du projet2, la pensée zadiste tente de concilier le modèle qu'elle entend mettre en place avec le modèle ancien du territoire sur lequel elle habite. Il s'agit plus d'apprendre à vivre ensemble et de réfléchir à des nouvelles alternatives que d'imposer frontalement un nouveau modèle.

Pour Frédéric Dufoing, le décroissantisme s'est construit en marge de l'altermondialisme avec pour référence Ivan Illitch et pour postulat l'impossibilité d'une croissance infinie3. L'origine de la crise écologique réside dans un oubli effectué par le courant économique dominant : la matière et l'énergie qui sont à la base de la discipline économique doivent de nouveau être prises en compte. Cette économie dominante a conduit à une croyance aveugle dans le progrès, au monopole de la raison, de l'efficacité et du savoir. Elle entraîne la perte des communaux et des savoir vernaculaires. Comme nous l'avons vu

1 DUFOING Frédéric, L'écologie radicale..., Op.cit., p.85.

2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Défendre la ZAD..., Op.cit., p. 32-33.

3 DUFOING Frédéric, L'écologie radicale..., Op.cit., p.99.

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précédemment, ce constat des causes de la crise écologique est partagé en partie par les

zadistes.

Les décroissantistes critique l'existence de l'Etat dans la mesure où il n'est que le « promoteur historique »1 de la logique économique et a ainsi permis sa diffusion en provoquant l'homogénéisation du territoire. Le champ politique est colonisé par l'imaginaire économique capitaliste et ne possède aucune liberté d'action. Les zadistes partagent cette critique d'un Etat « sponsor et financier » de l'idéologie néolibérale mais ils développent une autre critique qui porte sur son caractère autoritaire et illégitime.

De plus, les décroissantistes entendent lutter contre plusieurs « fausses croyances »2 qui reviennent à penser que les besoins humains sont infinis et qu'ils ne peuvent être assouvis que par le système industriel. Les besoins de l'Homme n'ont pas tous « besoin » d'être assouvis dans la pensée décroissantiste.

Enfin, comme pour la pensée zadiste, la pensée décroissantiste ne défend pas un modèle qui aurait une vocation universelle et qui serait bon pour l'Homme en général. Elle rejette l'existence d'un monopole culturel et s'oppose ainsi à l'école développementaliste qui estime que le développement économique et industriel conduirait nécessairement à la mise en place d'institution démocratique.

Les propositions développées par la pensée décroissantiste sont assez floues. Certaines sont reprises par Frédéric Dufoing3. Il faudrait relocaliser l'économie et sortir de la civilisation industrielle en mettant fin à des pratiques comme la publicité, l'automobile ou la grande distribution. Les décroissantistes reprennent l'idée de créer un revenu minimum inconditionnel et de limiter les revenus supérieurs. Pour parvenir à ces solutions, ils appellent à modifier les pratiques individuelles quotidiennes de chacun et envisagent un changement par la réforme des modèles politiques et économiques. Ils se situent plus dans une approche gramscienne avec cette volonté de produire une contre-hégémonie à la culture économique capitaliste.

Les pensées zadistes et décroissantistes partagent de nombreux points communs notamment en ce qui concerne leurs critiques du système actuel. Mais ce qui les différencie portent sur deux éléments importants. En premier lieu, les décroissantistes ne critiquent pas

1 Ibid., p.118.

2 Ibid.,p. 120.

3 Ibid., p.124.

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fondamentalement la notion de propriété privée et leur dénonciation du capitalisme porte surtout sur son monopole. Pour les zadistes, la propriété privée et le capitalisme sont l'essence même de la domination et de l'existence d'une hiérarchie entre les individus. En second lieu, les zadistes ne visent pas à modifier les comportements individuels pour améliorer le système. Ils préfèrent mettre en place des alternatives qui auront beaucoup plus de chance d'amener un changement au modèle dominant.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo