Chapitre 8 : Les zadistes et le comité invisible
: un constat de la crise similaire mais une approche révolutionnaire
radicalement différente.
Le constat d'une société de crises :
Dans leur ouvrage L'insurrection qui vient
publié en 2007, le Comité Invisible dresse une critique
globale de la société actuelle qu'il va étayer dans A
nos amis publié en 2014.
Pour les auteurs de ces deux ouvrages1, le
système politique actuel est au bord de l'implosion. Le métier du
politique se serait réduit à un travail de « communicant
»2 et le vote n'est plus que protestataire. Les citoyens ne
votent plus pour des idées, ils votent contre des personnes. Ils voient
dans la « crise des banlieues » de 2005 non pas une émeute
mais une « négation absolue du politique ». La réponse
à cette crise ne sera ni dans la démocratie, ni dans la
république. Le Comité Invisible et les zadistes partagent la
même analyse de la démocratie actuelle qui postule le besoin d'un
gouvernement. Pour le Comité Invisible, « gouverner » signifie
« conduire les conduites d'une population pour en maximiser le potentiel
et en orienter la liberté »3. L'objectif du gouvernement
est donc de maintenir le contrôle des gouvernés et
d'éradiquer toute idée de révolte. Les auteurs parlent de
« guerre indirecte ». Pour se maintenir en place, le gouvernement
recourt à différentes tactique dont l'élection. Elle donne
une « illusion d'adhésion » des individus au gouvernement. Le
Comité Invisible, comme les zadistes, rejettent l'idée du besoin
d'être gouverné. Pour ces auteurs, l'état de nature bestial
développé par Hobbes n'est qu'une croyance et ne possède
aucun fondement scientifique. Cette croyance doit être combattue car
c'est elle qui a permis de créer la nécessité du
gouvernement. Ils s'opposent également à toutes les
théories du contrat social, de Macchiavel à l'anarchisme
individualiste qui développe une certaine idée du contrat
social.
1 Le Comité Invisible explique dans l'introduction de
L'insurrection qui vient leurs ouvrages sont rédigés par
plusieurs auteurs.
2 LE COMITE INVISIBLE, L'insurrection qui vient, Paris,
La Fabrique, 2007, p.7.
3 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis, Paris, La Fabrique,
2014, p.67.
71
Les zadistes voient dans le peuple une « fonction
homogénéisante »1 qui permet à l'Etat de
légitimer son action et de discréditer toute contestation. Pour
le Comité Invisible, la population est à la fois « l'objet
» et le « produit » du gouvernement. Il n'y a pas de peuple ou
de population sans un gouvernement, « la population cesse d'exister en
tant que telle dès qu'elle cesse d'être gouvernable
»2. De plus, elle permet au gouvernement de diviser les
contestations sociales en excluant une partie des individus participant
à ces mobilisations. Il va les décrire comme des « casseurs
» qui ne portent aucune revendication légitime contrairement au
reste des manifestants. Utiliser le terme « peuple » permet au
gouvernement de diviser un mouvement qui apparaissait homogène. Mais le
Comité Invisible dépasse la vision zadiste dans sa critique de
l'Etat et de la République. Il estime que les concepts «
société » et « nation » sont des fictions «
obsolètes »3 appartenant à l'ancien temps. Ils
n'ont plus de place dans le monde globalisé.
A noter que les zadistes ne rejettent pas, contrairement au
Comité Invisible, la notion de « peuple ». En y retirant
l'imaginaire républicain, le terme « peuple » garde une
portée sémantique pour comprendre les zads4. Il peut
être compris comme un qualificatif qui « transcende » les
catégories sociales habituellement cloisonnées dans la
société. Dans le cadre de la lutte No-TAV, le peuple a pu,
à certains moments, s'extraire de la « légalité
républicaine » pour faire face à l'Etat et empêcher la
continuation des travaux.
Le Comité Invisible développe une critique de
l'Etat plus générale que la vision zadiste en abordant la
question de la gouvernance et de la société cybernétique.
La gouvernance s'impose dans tous les domaines y compris dans le fonctionnement
de l'Etat qui lui est soumis. Le Comité Invisible parle d'une «
nouvelle science de gouvernement »5. Le gouvernement «
étatique » de contrôle a laissé la place après
la crise de 2008 à un gouvernement « cybernétique »
d'autocontrôle. Le cadre huxleysien a remplacé le cadre
orwellien6. Ce changement est dû selon les auteurs à la
globalisation qui a engendré des réseaux interconnectés
entre les hommes et les machines. La gouvernance se fait par le traitement
1 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.95.
2 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis..., Op.cit.,
p.162.
3 Ibid., p.10.
4 4 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.97.
5 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis..., Op.cit.,
p.103.
6 Ibid., p.113.
72
des algorithmes et des bases de données qui sont
recueillis avec le consentement des individus. Les zadistes parlent
d'aménagement mental du territoire1.
Le Comité Invisible critique également
l'aménagement métropolitain du territoire. Le capitalisme
fonctionne désormais territorialement et localement. Il n'est plus
national. Le pouvoir fonctionne aujourd'hui sur un processus de
sélection et non plus d'intégration. Pour le Comité
Invisible, cette « métropolisation »2 vise à
créer des zones ultra-connectées composées d'individus
connectés. La gouvernance va ainsi conduire à mettre entre place
une certaine forme d'horizontalité et de fragmentation. Pour autant,
cette horizontalité sera créée sur une division
hiérarchique du territoire d'où son rejet par le Comité
Invisible. Il existe donc une différence de perception entre les zads et
le Comité Invisible quant à l'aménagement du territoire.
En revanche, ils arrivent aux mêmes conclusions en considérant
qu'il faut lutter contre l'aménagement du territoire pour
défendre les Hommes.
Il s'intéresse aussi au travail. Il parle de «
fiction travailliste »3. Il estime que le travail est
aujourd'hui un outil de domination dans le sens où il produit et
contrôle des producteurs et des consommateurs. Il permet d'éviter
aux individus de penser et de remettre en cause le système. Les sites de
production ne sont plus des usines dans la mesure où il n'y a plus de
savoir-faire. Les individus ne travaillent que lorsque la production rencontre
un problème.
Pour les zadistes, les solutions aux problèmes
écologiques trouvées par le capitalisme ne fonctionnent pas.
Elles sont même néfastes au système. De même, la
solution ne réside pas dans le comportement individuel tant le
désastre écologique est systémique. Le Comité
Invisible tire les mêmes constats en ce qui concerne le «
capitalisme vert »4. La croissance verte est paradigme
fondé sur une illusion dont il faut sortir. Mais le Comité
Invisible fustige également les autres réponses au
désastre écologique. Ainsi, il ne voit dans l'agriculture
biologique que le traditionnel clivage bourgeoisie/prolétariat. Les
premiers sont les seuls à pouvoir disposer de cette agriculture saine
qui échappe structurellement à la classe prolétaire. De
même, il voit dans le principe de « simplicité volontaire
» un outil de domination du capitalisme. Il la renomme d'ailleurs «
austérité volontaire »5 qui fait partie de cette
société d'autocontrôle. Il voit dans cet autocontrôle
la voie vers une « dictature environnementale » alors que ses
défenseurs veulent l'éviter. Pour les auteurs du Comité
Invisible, de même que
1 Voir Partie 3 chapitre 1.
2 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis..., Op.cit,
p.184.
3 LE COMITE INVISIBLE, L'insurrection..., Op.cit.,
p.29-35 et A nos amis..., Op.cit., p.91-94.
4 LE COMITE INVISIBLE, L'insurrection..., Op.cit.,
p.61.
5 Ibid., p.62.
73
pour les zadistes, il ne faut pas séparer l'Homme de
l'environnement mais contrairement aux zadistes, ils considèrent
l'écologie comme une seule idéologie qui se limiterait à
la politique écologique gouvernementale. Ils ne s'intéressent pas
aux différents courants de l'écologie radicale.
Le Comité Invisible rejette également
l'idée de s'organiser autour d'un parti, d'un collectif ou d'une
association puisque ça ne reviendrait qu'à reproduire une
domination de type étatique. En effet, les organisations enferment
l'individu dans un système de pensée qui nuirait
irrémédiablement à sa liberté. De plus, elles
portent en elle les germes de la centralisation des pouvoirs et donc d'une
certaine forme de hiérarchie. Dans le fond, le Comité Invisible
estime qu'aucune organisation ne permet à l'individu de se
réaliser pleinement sans aucun contrôle. Elles constituent
davantage un lieu de vote et de prise de décision que d'expression.
Chaque organisation dispose de son histoire et de ses principes qu'il est
difficile de remettre en cause pour un individu extérieur. Le
Comité Invisible critique même les associations les plus
libertaires qui, en s'instituant, sont devenus un organe de contrôle de
l'individu. Les zadistes sont eux, beaucoup plus nuancés sur la critique
des organisations. Ils leur reconnaissent une efficacité certaine et
beaucoup font partie du « rhizome » contre les Grands Projets
Inutiles et Imposés.
Pour conclure, le Comité Invisible et les zadistes
développent une critique du système actuel relativement
similaire. Les deux partagent le rejet d'un système politiquement
inégalitaire, écologiquement dramatique et technologiquement
totalisant. Leurs visions de l'alternative à mettre en place et les
moyens pour y parvenir marquent certaines de leurs divergences
fondamentales.
|