CHAPITRE IV: PRESENTATION ET ANALYSE
DES RESULTATS
Les informations sur les représentations sociales et
les itinéraires thérapeutiques de la malnutrition chez les
enfants de moins de cinq ans ont été obtenues à travers
des entretiens semi directifs des parents de enfants de moins de cinq ans, les
membres des COSA, les tradi praticiens et le personnel des centres de
santé du district de santé de Guéré. Apres chaque
entretien, nous avons restitué à nos informateurs ce que nous
avons noté pour nous assurer du reportage fidèle de leurs
points de vue. A un moment donné, les informations devenaient
redondantes et nous avons dû nous limiter à l'essentiel. Ils ont
été interviewés sur :
· les causes populaires de la malnutrition,
· les savoirs traditionnels thérapeutiques et les
différentes solutions de guérison auxquelles les enfants sont
exposés,
· les interdits alimentaires
· les techniques autochtones de prévention de la
malnutrition chez les enfants.
C'est d'ailleurs ce qui constituera les grandes articulations
de la présentation de nos résultats.
Les pratiques alimentaires des enfants de moins de cinq ans
dans le district de santé de Guéré ne sont pas
détachables de l'environnement socio géographique auquel ces
enfants appartiennent. Pour mieux comprendre les raisons qui expliquent les
construits sociaux et les voies de recours entreprises par les parents, il va
devoir tenir compte du climat, des activités économiques et de la
situation spatiale de ces populations du district de santé de
Guéré qui restent similaires quelques soit le groupe ethnique
rencontré.
Dans le cadre de cette étude, tous les trois
départements qui font le district de santé de Guéré
ont été visités. Les localités les plus marginales
soit du fait de leur enclavement profond, soit de leur éloignement ont
été mises à contribution. Ainsi se reconnaitront dans
cette étude, les Massa, les Moussey, les Arabes, les Kotoko, les
Toupouri, les Peuhls, les Moundang,les Mousgoum et les Guiziga.
4.1 : Les représentations de la santé et
de la maladie
D'une culture à une autre, d'une société
à une autre et d'une localité à un autre dans le district
de santé de Guéré, la santé et la maladie ont des
significations différentes. Les comportements et les actions des
individus face à ces deux faits sociaux sont fonction de
société ou de culture. En effet, les représentations
sociales mettent l'accent sur la culture des individus pour comprendre les
comportements face aux maladies .Pour Herzlich (1998), la santé et la
maladie sont influencées par le système socio culturel. Ainsi,
le comportement des individus vis-à-vis la santé et la maladie
sont le reflet de leur culture dans la mesure où chaque
société est dotée d'un ensemble de savoirs qui lui permet
de parer à tous les problèmes de santé.
Ø La
santé
La santé s'identifie à la norme.L'OMS la définit comme « un état complet
de bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en
une absence de maladie ou d'infirmité.»
Quant à l'essentiel des points de vue de nos
informateurs, l'idée de santé s'actualise dans la relation du
sujet à son environnement. Elle est d'avantage ressentie comme un mode
de vie qu'un état physique particulier :"La santé, c'est la
vie. C'est mieux que l'argent. On est bien ; on est heureux. On mange bien, on
dort bien."Tradipraticiens du FGD àGobo.
Le discours s'articule autours des thèmes suivants :
- bonheur,
- vie aisée,
- absence de problèmes,
- repos,
- tranquillité.
Dans les faits, la santé est décrite comme un
idéal de vie. Il s'agit non pas "d'être en bonne santé"
mais plutôt "d'avoir la santé", de bien vivre,
libéré des contraintes morales et pratiques.
Pour le FGD à Gobo, que nous avons rencontré
« Un homme qui a lasanté,c'est celui là qui passe
la journée au champ, il n'est pas toujours dans la case mais tient
compagnie à ses amis. C'est un homme
normal ».A l'image de "bien vivre" correspond
toutefois une pratique : "se sentir bien". Cette réalité recouvre
des manifestations physiques internes (à l'instar du sommeil,
l'appétit ou la forme physique) corrélatives à un ensemble
de comportements (tel le fait de pouvoir de pouvoir marcher, de jouer ou de
rire). Le domaine de la santé étend son champ depuis la vie
biologique de l'individu jusqu'à sa dimension psycho-sociale.
Ici, la pression normative de la culture est convoquée
pour faire établir l'écart entre ce qui est normal et ce qui ne
l'est pas. On peut aussi relever que le discours médical joue un
rôle décisif dans l'établissement des normes qui qualifient
la santé car il énonce avec de plus en plus de précisions
les signes distinctifs de l'homme normal. Toutes les techniques modernes
d'investigation biomédicales montrent que l'on peut s'estimer en bonne
santé tout en étant objectivement affecté par la maladie.
C'est ce que Lerich a énoncé par « la santé
c'est la vie, le silence des organes », pour dire l'inconscience que le
sujet a de son corps tant que la maladie est asymptomatique. C'est ici que
s'inaugure la séparation entre la normalité du point de vue du
sujet (qui n'éprouve pas de souffrance) et la normalité du pont
de vue médical car le silence des organes n'équivaut
forcement pas à l'absence de maladies.
Ø La
maladie
Tout comme pour définir la santé,
l'anthropologie médicale s'appuie sur trois mots anglais pour designer
la maladie en ces termes :
- Disease ou la pathologie identifiée par le
clinicien
- Illness ou l'expérience subjective du
patient
- Sickness ou phénomène social
produisant le rôle du malade et les attentes de la
société.
La maladie nécessite toujours une quête de sens
qui va au delà d'une simple lecture biomédicale, productrice de
catégorie diagnostique. Si l'évolution des connaissances et des
techniques biomédicales rend les diagnostics et le traitement de plus en
plus sûrs, on ne peut pas occulter la question de dimension socio
culturelle de la maladie.
Ainsi, à la question "qu'est-ce que la maladie", les
mères répondent en énumérant divers signes
représentatifs, qui renvoient généralement au paludisme.
Pour elles, « la maladie c'est avant tout le
palu ».Généralement, les critères
descriptifs de la maladie oscillent entre deux pôles : l'un organique,
l'autre qui a trait à la personne, son psychisme, son comportement. La
température, la douleur, les symptômes externes constituent la
réalité organique de la maladie. La fièvre, surtout chez
l'enfant, représente, pour les mères, une véritable source
d'angoisse. Même si elles ont appris à la soulager, notamment par
l'utilisation des divers recours thérapeutiques, elle n'en demeure pas
moins redoutable :
"Ce qui me fait peur, c'est lorsque la maladie se
transforme en en quelque chose qui fait trop chauffer le corps de l'enfant
à tel point ou il convulse. On nous a toujours dit que c'est la rate qui
est sortie du ventre et il n y a que le guérisseur du village pour la
faire rentrer.Sinon elle monte vite chez l'enfant, elle donne la
mort".FGD à Gobo
La douleur peut accompagner la maladie mais elle n'est pas un
élément constitutif de celle-ci. L'enfant l'exprime par les
pleurs, détonateurs qui éveillent l'attention de la mère
:
"Lorsque l'enfant va bien, il rit, il joue. S'il se met
à pleurer, c'est qu'il souffre de quelque chose. Il pleure, il ne dort
pas, il peut avoir la fièvre, la diarrhée, des douleurs au
ventre. On s'en rend compte surtout sur son visage"FGD
à Gobo
En fait c'est sur le visage que la maladie se donne à
voir. Le teint, les yeux apparaissent comme des indicateurs
privilégiés auxquels les mères attachent une importance
particulière :
"Le malade a la peau blanche et sèche, il ne peut
pas marcher tout le temps, son teint change. Les petits, on reconnaît
très vite s'ils sont malades ; ils sont passifs."FGD à
GoboL'état de fatigue et le manque d'appétit sont des
critères immédiats dans le repérage de la maladie.
L'individu n'a plus le même rythme de vie ; son activité diminue
de façon visible par rapport à l'ordinaire.
La maladie ne se réduit pas à sa
réalité organique. Elle se révèle aussi dans son
retentissement sur la personne et sur sa vie. La maladie affecte l'individu
dans son corps mais aussi dans son intégrité psychique et sa
conduite :
"Quelqu'un qui est malade maigrit. Il ne mange pas bien.
Il est mal à l'aise. Il ne peut pas faire ce qu'il veut. On voit qu'il
n'est pas normal ; ses habitudes changent."FGD à GoboLes
modifications de comportement, de l'humeur ou la réduction de
l'activité caractérisent le malade :
"On voit que la personne est malade car ses habitudes
changent. Il ne fait pas ce qu'il faisait avant. Un de mes petits enfants
faisait du sport et il a arrêté. Je comprends qu'il est malade
mais je ne sais pas de quoi. Ses habitudes ont changé."FGD à
Gobo
Les signes extérieurs de la maladie et les changements
d'attitude qu'elle engendre sont autant d'indices qui attirent l'attention sur
un dysfonctionnement. Hélas, ils ne renseignent pas toujours sur la
nature du trouble, ni sur sa gravité. On peut soupçonner qu'une
personne est malade et ignorer de quoi elle souffre. Ainsi, la maladie
apparaît comme une réalité opaque et ambigüe qui ne se
donne pas à comprendre d'emblée. Si la santé relève
d'un constat, la maladie demande à être interprétée.
On la reconnaît à de multitude de signes (organiques ou
comportementaux) qui nécessitent un travail d'analyse au demeurant sans
grande signification pour le malade lui-même.
Pourtant, on constate que certains sujets entretiennent un
rapport actif à cette incompréhension. Ils perçoivent
qu'il existe des maladies à l'état latent qui exigent de prendre
à priori des précautions. On peut supposer que c'est par une
vulgarisation de la "médecine savante" qu'une nouvelle dimension de la
maladie est apparue. L'idée d'une médecine préventive
largement diffusée par l'Institution médicale, trouve sa
justification auprès du malade dans cette angoisse de "ne pas savoir ce
qu'il a" :
"En apparence, on peut être en bonne santé
mais à l'intérieur on ne sait pas trop. Par exemple, mon fils
paraissait en bonne santé mais à l'intérieur il
était malade. Pourtant, on avait pris toutes les précautions ; il
était vacciné."FGD à Gobo
4.2 : Les représentations sociales de la
malnutrition
Les représentations de la malnutrition
présentent plusieurs facettes qui s'identifient en plusieurs causes et
en un éventail de méthodes préventives endogènes
influencées par les chemins thérapeutiques tortueux sur
lesquelles se rencontrent personnels de santé et parents des enfants
dans une crise de confiance.
4.2.1 Les causes populaires de la
malnutrition
De nombreux clichés et préjugés
alimentent des schèmes psychiques des personnes vivant dans la
vallée du Logone. Ces schèmes sont transmis de bouche à
oreille par la tradition et véhiculent un savoir non rationnel
Ø La
traversée de l'enfant par son père
Dans le construit populaire de la plupart des femmes
interrogées, le fait qu'une femme conçoive alors même
qu'elle a un enfant qui allaite encore est souvent une représentation
sociale. On dit que le père a traversé l'enfant. En effet, dans
les habitudes culturelles du Cameroun Septentrional, l'enfant dort sur le
même lit que ses parents et lorsque le père de l'enfant doit
partir d'un bout du lit à un autre en traversant l'enfant, il y a des
risques que cet enfant devienne dénutri. En plus, lorsque les femmes
enceintes ont des régimes alimentaires inadéquats, entreprennent
des travaux trop durs ou sont fréquemment malades, elles donnent
naissance à des bébés plus petits affectés par
divers problèmes de santé. Les enfants nés de mères
malnutries sont plus susceptibles de mourir lorsqu'ils sont encore des
nourrissons. Si ces enfants survivent, dès l'âge de deux ans, ils
risquent d'avoir des dommages permanents. Pour cette raison, les femmes
enceintes et les femmes qui allaitent ainsi que les enfants de moins de deux
ans doivent constituer des groupes cibles prioritaires des interventions
nutritionnelles.
«C'est mon mari qui a rendu mon enfant malade, il l'a
traversé .voilà je suis maintenant grosse, il a
gâté le lait, l'enfant ne marche pas .Il souffre du Camlina et non
de la malnutrition comme vous le pensez. Mon champ va être envahi par les
mauvaises herbes faites, je dois me rendre en brousse. Vous les docteurs, vous
êtes les mêmes, vous nous accusez partout.» se plaint une
jeune mère Massa de Nouldayna âgée de 20 ans environ.
Nous comprenons pourquoi dans cette partie du pays la
polygamie est fortement conseillée pour éviter de traverser les
enfants qui n'ont pas encore grandis.
Ø Le non respect
des règles sociales
L'ancestrisme dans le district de santé de
Guéré est surtout meublé par de nombreux interdits sociaux
qui constituent la norme sociale. Il fallait faire ceci, ne pas faire cela et
la moindre transgression était en soi synonyme de représailles.
Chez les Massa par exemple, une femme à terme devait subir le bain
à l'eau chaude avant son accouchement. Une grand-mère disait
à cet effet :
«A notre temps, quand une femme est à terme,
elle va chez sa maman pour accoucher .on lui verse de l'eau chaude pour que son
enfant soit fort et pour que ses pieds ne se cassent pas .même si son
père le traverse, il n y a pas de problème» Une
grand-mère Massa d'environs 60 ans de Dom
Un autre exemple est l'interdiction chez les Moundang aux
femmes et aux enfants non initiés de jeter le regard sur la mascotte de
l'initiation comme l'illustre cette assertion :
«Chez nous les Moundang, les femmes et les petits
enfants non initiés ne doivent voir le Mazoumouri. Sinon c'est le
malheur qui va les suivre. La plupart des enfants que vous voyez à
l'hôpital des soeurs pour prendre la bouillie au soja sont des victimes.
Leurs parents sont têtus.» FGD àGobo
En outre, tout mariage devait recevoir la
bénédiction des deux belles familles. Ces
bénédictions selon le même groupe de discussion. Dans le
cas où l'une des belles familles n'était pas d'accord avec le
mariage, les conséquences étaient immédiates. Pour dire
vrai,
«Les jeunes d'aujourd'hui se marient sans même
demander les vieux du village. Ils ne se renseignent pas sur le passé
des parents de la femme qu'ils épousent. Vous voyez que ce que vous
appelez malnutrition est maintenant visible chez beaucoup d'enfant ici à
Guéré .c'est juste parce que la femme est venue avec la malchance
que ses parents ont jeté sur elle. C'est juste ce mauvais sort qui se
manifeste chez l'enfant. Ce n'est pas une maladie qu'on soigne à
l'hôpital ». Pour le groupe, « la
diarrhée c'est bien, ça lave le ventre de l'enfant.Ça veut
dire que le traitement là est bien. »
Une autre illustration qui explicite le non respect des
règles sociales intègre les éléments de la nature.
C'est par exemple le cas chez les Moussey de l'interdiction de regarder la lune
par les femmes enceintes :
« Lorsque la lune n'est pas encore partie alors
que nous sommes à l'aube, une femme enceinte ne doit pas regarder cette
lune. D'autres femmes l'ont fait et voici que leurs enfants sont toujours assis
et paresseux. Ils ont les cheveux comme les bororos. Leurs yeux sont gros comme
les yeux des hiboux. Ce sont des enfants sorciers »
déclare Goyna homme de 30 ans environs habitant le village Dom pya non
lin de Gobo
Ø Le lait amer et
insuffisant
Les mères associent fréquemment « les
pleurs du bébé » avec le fait que le lait n'a pas
été suffisant ou qu'il est amer d'où la décision
de compléter le lait maternel avec d'autres éléments
liquides ou solides ou encore de donner de l'eau au bébé parce
qu'elles estiment qu'il a soif. Ces réactions indiquent qu'elles
n'apprennent pas la manière dont la consommation du lait maternel est
régulée et que l'enfant n'a pas besoin d'eau
supplémentaire. Les besoins nutritionnels du nourrisson, à
diverses étapes de sa croissance, sont susceptibles d'être
momentanément supérieurs à sa consommation de lait
maternel. Mais ce déficit temporaire se résout de lui-même
si les nourrissons sont allaités à la demande. Mais s'ils
n'allaitent pas fréquemment au sein (sans doute du fait qu'ils
consomment d'autres aliments) il y aura réduction de la consommation de
lait maternel. Plus les mères allaitent, plus la consommation de lait
est accrue, même si cela prend quelques jours avant que la mère
s'en aperçoive. Quant au gout amer du lait maternel, tout est à
revoir et un travail de persuasion de fond reste à faire pour que les
femmes acceptent que le gout du lait n'est pas amer. Pour des raisons
particulières, il arrive souvent que l'enfant refuse le lait ; cela
ne veut pas dire que le lait est amer.
« C'est mon lait qui le rend malade et maigre.
J'ai un lait amer et insuffisant. Cet enfant a déjà plus d'un an
mais il n'arrive pas à s'assoir comme les autres enfants nés la
même période que lui. Mon lait est amer. Je bois les
écorces que ma tante m'a données mais l'enfant refuse toujours.
Il fait la diarrhée chaque fois qu'il tète. Je lui donne
maintenant de l'eau chaude et je le force à boire de la bouillie du mil,
il faut l'immobiliser et boucher ses narines pour qu'il avale. Sinon il refuse
de manger. Ma maman m'a dit qu'elle aussi avait le mauvais lait. C'est dans la
famille (héréditaire)» se lamente une jeune mère
Mousgoum de Gobo
En effet, une fausse route due à une inhalation au
niveau des poumons peut être fatale pour l'enfant. La coordination
neuromusculaire entre les muscles de la gorge et de l'oesophage n'est pas
très bonne. Il est fréquent que les enfants inhalent de la
nourriture dans leurs poumons lors de la réhabilitation s'ils ont
été forcés à manger, particulièrement avec
une cuillère ou en pinçant le nez. Ou encore, ils sont tenus
couchés lors de la prise des repas en leur donnant des produits
thérapeutiques liquides.L'inhalation de produits thérapeutiques
(notamment sous forme liquide) est une cause fréquente de pneumonie chez
tous les patients malnutris. Ces derniers doivent être surveillés
de près notamment lors de la prise des repas, l'on doit s'assurer
à ce qu'ils soient tenus de façon correcte.
Ø La
malédiction
Un aspect de la vie ordinaire chez les peuples de la
vallée du Logone est la croyance qu'un acte posé par une tierce
personne entrainait une malédiction sur le reste de la famille et
surtout sur la progéniture. Ainsi, tout malheur était
interprété comme conséquence d'un acte volontaire commis
par un membre de la famille. Par exemple pour cet éleveur Arabe choa de
40 ans environ que nous avons rencontré à Ardfaf,
«Ce sont les autorités administratives qui
font que nos enfants tombent souvent malades. Pourtant ils mangent bien et
boivent le lait tous les matins. Ils nous demandent de compter nos boeufs, nos
chèvres et nos moutons. C'est une chose qui ne se fait pas. Cela attire
les malheurs tels que le vol, le deuil, la maladie, la mort des bêtes ou
juste leur égarement. Voilà mes boeufs au bord du marigot, si tu
veux va compter et tu viendras me dire quel type de malheur tu auras
eu».La norme ici est de ne pas compter le nombre de boeufs ou de tout
autre animal constituant le cheptel.
Un autre exemple beaucoup plus amusant est celui
d'éviter de montrer ses émotions lorsqu'un ainé assouvit
un besoin humain .Une jeune femme de 19 ans environ de Djelmé en se
confiant à nous remarquait que
«C'est la grand-mère de mon mari qui a rendu
mon enfant malade. Elle a attaché ses pieds parce que je me suis
moqué d'elle tout simplement. Elle avait pèté en public.
J'ai même demandé pardon mais elle m'a répondu que les gens
vont aussi se moquer de mon enfant. Attendez que je vous
l'amène.»
Que dire lorsque les représentations sociales
défient la science ? Les propos suivants le
démontrent :
« Voilà monsieur le docteur, vous voyez
sa face ? C'est le mauvais sang qui est coincé dans ses joues, ses
pieds et son ventre. En fait, cette vielle femme a versé sur notre
passage ses écorces et mon fils a traversé cela. Depuis ce jour,
il a commencé à gonfler partout. C'est le mauvais sang
simplement. Je l'ai amené chez le grand voyant et il a pu retirer
beaucoup de ce mauvais sang.»
Enfin, il y a lieu de dire que la foi est perçue comme
synonyme du bonheur. Ne pas vivre sa foi en conformité avec les
écritures sacrées expose le contrevenant à des
malédictions comme l'illustre ces propos:
«Kayaahhhh ne nous dérangez pas, c'est normal
que l'enfant de cette femme que vous venez de voir passer soit tout le temps
malade. C'est une voleuse et tout le monde le sait. Pour une musulmane comme
elle, c'est une honte pour nous les croyants. C'est la bouche des gens qui
rendent son enfant malade. D'ailleurs tous ses sept enfants sont comme
ça. Ils ne sont jamais gros. Si elle arrête de voler et si elle ne
soule pas, vous allez voir. Ses enfants ne vont plus tomber malade. On dit que
c'est la kwashiorkor mais je crois que c'est la malchance qui la suit. Une
musulmane qui fume, qui vole, qui se promène partout, c'est la honte.
Walahi, C'est Allah qui la punit .Elle ne suit pas nos conseils.»
S'alarme ED6, un commerçant Kotoko d'environ 50 ans et habitant le
quartier Sirata à Gobo
L'on peut constater que les peuples étudiés sont
essentiellement religieux et ont foi aux systèmes de croyances mis en
place.
Ø Les morsures de
serpents
Une femme enceinte ou allaitante avait tout
intérêt s'éviter une morsure de serpent. En effet, on pense
que la maman peut à tout moment contaminer son enfant. Comme le dit un
membre du focus group de Gobo,
« Il peut arriver qu'un enfant commence à
marcher et perd les mouvements de ses pieds si sa maman se fait mordre par le
serpent. C'est la période des récoltes et il y a beaucoup de
serpents. La morsure de serpent est contagieuse.
De telles affirmations sont totalement contraires à la
science mais sont acceptées même dans les milieux
scolarisés
Ø L'allaitement
maternel exclusif
L'allaitement maternel qui débute aussitôt
après l'accouchement, permet la production de lait par la mère,
la contraction de l'utérus, la réduction de saignement chez la
mère, protège le nouveau-né contre l'hypothermie, apporte
du colostrum ou le premier lait riche en substances qui immunisent le
nouveau-né contre des infections et en éléments nutritifs.
L'allaitement maternel apporte à la mère et au nourrisson des
stimulations psychosociales importantes. Pour réaliser avec
succès l'allaitement maternel, il est important d'éviter la
séparation de la mère et du nouveau-né (cela s'appelle
aussi « cohabitation de la mère et du nouveau-né ») et
de ne pas donner de supplément de lait en poudre ni de l'eau
sucrée. Donner au nouveau-né ou au nourrisson des liquides ou des
aliments complémentaires est susceptible de réduire sa
consommation en lait maternel et de provoquer des problèmes de
santé .L'allaitement maternel a aussi des effets
bénéfiques pour la mère. En effet l'allaitement maternel
fréquent et sans supplémentation pendant environ six mois,
contribue à protéger la mère d'une nouvelle grossesse en
arrêtant sa fertilité. Pratiqué de manière
adéquate, l'allaitement maternel permet aux femmes de contrôler
leur fertilité et constitue une méthode hautement efficace de
planification familiale.
L'allaitement au sein est une source sûre et
hygiénique d'alimentation, suffisante d'énergie,
d'éléments nutritifs et de liquides. Le lait maternel contient
des substances qui luttent contre les maladies et des vitamines qui permettent
de préserver l'immunité naturelle du corps. Les autres produits
pour l'alimentation des nourrissons augmentent de manière significative
les décès dus aux maladies diarrhéiques et aux maladies
respiratoires. En climat chaud, l'allaitement maternel exclusif fournit tout le
liquide dont a besoin le nourrisson pour se désaltérer et
éviter la déshydratation. L'allaitement maternel est bien
accueilli par les femmes que nous avons rencontrées mais sa
faisabilité, selon elles, n'est pas évidente. ED 2 une femme
Toupouri de 30 ans environ habitant dans la ville de Guéré. Elle
a son point de vue.
«Allaiter l'enfant jusqu'à 4 ou 6 mois c'est
bien mais, ce n'est pas faisable ici chez nous car il fait chaud. L'enfant doit
boire de l'eau comme tout le monde sinon il va mourir de soif. Peut être,
c'est faisable au Sud où il fait frais. Même le premier jour de
sa naissance il doit d'abord boire de l'eau car le lait de sa maman ne vient
pas vite. Et puis son ventre doit être
lavé.»
Les mères ont tendance à introduire trop
prématurément des éléments liquides ou solides,
parce qu'elles doivent se rendre au travail -- un environnement professionnel
formel ou lors des moissons et des semences. Mais des études
récentes montrent qu'après l'accouchement, les femmes qui
travaillent dans un environnement formel ne sont pas généralement
séparées de leurs nourrissons pour de longues périodes. En
cas d'absence, les mères doivent apprendre à exprimer
manuellement leur lait qui sera utilisé pendant ces périodes
n'excédent pas quelques heures; l'allaitement maternel pourra être
ainsi maintenu et continuera à assurer une protection vitale au
nourrisson au cours des premiers mois, les plus cruciaux, de son existence.
L'emploi de biberons est à proscrire pour nourrir les nourrissons parce
qu'ils peuvent introduire des bactéries dangereuses et interférer
avec la conduite adéquate de l'allaitement maternel.
4.2.2 Les recours
thérapeutiquesendogènes
Le recours aux soins dépend d'un ensemble des facteurs
qui peuvent être d'ordre social, économique, démographique
,politique ou culturel relevant aussi soit des caractéristiques
familiaux ou communautaires des parents des enfants . Pour (Goffman, 1983), la
typologie des recours aux soins relève de trois catégories de
facteurs explicatifs de l'utilisation des services de santé.
· Les facteurs de prédisposition à
l'utilisation des services de santé qui sont d'ordre socio culturels et
individuels. Comme nous l'avons signalé dans le chapitre
précédent, il s'agit notamment de l'âge, du sexe, le lien
de parenté, le revenu familial, le niveau d'instruction de la famille,
la religion etc....
· Les facteurs facilitateurs sont ceux qui peuvent
promouvoir ou inciter à l'utilisation des services de santé. Ils
comprennent le cout des soins, la prise en charge des dépenses de
santé, l'accessibilité géographique, l'efficacité
du traitement et le comportement des prestataires.
· Les facteurs de renforcement développent des
attitudes favorables aux recours aux soins. ces facteurs sont liés aux
croyances étiologiques ou mieux à la construction sociale et
culturelle de la maladie
Dans le cadre de notre enquête, les registres de
consultation des 08 centres de centres de santé du district de
santé de Guéré que nous avons exploités montrent un
taux de fréquentation relativement bas des enfants de moins de cinq ans
par rapport aux adultes.
A titre d'illustration, les figures ci-dessous le montrent
à suffisance. Ils confirment le fait que les enfants de moins de cinq
ans ne bénéficient pas de soins de santé
Figure N°7 : Taux de fréquentation par
tranche d'âge comme facteur de prédisposition
Source : district de santé de Guéré
2011
Figure N°8. : Taux de fréquentation par
tranche d'âge comme facteur de prédisposition
Source : district de santé de Guéré
2011
Figure N°9: Taux de fréquentation par tranche
d'âge comme facteur de prédisposition
Source : district de santé de Guéré
2011
Dans la plupart des cas, les maladies et une alimentation
inadéquate sont les causes immédiates de la malnutrition.
D'autres causes plus fondamentales représentent des obstacles qui
existent au niveau des ménages et des familles.
· L'accès insuffisant à la
nourriture.Les familles ne peuvent pas produire ou acquérir assez
d'aliments contenant l'énergie et les nutriments dont elles ont besoin.
D'autres problèmes peuvent inclure l'accès à la terre et
aux intrants agricoles, aux circuits de commercialisation et de distribution
des produits alimentaires, l'insuffisance des revenus ainsi que d'autres
facteurs.
· Des pratiques inappropriées de soins de la
mère et de l'enfant.Les familles et les communautés ne consacrent
pas le temps et les ressources nécessaires à la prise en charge
de leur santé et de leur alimentation ainsi que de problèmes
émotionnels et cognitifs des femmes et des enfants. On peut citer au
nombre des pratiques inappropriés en matière de soins, la
mauvaise alimentation des enfants malades, la non-utilisation des structures de
santé pour les besoins des femmes enceintes et des adolescentes, une
mauvaise hygiène, une mauvaise pratique de l'allaitement maternel,
l'absence d'une alimentation complémentaire appropriée et des
régimes alimentaires inappropriés pour les femmes, y compris les
tabous alimentaires pendant et après la grossesse (le fait de manger des
oeufs pendant la grossesse de peur que l'enfant soit chauve) et la charge de
travail excessive des femmes.
· Un mauvais système d'approvisionnement en
eau/assainissement et des services de santé inadéquats.Les
services de santé sont de mauvaise qualité, chers, non existants
ou inadaptés. L'inadéquation des services de santé se
traduit par des indicateurs tels que faible taux de vaccination, manque de
soins prénatals, prise en charge des enfants malades et malnutris
inadéquate, ainsi que les mauvaises infrastructures d'approvisionnement
en eau et d'assainissement.
A Gobo où nous avons organisé un focus group
discussion, les participants nous ont confié ceci :
« On a peur d'amener un enfant qui n'a pas un
bon poids à l'hôpital des soeurs. Les infirmiers nous insultent et
nous traitent de négligents. C'est comme si c'est de notre faute si les
enfants n'ont pas un bon poids .et puis quand un enfant est toujours malade et
fait chaque fois la diarrhée, il ne mange pas et pleure beaucoup , les
gens nous regardent avec mépris et pensent que comme l'enfant est
malade, la mère doit aussi souffrir de la mauvaise maladie
là. » Ils font allusion au VIH/SIDA.
En effet, les maladies infantiles, tels que pneumonie,
diarrhées, rougeole, VIH/SIDA, paludisme et fièvres provoquent de
graves problèmes nutritionnels et ont une répercussion sur le
statut nutritionnel de l'enfant. Du fait d'un déficit pondéral
grave, d'une faible absorption de nourriture, d'un manque d'appétit et
d'une consommation insuffisante, les maladies diarrhéiques engendrent la
malnutrition ; et un enfant est susceptible d'avoir des maladies
diarrhéiques graves et fréquentes si on ne traite pas la
malnutrition. Les maladies diarrhéiques sont causées par des
mauvaises pratiques de l'alimentation du nourrisson, notamment un allaitement
maternel inapproprié et un sevrage rapide avec des aliments
contaminés.
La malnutrition et les maladies diarrhéiques sont si
étroitement associées que la diarrhée est parfois
appelée une « maladie nutritionnelle ».
Lorsqu'ils sont malades, les enfants perdent l'appétit
; ils cessent de manger ou réduisent leur ration alimentaire et ils
accusent alors de pertes en éléments nutritionnels. Ils peuvent
ressentir des signes de faiblesse ou éprouver du mal à respirer
ce qui les empêche de téter ; ils peuvent aussi éprouver de
difficulté à mâcher et à avaler leur nourriture. Ces
signes de maladies associés à des problèmes d'alimentation
inadéquate doivent être dépistés précocement
par les responsables d'enfants afin d'adopter des mesures actives tels que :
traiter la maladie et faire consommer assez d'éléments liquides
et de nourriture. Mais les pratiques nutritionnelles traditionnelles, le manque
de ressources et les conseils de dernière heure fournis par les agents
de santé font que très souvent les enfants malades ou malnutris
reçoivent des soins nutritionnels inappropriés plaçant ces
enfants en risque élevé de mort. Par exemple, dans beaucoup de
communautés, la croyance erronée veut que lorsque l'enfant a une
diarrhée, on ne le nourrisse pas sous prétexte qu'il va
guérir plus rapidement si on laisse «
reposer l'intestin ». Les enfants atteints du
VIH/SIDA, de la tuberculose, de pneumonie, de diarrhée persistante, de
paludisme et de rougeole souffrent fréquemment de malnutrition
sévère. L'association de la maladie et de la malnutrition expose
ces enfants à un risque élevé de décès
A Gobo, ED1 est une femme Moussey de 35 ans environ et habite
à quelques mètres du centre de santé mais
préfère garder son enfant malade à la maison.Elle
déclare :
«A présent mon enfant est malade. C'est le
mauvais esprit qui le dérange. Je commence d'abord par les
écorces et les racines que je suis allée loin dans la brousse.
C'est ça qu'il boit. On m'a aussi conseillé d'aller au
marché ramasser les graines d'arachides tombées à terre
pour lui donner. Il parait que cela aide à chasser les mauvais esprits.
J'attends aussi le retour de son père de son voyage. Nous irons au
Tchad puisque mêmes les comprimés qu'il a ramené du
marché sont finis et ça n'a pas changé. Si je
l'amène à l'hôpital, les infirmiers ne pourront pas le
soigner. »
La médecine moderne prend ainsi un coup parce qu'elle
est délaissée au profit de la médecine traditionnelle.
Ø Les interdits
alimentaires
Le tabou était une loi, une ordonnance ou une
publication du grand prêtre en vertu de laquelle tel ou tel objet
était sacré ou interdit (Igor de Garine, 1978). Tantôt il
s'agissait d'empêcher de toucher à tels arbres, à tels
fruits, à du poisson, etc., tantôt il avait pour objet d'initier-
si l'on peut dire - ou même de faire participer à la nature des
dieux ces mêmes objets et surtout certaines personnes, leur assurant
ainsi le respect et la vénération.
Lorsque Moerenhout, de retour de Polynésie, publia ces
lignes en 1835, il ne se doutait guère de la vogue à laquelle
était promis le terme qu'il définissait. En effet, lorsqu'il
s'agit d'aborder des aspects socioculturels et l'alimentation, c'est aux
interdits et aux tabous alimentaires qu'on s'intéresse et l'on
s'empresse de citer les populations brahmanistes des Indes qui jeûnent
plutôt que de consommer les vaches qui les encombrent, etc. cette
approche au travers des phénomènes négatifs ,
étudiés isolement et souvent de façon superficielle, a
contribué à populariser le caractère irrationnel des
sociétés préindustrielles et à passer sous silence
certains aspects essentiels des interdits et des tabous.
(Igor 1978) classe les interdits et les tabous
alimentaires en interdits permanents et temporaires. Les interdits
permanents se subdivisent selon l'ampleur du groupe qui s'y soumet tels
que:
· La pluralité de sociétés
(interdits sur viande de cochon et l'alcool chez les musulmans) ;
· La totalité d'une population (interdits sur le
bétail chez les populations d'éleveurs) ;
· Un groupe de parenté au sein d'une
société (interdits totémiques) ;
· Une catégorie socioprofessionnelle (interdits
des bouchers en Afrique et au Moyen-Orient) ;
· Une fraction de la société selon son sexe
(interdits des guerriers et des femmes) ;
· Une fraction de la société selon son
ordre de naissance (interdits des jumeaux, interdits du premier-né,
interdit qui frappe l'enfant né après plusieurs fausses
couches)
· Des groupes magico-religieux (collèges de
possédés et associations d'initiés) ;
· Des individus à l'issue d'une expérience
particulière (signe ou message en provenance de l'au-delà).
Certains de ces interdits individuels évoluent en interdits familiaux
et, sans doute, totémiques.
C'est ainsi, par exemple, chez les Moussey de l'arrondissement
de Gobo, que l'ancêtre fondateur d'un des lignages se trouva nez à
nez avec une antilope- cheval particulièrement peu craintive sur les
lieux où il fonda son premier village. Ses descendants ne peuvent depuis
consommer la viande de cet animal.
Les interdits temporaires quant à eux affectent des
individus aux périodes cruciales de leur cycle de vie et peuvent
être subdivisés en conséquence :
· Interdits de la future mère ;
· Interdits de la mère allaitante ;
· Interdits du nourrisson avant le sevrage ;
· Interdits accompagnant le sevrage ;
· Interdits de la petite enfance ;
· Interdits de l'adolescence et de la
puberté ;
· Interdits associés aux règles des
femmes ;
· Interdits associés aux maladies et
déséquilibre physiques et psychiques ;
· Interdits associés aux périodes de deuil
et au veuvage ;
· Interdits associés aux conflits sociaux ;
plaideurs, meurtriers ;
· Interdits associés à certains
procédés techniques (fermentation) ;
Exception faite des sociétés qui condamnent au
végétarianisme ou à l'extrême frugalité, les
interdits permanents ont rarement une incidence nutritionnelle - ils
intéressent un trop petit nombre d'aliment. Il n'en est pas de
même des interdits temporaires qui sont parfois remarquablement mal
ajustés aux exigences nutritionnelles de ceux qui en sont l'objet.
Plusieurs points nous paraissent fondamentaux dans
l'interprétation des interdits et des tabous alimentaires. Ils
constituent la face négative, parfois figée, de croyances
positives souvent plus difficile à mettre en évidence (en raison
même de leur dynamisme) et au travers desquelles se manifestent les
connaissances traditionnelles, ce que Margaret Mead eût appelé
« l'idéologie » en matière de nutrition, de
santé, d'organisation sociale. A la plupart des interdits correspondent
des régimes et des alimentations recommandés. Ils sont
organisés en systèmes cohérents qui reflètent les
valeurs sociales, morales, religieuses de la société
considérée. Ils doivent tout d'abord interprétés
par rapport à la culture dans laquelle on les observe et
expliqués avant d'être jugés nocifs ou positifs au point de
vue de la science occidentale. Dans cette perspective, on tiendra pour suspect
les explications trop générales mettant, par exemple, en avant
l'égoïsme des hommes vis -à-vis des femmes, des adultes
vis-à-vis des enfants, des catégories sociales supérieures
par rapport aux inférieures. Elles reflètent surtout la
subjectivité des observateurs.
Une bonne illustration de la relation entre interdits et
croyances diététiques positives est fournie par le traitement des
enfants malades de la rougeole en Afrique occidentale. Au
Sénégal, l'enfant malade est soumis à un interdit portant
sur les aliments riches en protéines et en graisses. Il ne reçoit
pas non plus la boule de mil quotidienne, mais une bouillie
légère de mil additionnée de la pulpe de fruit de baobab.
Ce régime est maintenu tant que l'enfant a de la fièvre. Il est
évident que, poursuivi sur une longue période, il contribue
à l'affaiblissement du malade et à sa vulnérabilité
aux complications pulmonaires, par exemple. En réalité, cette
pratique, irrationnelle à nos yeux, se justifie sur le plan
traditionnel :
Par le désir de ne pas affaiblir un organisme
fatigué en lui imposant un travail de digestion jugé
pénible - en effet, la boule de mil, accompagnée d'une sauce
épicée et d'aliments protéiques de fraicheur discutable,
apparaît indigeste ;
En fournissant à l'enfant un aliment consubstantiel qui
ressemble au lait maternel. Beaucoup d'interdits alimentaires accompagnent de
régime prescrits. C'est ainsi que si, au Sénégal, la
femme enceinte doit s'abstenir d'aliments épicés et de
condiments, elle est en revanche considérée comme ayant deux
personnes à nourrir. Elle voit son emploi de temps allégé
et son époux accepter de débourser un peu d'argent pour
satisfaire ses envies (qui risqueraient de se traduire par des taches sur le
corps de l'enfant à naître). On lui recommande aussi de consommer
du lait caillé, de l'huile de palme, de la viande et du beurre dans
l'aliment de base.
Certains messages de prévention en santé
infantile vont complètement à l'encontre des interdits
alimentaires, qui sont des protections populaires. Il existe en effet des
représentations spécifiques liées à la petite
enfance : en Afrique, une femme enceinte ne doit pas manger de viande rouge
pour éviter l'hémorragie à l'accouchement, elle doit aussi
éviter la banane pour ne pas « avoir d'enfant mou », certains
fruits acides donneraient un enfant coléreux...Les populations
n'adhèreront pas à un programme si de nombreuses pratiques de
prévention magico-religieuses ne peuvent pas être
appliquées car jugées non conformes aux normes sanitaires
modernes.
4.2.3 Les techniques
endogènesde prévention de la malnutrition
La malnutrition dans le district de santé de
Guéré n'est pas seulement perçue comme une carence dans
l'alimentation d'un enfant ; l'on pense qu'elle peut provenir des mauvais
esprits ou du mauvais fonctionnement de l'organisme humain. Ainsi
procède t-on par ablation ou au port des fétiches pouvant
prévenir la maladie en général et la malnutrition en
particulier
Ø L'ablation de la
luette
La luette est un appendice charnu qui pend au milieu du voile
du palais, à l'entrée de la gorge et qui contribue à
fermer la partie nasale du pharynx lors de la déglutition ou
l'articulation des paroles. De nombreux peuples dans le district de
santé de Guéré pensent que cet organe est souvent cause de
maladie chez les enfants. C'est pourquoi, l'on procède à son
ablation pour soulager l'enfant de cet appendice. Ainsi, Pour ED5 de 45 ans
environ et forgeron de profession,
«La luette est la première cause de maladie
des petits enfants. Il faut la couper dès que l'enfant a 3 mois sinon
c'est dangereux. Il va toujours vomir parce que cela dérange sa gorge.
Il ne peut pas avaler parce que ça bouche la gorge. C'est comme la
circoncision, si un garçon n'est pas circoncis, il n'est pas un
homme.»
Cette ablation est devenue ainsi une norme
générale obligeant chaque parent à exciser la luette de
tous ses enfants.
Ø Le port du
talisman
Dans le district de santé de Guéré, la
malnutrition est une maladie qui n'est pas dépouillée de son
caractère « diabolique » poussant les malades vers des
traitements inefficaces, générateurs d'aggravations
sévères, parfois irréversibles. Ce caractère
diabolique provient d'une interprétation traditionnelle : le gros ventre
de l'enfant serait en fait un sort jeté à l'aide
d'uneflèche empoisonnée. La grosseur de la tête de l'enfant
est alors le signe de l'installation du sort. Pour s'en défaire, il faut
se tourner vers le tradithérapeute. Cette interprétation de la
maladie est plus vivace dans les zones rurales les plus reculées
où les populations ont moins accès aux informations sanitaires.
Pour se soigner les malades vont se remettre à un système de
proximité, le recours est la conséquence d'une demande de
conseil au voisinage, à la famille ou aux amis. Si le symptôme est
perçu au départ comme « diabolique », ils se tournent
vers la médecine traditionnelle. Seulement d'échecs en
échecs, le temps passe et lorsqu'ils se rendent à
l'hôpital, et trouvent le bon service, il est souvent trop tard. Alors
à la mauvaise référence, s'ajoute la complexité des
multiples recours qui, n'assurant pas les meilleurs traitements pour un
épisode morbide, coûte cher à la personne. Pour ED7 jeune
femme peuhle de 17 ans et mère de deux enfants tous soufrant de
malnutrition,
«Le talisman est protecteur contre toutes les
maladies. Il y a beaucoup de méchants dans ce village et c'est pour cela
qu'il faut toujours attacher ces gris gris. Je ne peux pas vous expliquez
davantage le rôle de chaque talisman. Vous êtes un
étrange.je suis fatiguée car je sors de très loin, j'ai
déjà fait le tour de tous les hôpitaux si c'est ça
que vous voulez savoir. Tout mon argent est fini pour ces enfants. Voici six
différents marabouts qui sont venus faire des scarifications et planter
les choses dans la concession. Cet enfant a été
empoisonné. Son ventre gonfle, je ne comprends .... (Elle s'est
mise à pleurer) ».
Ø La
crête
Au quartier Sirataré à Yagoua, nous avons
observé que plusieurs enfants de moins de cinq avaient une coiffure de
crête et plusieurs talisman autour de la taille et au cou. D'autres
enfants avaient en plus de cela de petites ficelles garnies à chacune
des chevilles. ED8, 26 ans, une des mères d'enfant observé que
nous avons par la suite interrogé nous renseigne que
« La Crète est une tradition ancestrale. Un
enfant ne doit pas être complètement coiffé car on risque
exposer le milieu de sa tête. Elle est très fragile et c'est
là que passe les maladies. Nos mamans l'ont toujours fait et nous
continuerons à le faire. On rase complètement les cheveux d'un
garçon le jour de sa circoncision. »
En effet, les parents pensent que la crête constitue un
paravent contre les maladies et la fontanelle est l'une des principales portes
d'entrée des maladies. Sur le plan scientifique, il est difficile de
comprendre cette prise de position car le corps humain a des orifices plus
béants que ce petit cercle du milieu de la tête à travers
lesquels les maladies peuvent se retrouver dans l'organisme. La bouche, le nez,
les oreilles, l'anus et les organes génitaux sont des parfaites portes
d'entrée mais les croyances endogènes nous renvoient plutôt
à cette partie de la tête.
Ø Le rôle des
pièces d'argent et couteau dans la prévention de la
malnutrition
L'étude des itinéraires thérapeutiques
peut aussi être intéressante pour comprendre les comportements
préventifs. Il est difficile de mettre en place des actions de
prévention basées sur les premiers symptômes d'une maladie.
Dans nombre de pays, pour des raisons d'ordre économique et pratique, la
première réaction devant la manifestation des premiers signes de
la maladie est l'observation. Le malade se donne le temps d'observer
l'évolution de la pathologie, considérant que la santé, ou
du moins la consommation du bien de santé est une lourde charge en
termes d'argent mais aussi de temps consacré. Plus exactement, on ne
consulte pas, tant que les signes et symptômes de la maladie ne sont pas
aussi significatifs.
« Lorsque l'enfant dort, il faut toujours mettre
quelques chose sous son oreiller. Un petit couteau, une pièce de 5 ou 10
francs. Sinon il va faire des cauchemars et risque être
dérangé par les sorciers. Il ne va pas prendre du poids et sera
toujours frêle. Pour le moment, je n'ai pas de problème, il n'a
que quelques problèmes de toux et fait une diarrhée. C'est
normal, il grandit et c'est la saison de la toux.je sais comment traiter
ça à la maison.» Nous confie ED5 d'ethnie peuhle et
habitant la ville de Yagoua
Dans telles situations, il est important de sensibiliser les
mères d'enfants sur les risques de blessures auxquelles l'enfant est
exposé puisqu'il a des mouvements non contrôlés. Il peut
facilement se blesser si le couteau est directement en contact avec son corps.
Les objets tranchants doivent être emballés ou mis dans leurs
étuis.
De plus, on ne fréquente pas de structure de soins tant
qu'on est en bonne santé (même si le soin est gratuit, le temps
d'attente est un temps non consacré à la recherche d'argent). Des
entretiens approfondis avec des mères dans différentes zones
culturelles montrent qu'elles ont une perception du bien être des enfants
radicalement différentes de celle qui sous-tend les pratiques de suivi
de la croissance et du développement normal de l'enfant. Ainsi, dans de
nombreuses cultures, c'est l'absence de maladie combinée à
l'embonpoint (un enfant fort serait un enfant solide) qui atteste de la bonne
santé, de la croissance et du développement normal de l'enfant.
Pour les mères, l'acquisition de la marche et le passage à
l'alimentation sont les étapes fondamentales de la croissance et du
développement. L'importance de ces étapes et les comportements
qui y sont associés (interdits alimentaires, protections magico
religieuses) indiquent que les mères souhaitent la prise d'autonomie la
plus rapide possible de l'enfant. Ce sont ces deux étapes (marche,
alimentation adulte, et aussi peut être la parole) qui sont leurs indices
de bonne croissance et de bon développement. Pour (Jaffré
2012),une recherche en Afrique de l'Ouest montre que, si les formes
sévères de malnutrition (marasme et kwashiorkor) sont bien
perçues comme un problème, les différentes formes de
malnutrition, chronique, modérée ou légère sont en
revanche perçue comme un état normal de l'enfant ; quand un
problème est perçu (formes sévères) par les
parents, ceux-ci le pensent rarement en termes de maladie liée à
la nutrition. L'étiologie locale diffère significativement du
paradigme biomédical, les causes étant naturelles,
supranaturelles ou liées à des désordres sociaux. Aucune
relation n'est établie entre malnutrition et l'alimentation de l'enfant.
Ces perceptions influencent largement les itinéraires
thérapeutiques puisque pour certains cas, la malnutrition pourra
être interprétée comme une attaque supranaturelle, et ce
seront les marabouts qui seront les premiers concernés.
Ø Les
scarifications corporelles
Les scarifications ne sont pas des pratiques anodines, elles
véhiculent des nombreux messages qui varient d'un peuple à un
autre. Dans le Mayo-Danay, les scarifications sont des pratiques qui existent
chez les Massa, les mousgoum, les musey et les Toupouri.
Ø Les scarifications chez les enfants Massa et
Moussey
Les parties du corps qui subissent les incisions sont le
front, le dos, le ventre et le cou. Cette opération qui était
récurrente avant les années 1960 consistait à inciser
légèrement la peau et avait plusieurs fonctions qui sont à
la fois esthétique et protectrice variant en fonction du sexe et de
l'âge. Les scarifications sont des pratiques séculaires. Elles
sont réalisées sous deux formes de traits appelées Djira
et celles sous forme de pointillés appelés Toumma. Ces deux
formes sont constituées de plusieurs motifs : les motifs en zigzag,
en « X » et en guillemets. D'autres sont en traits
parallèles et en pointillés. Le choix de chacun de ces motifs
varie en fonction des parties du corps:
Dans la société Massa, les enfants subissaient
aussi les scarifications. Celles-ci jouent un rôle protecteur. Elles
étaient réalisées à l'avant bras sous forme de
traits parallèles et généralement au nombre de deux.
D'autres sont réalisées sur les joues pour soigner certaines
maladies des yeux. Elles permettent d'insérer les remèdes
(tisane, écorces, sève) pour faciliter la guérison. Les
jeunes enfants de sept à dix ans étaient scarifiés avant
l'initiation. Les garçons étaient privilégiés
pendant cette période (février à avril). Le scarificateur
était soit invité par les parents de l'intéressé ou
s'y rendait à son poste de travail. « Le temps de
l'opération ou de l'incision est bien déterminé. Pour
éviter les brulures et l'infection des plaies, les scarifications
s'effectuaient dans la matinée et dans la soirée. »
Chez les adolescents, en plus du rôle protecteur, les
scarifications jouaient un rôle esthétique. Chez les Massa
l'adolescence est la période pendant laquelle les jeunes Massa
pratiquent le Gourna. C'est le moment où le garçon et la fille
ont un ou une partenaire. Ce qui pousse l'adolescent à se scarifier pour
exprimer sa beauté.
Ø Les scarifications chez les
Toupouri
Les scarifications ne sont pas l'apanage du peuple Massa.
Elles se réalisaient s également chez les Toupouri. Pour
l'exécution de toute tâche, le scarificateur utilisait une lame
fabriquée par le forgeron. Cette lame est plate avec de petites dents en
tenaille qui sert à inciser certaines parties du corps. Les parties du
corps qui subissent les scarifications étaient la poitrine, le ventre,
la tête, avec des motifs qui partaient du ventre et remontaient vers la
poitrine pour s'achever au -dessus de celle-ci en forme de
« V » ou de « X » en son
milieu ».
Chez les Toupouri et les Massa, les enfants se font
scarifier pour se protéger contre le Fona qui est une sorte de
sorcellerie. Selon les déclarations de Hamana «Lorsqu'une
personne est atteinte par cette sorcellerie, le premier remède c'est
d'abord les scarifications aux bras et au front ». Ceci permet
d'éviter le mauvais esprit d'emporter la personne. Les motifs
utilisés ici sont des traits verticaux seulement.
Ø Les scarifications chez les
Mousgoum
Ce peuple est voisin aux Massa. On les retrouve dans le Nord
du département du Mayo-Danay dans les localités de Maga, Pouss,
Doreissou, Girvidig. Tout comme les Massa et les Moussey, les Mousgoum
pratiquaient les scarifications. C'est ce qu'ils appellent Array Zibizi. Les
motifs les plus récents étaient les trais interrompus, sous forme
de « V » et « X ».
Les scarifications chez les enfants ont pour finalité
leur protection contre les mauvais esprits. Elles jouent aussi un rôle
important dans le domaine sanitaire. Les motifs sont choisis par le
scarificateur lui-même ou les parents de l'enfant à scarifier.
«Les produits de cicatrisation étaient presque
identiques dans le Mayo-Danay et dans le Mayo kani. Il s'agit de la sève
de bois, la terre extraite derrière les marmites, l'huile d'arachide et
de beurre provenant du lait»
Les scarifications chez les Mousgoum sont des signes de
distinction sociale. On identifiait un Mousgoum à travers les balafres
qui sont de longs traits verticaux incisés sur les joues. Ces traits
quittaient de la chevelure jusqu'au menton. Ces balafres sont uniquement
réalisées chez les hommes. D'autres traits étaient
réalisés au niveau du front. Ceux-ci étaient moins longs.
Le buste était aussi scarifié de nombreux pointillés. Les
scarifications chez les femmes sont localisées au niveau du ventre.
Celles-ci sont en forme de zigzag ; de carré, de
« V » et de « X ». Ces scarifications
véhiculent plusieurs messages. Chez les femmes, elles symbolisent la
fécondité, le courage.
Ø Les scarifications chez les Peuls
Les Peuls sont les pasteurs de la région
sahélienne. Ils se repartissent dans une quinzaine de pays de l'Afrique
de l'Ouest. On les trouve également en Afrique centrale et au Soudan.
Ils sont majoritairement musulmans. Leur dispersion et mobilité ont
favorisés les échanges avec d'autres populations. C'est ce qui a
poussé certains d'entre eux à pratiquer les scarifications. Dans
le Diamaré, le groupe ethnique peul qui réalise cette
opération est le Ngara qu'on trouve chez les peuhls originaire de
Pété et à Bogo. Ce peuple réalisait des traits
verticaux sur le visage, seule partie sacrifiée du corps. C'est ce qui
fait leur particularité par rapport aux autres ethnies telles que les
Massa, les Mousgoum... qui sacrifient en plus du visage, le ventre, la poitrine
et le dos. Ils effectuent huit à neuf balafres sur leurs joues
appelés en langue foulfouldé Yarodé. Les scarifications
chez les Peuhls Ngara jouent le rôle esthétique et concernent les
enfants, les femmes et les hommes.
Ø Les scarifications chez les
Guiziga
Les Guiziga sont un peuple de l'Extrême-Nord du Cameroun
dont un grand nombre se trouve dans le Département du Diamaré.
Ils pratiquent à l'instar d'autres peuples tels que les Moussey, les
Mousgoum les scarifications. Celles-ci se réalisaient selon Yada Otniel
«sous une forme constituée de motifs en traits
verticaux et horizontaux qui varient selon la partie du corps sur laquelle ils
sont réalisés ». Toukour, un autre informateur
affirme que « les Guiziga connaissent deux motifs de
scarifications qui sont les Tchir et les Tchir
némémédé ».
Le premier motif désigne les scarifications qui sont
réalisées sous forme de grands traits sur le visage et sur
d'autres parties du corps tel que le bras et le cou. Les Tchir
némémédé quand à eux sont de petits traits
réalisés au niveau de la poitrine et du ventre.
« Les scarifications étaient
réalisées avant la conquête Peule du XIXème
siècle avec des pierres taillées. Ces matériaux ont
étés remplacés un siècle plus tard par des lames
importées et des couteaux fabriqués localement par les
forgerons».
Le scarificateur utilisait ces matériaux pour
exécuter sa tâche qui consistait à inciser le corps afin
d'avoir les cicatrices. Ces dernières véhiculent plusieurs
messages. La première fonction de ces incisions était
l'esthétique. Les scarifications représentaient
généralement des marques identitaires chez les Guiziga car ces
traits issus des incisions faites sur certaines parties du corps les
distinguaient des autres peuples. Elles permettaient aussi aux Guiziga
d'échapper aux esclavagistes. C'est ce qui pousse Hadam à
dire : « Les hommes scarifiés échappaient aux
esclavagistes. Ceux-ci ne les capturaient pas, car les balafres sur les joues
des hommes étaient considérées comme un signe de laideur
et de barbarie ».
4.2.4 La relation
«personnel de santé-parents » : un espace
conflictuel ?
Les relations entre soignants/patients ou l'accueil au niveau
des services de santé peuvent influencer les recours
thérapeutiques des usagers.
Selon les enquêtés, la longue attente pour
bénéficier de la prestation au centre de santé est un
facteur qui ne favorise pas le recours aux soins : « Parfois on arrive
au centre, on reste longtemps et on n'a rien. On va dire, le pèse
bébé est gâté ou les vaccins sont finis »,
FGD à Gobo.
Il y a aussi le déficit de communication entre les
personnels de santé et les usagers. Selon certaines femmes
rencontrées, outre les difficultés financières, la
mauvaise qualité de l'accueil et des soins est un des points
d'achoppement entre usagers et prestataires de soins.
« Les infirmières n'accueillent pas bien les
usagers. Elles parlent mal, surtout lorsque les enfants ne sont pas bien
habillés ou si nous avons manqué une ou deux pesées, alors
que parfois il n'y a pas d'argent pour cela. Parfois elles ne consultent pas.
Moi par exemple, j'ai fait une seule consultation, car je n'avais pas d'argent
pour faire les examensFGD à Gobo.
« Au dispensaire aussi, les femmes nous regardent
comme si nous sommes n'importe qui », jeune fille, focus group
Gobo
La gestion de la confidentialité a été
évoquée par les enquêtés : certaines personnes
remettent en cause la confidentialité du côté du personnel
de santé. « On n'a pas toujours confiance aux agents de
santé. Ils parlent trop », jeune fille, focus Lara. Le centre
nutritionnel de Lara est fréquenté aussi bien par des femmes
adultes que de jeunes filles. Le recours au centre nutritionnel devient un
problème surtout lorsque la jeune fille n'est pas mariée. Il y a
la peur ou la honte de rencontrer des personnes connues de l'environnement
social ou familial ou par rapport à l'âge de ces personnes. «
Parfois aussi, quand on n'arrive, on voit des tantines qui nous regardent
bizarrement. Parfois on est gênée, surtout si vous êtes dans
le même secteur », jeune fille, focus Gobo
Ces représentations sociales qui empêchent les
jeunes de recourir aux soins, montrent bien la nécessité de
développer des services adaptés aux jeunes.
Accessibilité économique. Les
enquêtées ont mentionné le coût élevé
de certaines prestations de santé infantile (exemple, les carnets de
santé abandonnés au centre de santé pour non paiement).
« Aller au dispensaire c'est bien, mais on n'a pas d'argent pour
acheter les médicaments. On cherche à manger. Les hommes ne
veulent pas donner l'argent pour acheter les produits aux enfants
»,FGD à Gobo.
Accessibilité géographique. La distance
à parcourir n'est pas toujours importante. La difficulté majeure
est la disponibilité des points de pesées des enfants.
« On peut parcourir aussi une distance importante et on nous dit qu'on
est arrivé en retard. La pesée est finie il faut attendre le mois
prochain. » Femme de Guiriou. D'après les
informateurs, la distance n'est pas un problème très important
dans la recherche des soins. « Il y a des vélos et les moto
clandos, mais l'obstacle majeur reste les moyens financiers ».
A Bougoudoum ED4 est une femme Massa de 35 ans environ et
habite à quelques mètres du centre de santé mais
préfère garder son enfant malade à la maison car
« Ce centre de santé est maudit. Les
enfants y meurent tous les jours surtout en saison des pluies. Il y a un
infirmier là-bas qui pique très mal les enfants. Je connais tous
les lits de ce centre et sur chaque lit est déjà mort quelqu'un
que je connais. Je ne veux pas que mon enfant meure. »
Malgré les moments peu conviviaux établis, les
agents de santé et les autres personnes qui conseillent les responsables
d'enfants en matière d'alimentation des enfants devront examiner les
indicateurs suivants et encourager les familles à adopter les styles ou
méthodes d'alimentation active afin de nourrir un enfant :
· Les responsables d'enfants ou les mères
devront nourrir l'enfant en fonction de son âge et de ses aptitudes.
Vérifier: Est-ce que l'enfant peut manger avec ce qu'il a (par exemple
les doigts, la cuillère, une tasse spéciale) ? Les ustensiles ou
les méthodes utilisées pour aider un enfant à manger
doivent être appropriés. L'enfant ne mangera pas suffisamment si
la cuillère est trop grande, si le bol n'est pas adapté, si la
nourriture est trop liquide ou s'il ne peut pas attraper la nourriture ou alors
il mange en groupe avec les autres enfants de la maison comme nous l'avons
observé partout. Une femme Moussey de Gobo,ED7 32 ans du quartier
koromba dit
« Si un enfant est habitué à
manger seul dans son plat, il deviendra chiche et ne partagera pas ses choses
avec ses amis. C'est moi sa maman qu'on va accuser. Les gens diront que j'ai
mal éduqué mon fils. C'est pour cela qu'il doit toujours manger
avec ses frères même s'ils finissent toujours la nourriture avant
lui. On veille souvent que les plus grands laissent quelque pour les plus
petits dans les plats. S'il a faim, je garde toujours quelque chose dans la
marmite pour lui. Je ne sers pas toute la nourriture.il faut garder pour
l'enfant. »
· L'alimentation doit répondre à la
demande ou à l'intérêt que l'enfant manifeste vis à
vis de la nourriture. Demander: Est-ce que le gardien de l'enfant est attentif
aux signes d'intérêts de l'enfant vis à vis de la
nourriture ? Comment arrive-t-il à bien capter ou à
reconnaître les signes indiquant les manifestations de la faim chez
l'enfant comme les gestes, le mouvement des yeux ou les bruits. Le gardien de
l'enfant ne devra pas attendre que l'enfant soit énervé ou qu'il
pleure. Certains responsables d'enfants ne nourriront uniquement l'enfant qu'en
fonction d'un cycle horaire ou penseront que l'enfant doit apprendre à
avoir faim. Si cette attitude peut sembler appropriée pour des enfants
de plus de 2 ans, elle ne peut convenir à des enfants plus jeunes qui
ont besoin d'avoir une alimentation plus fréquente et donnée avec
attention.
· Les responsables d'enfants et les mères
devront encourager l'enfant à manger davantage après chaque repas
même s'il/elle n'a plus envie de manger, en le prenant dans leurs bras,
en souriant et en jouant avec lui et en lui donnant des récompenses s'il
mange davantage. Mais forcer l'enfant à manger (en le tenant de force ou
en lui pinçant le nez pour l'obliger à ouvrir la bouche et en
versant ou en introduisant de force la nourriture dans sa bouche) est
absolument dangereux et à bannir.
Ce premier échange conditionne souvent la suite,
l'éventuelle consultation ultérieure. Il arrive trop souvent que
le malade se décourage devant la non-réponse de cette
première consultation. Le renouvellement de l'échec aboutit
à l'instauration d'un doute quant à l'efficacité du
médecin et peut aller jusqu'à une désaffection de
l'institution hospitalière. Le malade qui a mis tous ses espoirs sur la
médecine moderne et qui n'obtient pas de résultats tangibles sans
en comprendre les causes car ne recevant pas d'information, va petit à
petit se décourager, et va se tourner vers d'autres praticiens, d'autres
médecines : « le docteur ne m'a pas enlevé le mal
».
La relation soignant/soigné est donc très
importante dans le processus de soin, ainsi que l'accueil des familles, car
cette relation influencera sans aucun doute la confiance et le sentiment
d'efficacité du soignant mais aussi du programme et donc l'utilisation
des services de santé.
« Les femmes ne nous font pas confiance, elles
partent toujours au marché acheter les médicaments, puis vont
chez plusieurs marabouts avant de venir nous voir. Pendant qu'on donne le
traitement à l'enfant le marabout donne aussi sa part de
médicaments en cachette. Nous avons toujours les problèmes avec
eux. Les femmes disent qu'on les gronde alors que c'est
faux. »Nous dit ED6, un infirmier au centre de
santé privé catholique de Gobo
On peut estimer que les savoirs profanes en santé
correspondent à l'ensemble des représentations que chacun
développe sur la maladie, la santé, le soin. La personne malade
va posséder l'expérience de différents états et
symptômes, tels que la diarrhée, les vomissements, elle va
connaître l'importance de l'alimentation. Sur ces symptômes qui
s'expriment à l'intérieur du corps de manière confuse, le
savoir profane, privé de l'appui de connaissances biomédicales va
pallier ce manque par la description précise du ressenti de la maladie.
Le « langage des maux » ou langage des symptômes, décrit
dans chaque culture, les souffrances, anomalies, signes, troubles, souvent en
associant un endroit du corps (l'organe supposé être
affecté) à une sensation : avoir mal à la tête,
avoir mal au coeur ou encore la maladie du cou raide pour la méningite,
de la jambe morte pour la poliomyélite. On voit par ces exemples que les
représentations populaires se basent en général sur les
diverses visibilités immédiates qu'offre un corps malade.
Dans leurs consultations, les soignants se heurtent tous les
jours à ces affirmations populaires qui ont une influence
insoupçonnée sur les motivations ou les résistances des
malades. Ce savoir profane ne correspond pas en général avec
celui de la médecine, débordant par excès ou défaut
: les populations vont interpréter divers symptômes comme autant
de maladies à part entière. D'un autre côté,
là où la biomédecine va diagnostiquer selon les cas des
pathologies gastriques, intestinales, gynécologiques, les
représentations populaires peuvent y construire une seule maladie.
L'interprétation va regrouper ces symptômes visibles, qui semblent
être de même nature par leur forme ou leur consistance. Les
populations pourront parler de « la maladie qui provoque des boules »
et englober sous ce nom une hernie, une tumeur, des hémorroïdes.
Cette dissonance explique des itinéraires thérapeutiques
privilégiant le populaire aux dépends du biomédical pour
certaines maladies, où le rapport traitement/maladie n'est pas
évident aux yeux des malades (maladies chroniques par exemple).
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