2. La coopération culturelle comme tentative de
réconciliation
La coopération qui s'est mise en place au lendemain des
indépendances a été rendue possible par l'évolution
des rapports internationaux. Elle est le produit de la mutation des rapports
entre la France et son ancienne colonie. Après l'indépendance, le
Maroc a mené une politique extérieure ambigüe, recherchant
un équilibre entre un positionnement en faveur de l'Occident et un
engagement plus revendicatif. Partisan de la double culture (bilinguisme),
l'ambition du Maroc était de se situer en l'Occident et l'Orient.
Soucieux de parfaire son indépendance politique par une
élimination des contraintes et de dépendances économiques,
le Maroc a accepté la politique de coopération technique et
culturelle. La pauvreté a été un champ de lutte
prioritaire pour les pouvoirs car celle-ci était
considérée comme la plus grave des humiliations parce qu'elle
place les nations en position de faiblesse. Il a donc été
question d'accepter une forme de dépendance pour en résorber une
autre ce qui fut et est toujours une source de tensions que Mongo Beti
dénonce dans son travail de recherche. « C'est-à-dire
que l'Afrique n'a pas plus choisi la coopération franco africaine,
fondée sur de prétendus liens spéciaux, qu'elle n'avait
choisi la colonisation jadis ; elle lui a été imposé dans
l'environnement schizophrénique de la guerre froide.11
» Un paradoxe semble effectivement être soulevé puisque le
mot « coopération », dérivé du latin «
co-operare » signifiant oeuvrer, travailler ensemble, est
censé renvoyer à un rapport au sein duquel les individus
conduisent leurs relations et leurs échanges d'une manière non
conflictuelle ou non concurrentielle. Si les objectifs du Maroc étaient
de combattre la pauvreté et de mettre l'accent sur le système
scolaire, perçu comme l'instrument clé de transformation des
sociétés, l'enjeu final restait le même que durant la
colonisation, la quête de l'indépendance.
Du côté français, toute la sphère
politique était mobilisée afin d'atteindre les objectifs de
développement des « pays du champ » (c'est-à-dire les
pays ayant acquis leur indépendance dans le cadre de la
décolonisation) lancés par le général De Gaulle qui
créa en 1959 le ministère de Coopération (fusionné
avec le ministère des Affaires Etrangères en 1999). Quatre
cercles interviennent dans le processus d'élaboration de la politique
publique de coopération. Celui par lequel tous les décisionnaires
transitent, le Président de la République, son cabinet, le
ministère des Finances ; l'ensemble des administrations
11 Mongo Beti, La France contre l'Afrique.
Ed. La Découverte, 2006, p.151
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sectorielles qui interviennent lorsque leur secteur est
concerné ; les partenaires extérieurs de l' État :
syndicats, organisations professionnelles, associations, entreprises publiques
et privées ; et l'ensemble des organes politiques (Parlement),
juridictionnel (Conseil Constitutionnel, Conseil d'Etat, Cour des Comptes) qui
peuvent intervenir dans la décision.
La coopération entre collectivités territoriales
marocaines (communes, communautés urbaines, provinces et régions)
et collectivités françaises (villes, départements,
régions et structures intercommunales) est également mise en
place via le Service de Coopération et d'Action Culturelle (SCAC) de
l'ambassade de France qui élabore et conduit la politique de
coopération culturelle et d'aide au développement. Le SCAC a pour
mission de soutenir la conception, l'étude et la réalisation de
projets de coopération entre la France et le Maroc. Ses domaines
d'intervention sont la culture et la langue, l'université et la
recherche, la technique et la gouvernance et l'enseignement français.
Cette coopération est également entachée du sentiment amer
exprimé entre autre par Mongo Béti, d'être politiquement
intéressée. Dans son livre, il remet en cause le fait que
l'Afrique ait véritablement eu besoin d'être aidée et
dénonce les politiques françaises qui créeraient des
actions dites de développement sans se soucier des valeurs humaines mais
en souhaitant s'imposer sur l'échiquier politique international, ayant
perdu le statut de colonisateur. « Au commencement était le
politique, non le développement. Le développement a fort peu
mobilisé les esprits de la coopération francophone
institutionnelle jusqu'à ce que, vers la fin des années
quatre-vingt, la protestation contre la misère des africains,
scandaleuse dans un monde où l'enrichissement des peuples semble un
phénomène normal, commence à gronder de partout à
travers la planète, obligeant enfin Paris à inventer à la
hâte une doctrine qu'il n'avait jamais eu »12.
Comment unifier le monde moderne lorsque les pays
entretiennent entre eux un tel rapport dominé/dominant ? Le poids du
passé peut-il se voir alléger par de nouvelles politiques d'aides
ou sera-t-il définitivement au coeur de toutes les actions, les rendant
ainsi inutiles ? La France semble avoir choisi le parti pris des tentatives de
réconciliation politique en tentant de mettre en place des
coopérations décentralisées basées non plus sur une
aide unilatérale mais sur des échanges de savoir-faire, comme le
jumelage.
12 Mongo Beti, La France contre l'Afrique. Ed. La
Découverte, 2006, p.171
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