C. La réception des publics comme outil
d'analyse
La question de l'évaluation des activités
relevant de la politique publique est déjà difficile en soi. Elle
est encore plus délicate à maîtriser quand il s'agit
d'activités relevant des arts et de la culture car elles touchent
à des notions subjectives et souvent inquantifiables. Dans le domaine
culturel, bien que les questions de finalités ou d'objectifs soient
souvent sous estimées dans la relation entre décideurs publics et
acteurs, la complexité croissante des activités publiques et leur
imbrication dans des systèmes de réseaux mondialisés font
de l'évaluation un passage de plus en plus nécessaire afin de
recevoir des subventions. Dans le cas du projet « Regardons nous grandir
», les fondations (Elle et GDF Suez) qui le subventionnent ne
réclament pas ou très peu d'évaluation de la part de la
compagnie Art dans le jardin. Bien qu'il faille redemander une subvention pour
chaque phase du projet (trois fois en tout), les questions concernant le suivi
de projet se contentent de réponses quantitatives comme par exemple le
fait qu'Art dans le jardin ait créé une pièce de
théâtre à partir des textes des jeunes marocaines.
Qualitativement, la
46 Pascal Blanchard, op. cit
46
compagnie affirme par exemple dans son évaluation avoir
agi sur le désir d'émancipation des publics présents
à la MdFM lors de la soirée de projection. Peut-on mesurer
l'impact d'un projet en fonction du nombre de personnes qui se sont
déplacés pour le voir ? Qui étaient ces publics
présents à la MdFM le 12 juin 2014, quelles étaient leurs
attentes, qu'ont-ils retiré de cette expérience culturelle ? Afin
de tenter de répondre à ces questions, la mise en place d'une
enquête à distribuer le soir de la projection a été
nécessaire. Elle a pu être réalisée en partenariat
avec la présidente de la MdFM qui a partagé ses connaissances
à propos de ses publics, afin de créer un questionnaire le plus
logique possible.
1. Les publics cibles
La MdFM n'a jamais mis en place un référentiel
de ses publics, c'est donc au cours d'un entretien avec la présidente de
l'association qu'il a été possible de les déterminer dans
leurs grandes lignes47. Tout d'abord, le public de la MdFM est
différent en fonction des horaires. La journée il s'agit
principalement de femmes en situation de précarité qui viennent
chercher des conseils juridiques ou de femmes d'origines
étrangères qui assistent aux cours d'alphabétisation
proposés par l'association. Le soir, l'entrée est
autorisée aux hommes qui restent une minorité à franchir
les portes de la Maison. Le public le plus présent en composé de
femmes d'un milieu social assez aisé qui se revendiquent comme
étant des féministes. Il s'agit donc d'un public militant,
habitué des sorties culturelles. La dichotomie entre le public dit
d'habitués et celui composé par les femmes d'origines
étrangères socialement moins aisées, relève d'une
vision relativement caricaturale. Cependant, il s'agit schématiquement
des deux publics que la présidente de la MdFM espérait voir lors
de la soirée de projection de la première partie du projet «
Regardons nous grandir ». C'est pour cela que la construction du
questionnaire a été réalisée autour de ces deux
publics cibles.
2. Outils méthodologiques
Le choix méthodologique a été
déterminé par l'objet d'étude et par la population. En
effet, il semble nécessaire pour trouver les outils pertinents pour
appréhender son objet
47 Roselyne Rollier, entretien réalisé
le 28 mai 2014 à la MdFM
47
d'étude, de se confronter régulièrement
avec le terrain étudié afin de tester la faisabilité.
C'est pourquoi plusieurs visites à la MdFM ont été
nécessaires, tant en journée qu'en soirée.
L'outil48 a ensuite été construit de manière
à être adapté aux deux groupes étudiés d'un
niveau de langue différent puis il a été validé par
la présidente de la MdFM. Le questionnaire, écrit sur une double
page, devait être visuellement accessible pour les personnes ayant des
problèmes de vue. La langue utilisée est le français mais
ce questionnaire pouvait également être rempli sous forme de
question/réponse à voix haute si un problème de
compréhension se présentait. Il n'aura finalement pas pu
être utilisé lors de la soirée du 12 juin 2014.
3. Interprétation et résultat
Le soir de l'évènement à la MdFM, alors
qu'une soixantaine de personnes étaient attendues dans le public, une
vingtaine seulement étaient présentes. Parmi ces personnes, ni
public d'habitués, ni femmes du cours d'alphabétisation, mais des
proches des acteurs du projet culturel uniquement. Entre la famille des
salariés de la compagnie théâtrale, leurs amis et ceux de
la présidente de la MdFM, aucune personne extérieure ne se sera
déplacée ce soir-là. Distribuer le questionnaire
d'enquête a donc semblé être inutile, tant les
réponses obtenues auraient été modifiées par les
relations liant les sondés aux acteurs et partenaires du projet. Comment
expliquer cette désertion du lieu ? Pourquoi les publics cibles ne se
sont pas déplacés ? Selon la directrice de la
compagnie49, le problème viendrait de la communication.
Pourtant, entre l'affiche, les réseaux sociaux et les sites internet, la
soirée avait bien été annoncée. Quant à la
présidente de la MdFM, elle n'a pas su expliquer pourquoi le public
n'était pas au rendez-vous, s'excusant publiquement et déclarant
que la non venue du public était regrettable, « nous leur
proposions pourtant un sujet très intéressant50
». Finalement, cette phrase ne résumerait elle pas la force avec
laquelle la vision occidentale s'insinue dans un projet culturel transnational
? La culture, lieu de rencontre avec l'Autre, ne serait-il pas surtout un moyen
de se contempler soi ?
48 Questionnaire d'enquête de satisfaction,
annexe 4.
49 Nathalie Guisset, propos recueillis lors de la
soirée du 12 juin 2014 à la MdFM
50 Roselyne Rollier, discours tenu lors de la
soirée du 12 juin 2014 à la MdFM
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