Conclusion
A travers cette étude d'un projet culturel pensé
comme un outil d'émancipation féminine, il semble possible
d'affirmer qu'une certaine forme d'hybridation culturelle en découle. En
effet, conduire une action artistique sur un territoire aux codes
différents de ceux de ses acteurs peut être l'occasion de faire se
rencontrer deux cultures et visions du monde qui, ensemble, peuvent
déboucher sur une évolution des réflexions. Il est peut
être nécessaire de créer la rencontre de regards
différents pour prétendre à un désir de changement.
En cela, l'émancipation féminine ne serait pas un fantasme, et
les politiques culturelles seraient plus entachées d'une vision mondiale
et humaniste que d'une vision occidentale en opposition avec l'orientale.
Cependant, les politiques culturelles françaises
semblent également, inconsciemment ou non, reproduire une certaine forme
de domination culturelle entrant en résonnance avec les fractures
laissées par la colonisation. Le désir d'émancipation
féminine à l'égard du public marocain ne reposerait
finalement que sur la conviction que la France, en tant que pays plus
évolué, se doit de pousser les autres à reproduire son
propre modèle. Il s'agit d'une vision unilatérale de l'outil
culture plus que d'un esprit de coopération, l'Autre étant ainsi
régulièrement stigmatisé, et ce faisant, il
s'éloigne.
Cette réflexion ne reposant concrètement que sur
une étude de cas, il semble impossible d'en émettre des
généralités. Un travail plus approfondi, ouvert sur
d'autres structures effectuant des actions culturelles transnationales, devrait
être mis en parallèle avec ce résultat afin d'avoir une
vision plus complète, comme, par exemple, au sein d'une thèse.
Cependant, l'analyse de certaines pratiques ou phénomènes
collectifs contemporains montre, en tout état de cause, que les
hiérarchies inventées et mises en oeuvre durant la colonisation
ne relèvent pas du pur passé. Faut-il y voir un héritage,
c'est-à-dire une transmission directe et consciente ; un effet
persistant des systèmes symboliques ayant longtemps associé
l'infériorité et des couleurs de peau ; ou la conséquence
d'un long silence sur le passé ? Plutôt que de choisir, il est
plus sage et plus réaliste d'opter pour une multiplicité des
mécanismes qui, dans nos sociétés contemporaines,
maintiennent de l'inégalité et de la non-identification là
où l'égalité et la communauté des citoyens sont
affichées.
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De plus, la persistance des disparités associées
aux différences visibles est souvent renforcée par des
institutions et des pratiques qui, sous couvert de neutralité,
véhiculent la pensée de l'inégalité en «
recyclant » des cadres administratifs nés dans le contexte
colonial. Ces imbrications du passé dans le présent ont
désormais pris la forme d'une question politique qui a été
plusieurs fois débattue. Comment régler le passé ?
Qu'il faille absolument s'en souvenir ou aller au-delà,
qu'on en écrive l'histoire, qu'on en brandisse la mémoire ou
qu'on accepte d'en assumer la responsabilité collective, les politiques
culturelles sont de plus en plus confrontées aux revendications ou aux
souffrances des victimes ou de leurs descendants, à moins que les
gouvernements ne prennent d'eux-mêmes la décision d'affronter
leurs politiques passées pour s'en repentir. Pourquoi, en ce
siècle dit de l'unification du monde sous l'emprise de la globalisation
des marchés financiers, des flux culturels et du brassage des
populations, la France s'obstine-t-elle à ne pas penser de
manière critique la post colonisation ? Quelles sont les conditions
intellectuelles qui pourraient faire en sorte que la France devienne, un jour,
une véritable démocratie cosmopolite capable de poser en des
termes inédits, et pour le compte du monde dans son ensemble, la
question de l'avenir, de la démocratie à venir ?
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