2. Les populations immigrées en banlieue, un
théâtre colonial ?
Toujours selon l'historien P. Blanchard, la banlieue serait
ainsi devenue un « théâtre colonial où la
domination subie enferme dans des catégories générales et
des images dont il est quasiment impossible pour l'individu de s'extraire. Ces
mécanismes néocoloniaux ne sont peut-être jamais aussi
présents que dans les relations entretenues par les représentants
institutionnels avec les habitants des quartiers
sensibles44». Confronter en permanence les populations
d'origines immigrées à des projets concernant
l'émancipation serait donc voué à l'échec et
contribuerait à creuser le fossé imaginaire entre eux et le reste
de la société en leur faisant comprendre qu'ils ne sont «
rien que des personnes immigrées ». A cause de ce manque de
qualification positive, il serait impossible d'engendrer des forces
sociologiquement unificatrices et donc d'agir sur l'émancipation. La
ségrégation socio spatiale, ajoutée à l'exclusion
symbolique, renforce la représentation d'une population apathique,
phénomène que certains n'hésitent pas à qualifier
de « colonialisme interne 45».
Schématiquement, deux analyses s'affrontent. La
première consiste à dire que les projets culturels à but
émancipatoire risqueraient d'accentuer les phénomènes
d'exclusion. La demande unilatérale faite aux personnes
immigrées, constituées en public cible dans l'obligation de
s'émanciper, traduirait un mépris social, une dégradation
de la citoyenneté en civisme et civilité, une adresse à
des êtres incivils qu'il convient de remettre dans le
44 Pascal Blanchard, La fracture coloniale, la
société française au prisme de l'héritage
colonial. Ed. La Découverte, 2005, p.24
45 Pablo Gonzalez Casanova, Société
plurale, colonialisme interne et développement. Revue Tiers-Monde, tome
5 n°18, p. 291-295
45
droit chemin46. Le but étant le maintien de
la paix sociale. La seconde analyse, portée par les acteurs de ce projet
culturel, repose sur l'idée qu'une action culturelle transnationale peut
créer une émancipation sociale et politique. L'activation de la
dimension conflictuelle de la citoyenneté, le développement des
formes de contrepouvoir en démocratie, permettraient aux publics de
redéfinir leurs préférences individuelles dans le sens des
politiques via la délibération.
Face à cette confrontation des points de vue, il parait
impossible de poser un regard tranché sur la situation. Certes,
l'émancipation semble être directement liée à la
stigmatisation, le tout participant au paradoxe de la coopération
culturelle. Si l'émancipation semble être aussi dure à
atteindre au Maroc qu'en France, existe-t-il au moins des impacts permettant
aux acteurs de ce projet de réaliser un bilan ? L'action culturelle sur
laquelle nous nous basons dans cette étude finissant en 2015, nous nous
axerons spécifiquement sur la réception des publics lors de la
soirée de projection de la première phase du projet «
Regardons nous grandir » qui a eu lieu le 12 juin 2014 à la
MdFM.
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