2. Emanciper la femme, la nouvelle « mission
civilisatrice » ?
L'image de l'ensemble du secteur de la coopération
s'est construite autour de valeurs à visée universelle dont la
France s'est fait porte-parole. En effet, ce sentiment selon lequel la nation
française serait investie d'une « mission
civilisatrice34 » de propagation de ses valeurs culturelles
vers l'extérieur, est depuis longtemps profondément ancré
dans la conscience nationale. A. Salon le définit comme «
messianisme35» et A. Grosser comme « nationalisme
culturel36». Ce messianisme est étroitement lié
au rôle que la France entend mener dans le monde. La propension à
se penser comme porteur d'un message universel a été perceptible,
selon A. Salon, dès le XVIIème siècle, sous la forme d'un
messianisme catholique : « Face aux empires turc, russe, espagnol,
portugais, hollandais, voire anglais, la France fut alors la principale
puissance messianique ayant une projection intellectuelle et spirituelle hors
de ses frontières et à l'intérieur des autres empires et
puissances37». Elle
34 Dino Costantini, Mission civilisatrice, le
rôle de l'histoire coloniale dans la construction de l'identité
politique française. Ed. La Découverte, 2008
35 Albert Salon, L'action culturelle de la
France dans le monde : analyse critique, thèse pour le doctorat
d'Etat ès Lettres, Paris I Panthéon Sorbonne, 1981
36 Alfred Grosser, Affaires extérieures : la
politique de la France, 1944-1989, Paris, Flammarion, 1989
37 Albert Salon, op. cit, p.294
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fut le premier pays occidental à développer une
politique culturelle extérieure. A l'origine, presque toujours
portée par des acteurs privés et religieux, l'action culturelle
est devenue plus permanente et plus politique lorsque la prétention de
la France à incarner une sorte de civilisation novatrice s'est accrue.
La définition de l'essence même de cette civilisation a
évolué : l'image de la chrétienté a
été remplacée lors de la Révolution par celle des
droits de l'Homme et de la libération de la personne humaine de toutes
les formes d'oppression. Tout se passait comme si la France « avait
voulu concevoir, reprendre à son compte, annexer, développer et
diffuser, les idées et les mythes les plus « modernes », les
plus « progressistes » et les plus chargés d'espérance
pour l'humanité38».
Réel humanisme, sentiment moral de solidarité
humaine ou vision égoïste des avantages pouvant résulter
pour la postérité, le prestige et la puissance de la France ? La
démarche française pourrait également trouver des
explications en cela qu'elle tenterait de rattraper ce qu'elle n'a pas fait
pour le Maroc en temps de colonisation. La rencontre avec le responsable de
l'action culturelle de l'institut Français d'Agadir39
semblait être intéressante afin de lui soumettre ces
hypothèses. En effet, l'Institut Français, de par sa mission de
diffuser la francophonie dans les anciens pays colonisés et de se
prévaloir garant de la culture française à
l'étranger, semble être au coeur de ce débat. Selon lui,
« Le néocolonialisme fait référence à la
manière dont les anciennes puissances colonisatrices continuent
d'exercer une forme de protectorat déguisé sur certaines de leurs
anciennes colonies. En cela, les Instituts Français ne sont pas des
néo colonisateurs puisqu'ils se définissent publiquement comme
des outils d'influence et de coopération ».
Si le point de vue de la personne interrogée reste
intéressant, il semble également nécessaire de le
recontextualiser afin de le discuter. Certes, les Instituts Français
favorisent les actions, entre autre culturelles, entre les pays de façon
égalitaire, leur existence relève tout de même de la
volonté de promouvoir la culture en dehors de ses frontières. De
plus, les similitudes entre les outils et enjeux mis en place par la compagnie
Art dans le jardin et l'attitude colonisatrice existent. Porteuse de la valeur
universelle qu'est l'émancipation féminine, elle propose aux
jeunes marocaines d'utiliser le théâtre, forme arrivée sur
les
38 Ibidem, p.298
39 François Tiger, responsable de l'action
culturelle de l'institut Français d'Agadir. Entretien
réalisé par courriel le 23 juillet 2014
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terres marocaines (dans sa conception française) durant
la colonisation, afin de pratiquer un travail sur leur corps pour les amener
à se dévoiler (dans tous les sens du terme).
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