A. La coopération culturelle, vectrice de
perpétuation du colonialisme ?
1. Le théâtre, un outil occidental
Le fait qu'une compagnie théâtrale
française parte effectuer un projet dans un autre pays, nous pousse
à nous interroger sur la façon dont elle a ou non adapté
ses outils aux publics rencontrés. Le choix du théâtre peut
déjà soulever un paradoxe puisqu'il implique que les deux pays
(la France et le Maroc) en aient la même conception. Afin de clarifier ce
point, il semble important de définir le théâtre. Nous nous
baserons sur la définition proposée par l'inventeur Abdellah
Chakroun qui a particulièrement étudié cette question. La
définition française qu'il propose du théâtre est la
suivante : « art visant à représenter devant un public,
selon des conventions qui ont varié avec les époques et les
civilisations, une suite d'évènements ou d'actions
théâtrales où sont engagés des personnages agissant
et parlant »33.
En France, l'histoire du théâtre est
étroitement liée à celle de l'humanité, de la
société, des moeurs, de la politique, des cultes et croyances.
Pendant vingt-et-un siècles, le théâtre s'est joué
en extérieur, gratuitement, pour la population qui venait y trouver un
divertissement et surtout un enseignement. A la fin du XIXème
siècle, le public s'est lassé des spectacles qui n'avaient rien
à dire ou à défendre, forçant le
théâtre à se repenser à nouveau via le jeu,
l'espace, le rapport entre scène et salle, pour défendre des
idées importantes, afin d'adresser des messages de contestation,
dénoncer des injustices, et d'apporter un enseignement au public. Il
s'agit donc historiquement d'un outil esthétique de pédagogie
à la portée extrêmement forte.
Au Moyen Orient, il existe bien un théâtre
également mais celui-ci ne s'inscrit pas historiquement et
structurellement dans la même veine que l'occidental. D'essence
populaire, il s'agissait initialement de traditions orales, la primauté
étant donnée à la représentation composée
d'improvisations et d'imitations. Les textes étaient totalement absents
du processus théâtral et s'ils existaient, ils étaient
librement interprétés par les acteurs, à l'inverse du
théâtre occidental où l'apprentissage des supports
écrits est une partie considérable du travail de l'acteur.
33 Abdellah Chakroun, A la Rencontre du
théâtre au Maroc. Ed. Najah El Jadida, 1998, p.124
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Viennent s'ajouter à ces différences
fondamentales entre deux conceptions du théâtre, le souvenir de la
colonisation. Le théâtre moderne au Maghreb est un produit
totalement étranger transplanté dans la terre vierge des
sociétés arabes. Le théâtre arabe (selon notre
conception du théâtre en France) n'existait pas avant le
XIXème siècle et l'invasion de l'Egypte par Napoléon. Dans
les représentations marocaines, il s'agissait de résister au
théâtre à l'occidental qui ne serait jamais le
théâtre arabe, mais juste une imitation plus ou moins
réussie d'une forme étrangère n'ayant aucune assise
populaire, fruit du labeur et de l'intérêt d'une classe
privilégiée souffrant d'un complexe vis-à-vis de la
culture des peuples qui l'ont colonisée. Il semblerait qu'un paradoxe en
amène ici un autre en nous confrontant, au-delà de l'outil
théâtral discutable, au lourd passé colonial reliant la
France et le Maroc.
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