3. La France et l'histoire des rapports sociaux de
sexe, de nouveaux enjeux
En France, on a longtemps employé l'expression «
l'histoire des femmes » pour désigner le champ historique qui met
en oeuvre une analyse sexuée des phénomènes historiques.
On
14 Chiffres datant de 2012 trouvés sur le site
du Haut-Commissariat au Plan. http://www.hcp.ma/
22
parle aujourd'hui plutôt de « l'histoire du genre
» ou de « l'histoire des rapports sociaux de sexe » que de
« l'histoire des femmes » car cette expression semble trop
réductrice15.
Le concept de gender qui est défini comme un
élément constitutif des rapports sociaux fondés sur les
différences perçues entre les sexes est lié aux travaux
des historiens et sociologues américains des années 1970. Il
s'agirait de considérer la différence des sexes comme un produit
de la culture et de l'histoire qu'il faudrait remettre en question. Suite
à cette prise de conscience, la recherche historique a fait
évolué la société française avec pour
conséquence une prise en compte institutionnelle. Trois textes
l'attestent, le premier étant la loi d'orientation du 10 juillet 1989
qui précise que le service public de l'Education doit contribuer
à favoriser l'égalité entre les hommes et les femmes. En
2000, la Convention pour la promotion de l'égalité des chances
entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le
système éducatif, insiste sur la nécessité de
mettre un terme à une orientation stéréotypée. Puis
en 2005, la loi d'orientation pour l'avenir de l'École consacre un titre
à la promotion de l'égalité entre les filles et les
garçons.
Le gouvernement français semble donc avoir pris
position afin de mettre en oeuvre un système éducatif formateur
d'individus égaux et éduqués de la même
façon, dans le but de construire une société plus
égalitariste. Du point de vue des chiffres, la France est un pays
relativement bien avancé concernant l'égalité
hommes-femmes puisque son classement ISDH est meilleur que son classement IDH
(15e et 16e). Il semble cependant nécessaire de s'interroger sur les
éléments se cachant derrière ces lois. Si les crises
identitaires viennent impacter en premier sur les minorités sociales,
les femmes en étant historique une (le long combat pour le droit de
vote, finalement atteint en 1944, soit après de nombreux autres pays, le
prouve), ne seraient-elles pas victimes d'inégalités
malgré les dispositions prises par le pays ? Pourquoi le gouvernement
aurait-il lancé l'année de l'égalité de la femme en
2011, si elle ne risquait plus rien ?
En France, les femmes, qui représentent 45 % de la
population active (11,2 millions) connaissent un taux de chômage de 9,1
%, contre 7,8 % pour les hommes (Ministère de l'Emploi, chiffres 2007).
Elles ont plus de difficultés que les hommes à monter en grade et
en salaire. Certes, les mouvements féministes des années
soixante-dix ont permis la création de lois ayant changé le
paysage social du pays (création du Planning familial en
15 Françoise Thébaud, Ecrire
l'histoire des femmes, ENS Editions, 1998
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1956, loi Neuwirth autorisant la contraception en 1967, loi
Veil légalisant l'avortement en 1975). Cependant, les multiples
débats ayant lieu actuellement tant à propos des femmes
(questions touchant à la parité, au harcèlement de rue)
que du genre (mariage homosexuel, éducation genrée) et les
réactions qu'ils provoquent permettent d'éviter de poser un
regard trop caricatural sur la France qui aurait réussi à vaincre
les inégalités présentes au sein des rapports sociaux.
Pourtant, dans les travaux réalisés par les pays se
présentant comme développés, seuls les pays plus pauvres
semblent ne pas parvenir à résorber ces problèmes
sociaux.
Si la mondialisation tend à unifier le monde et
à redéfinir ses politiques culturelles, elle semble aussi
générer des incohérences dans le rapport caricatural
résidant dans la dichotomie entre les pays du Nord et du Sud.
L'étude d'un projet culturel transnational autour de
l'émancipation féminine liant la France et le Maroc peut
permettre de mettre en lumière la façon dont la vision
occidentale infiltre les politiques internationales. Ce type de projet peut au
contraire participer à la cohérence transnationale, en permettant
à deux civilisations au passé difficile de se retrouver, se
comprendre, s'apprivoiser.
II) Un projet culturel transnational comme
révélateur d'enjeux variés : « Regardons nous
grandir »
Le projet « Regardons nous grandir » est le
fruit d'une collaboration entre l'ONG Bani de Tiznit (zone rurale du sud du
Maroc), les associations Dar Taleb et Taleba et Tamount (de la commune rurale
de Sahel) et la ville de Montreuil (située en Seine Saint Denis en
France). Il s'agit d'une commande en matière d'outils de communication
innovants de prévention visant à toucher la population
féminine de la région rurale marocaine, passée par l'ONG
Bani auprès de la ville de Montreuil avec qui Agadir est jumelée.
La compagnie théâtrale montreuilloise Art dans le Jardin a
proposé un projet qui a été accepté par l'ONG avec
qui un travail autour de la prévention de la drogue chez les jeunes
marocains avait été réalisé en 2009. Ce nouveau
projet, réalisé en trois phases de juillet 2013 à
août 2015, a pour but de faire travailler la compagnie avec les jeunes
filles du pensionnat (136 jeunes accueillies) de Sahel ainsi qu'avec des
encadrants et médiateurs des associations. Il s'agit de les former aux
outils de communication et de vulgarisation afin
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que l'action puisse devenir pérenne et reproductible et
mener le public cible, les jeunes filles, à découvrir toutes les
étapes du travail d'une création spectaculaire. Mêlant les
arts plastiques, l'écriture, l'interprétation, la vidéo et
la photo, ce travail aboutira à des présentations publiques. La
forme finale sera une pièce de théâtre intégrant la
vidéo comme support scénographique, des bribes de
témoignages textuels interprétés issus de questionnaires
ainsi qu'un travail plastique sur la notion de la métamorphose qui
prendra appui sur la projection de ces jeunes filles en femmes adultes. Les
thématiques centrales de « l'émancipation et l'intime »
ont été choisies en concertation avec les responsables des
organismes partenaires. Une fois réalisé, ce travail servira de
support de sensibilisation auprès des femmes de la région. Un
relais de cette action sera pris par les associations locales partenaires afin
qu'il soit diffusé suivi d'un débat dans les villages de la
région. Un film témoignant de l'action mené sera
diffusé en France et fera l'objet de rencontre autour des thèmes
abordés suivis d'un débat.
Il s'agit là d'un projet culturel transnational qui
mêle différents acteurs gouvernementaux ou non à savoir une
ONG qui passe une commande auprès de la ville de Montreuil avec qui la
ville d'Agadir est jumelée, bientôt rejointe par la compagnie
théâtrale Art dans le jardin qui répond au projet. La
compagnie est subventionnée pour cette action entre autre par la ville
de Montreuil, le département de Seine Saint Denis, l'Institut
Français au Maroc et des fondations à vocation de
coopération internationale (fondation Elle, fondation EDF). Le projet,
réalisé au Maroc, sera ensuite exposé en France aux yeux
du public de l'association de la Maison des Femmes de Montreuil,
implantée, comme la compagnie théâtrale, en Zone Urbaine
Sensible (ZUS), expliquant entre autres le soutien budgétaire de la
DRAC. Ce projet complexe rassemble beaucoup d'acteurs des politiques
culturelles autour d'une même action. Si, en apparence, une dynamique
coopérative l'entoure, ce projet peut-il réellement être
porteur d'enjeux réunis par une démarche commune ? Peut-on
être acteurs d'un projet de façon égale alors même
qu'historiquement et économiquement résident de profondes
disparités ? Confronter les différents enjeux des acteurs semble
être indispensable.
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