Finitude et destinée humaines chez Maurice Blondel( Télécharger le fichier original )par Christophe MABOUNGOU Université Pierre Mendès-France - Master II 2011 |
ConclusionCe cursus n'avait pas la prétention de résumer toutes les filiations philosophiques86(*) de Blondel. Mais en sélectionnant (de façon délibérée), en limitant cette filiation à ces auteurs, celle-ci répondait au voeu que nous poursuivions :fonder les bases susceptibles de montrer les forces et les limites de la problématique de la volonté dans la dialectique de l'action. Et, il est clair que l'Action , pour Blondel, s'enracine dans une force qui la précède . Cette force, Blondel n'hésite pas à lui donner une dimension cosmique c'est-à-dire comme monde des phénomènes, car il y a un effort qui parcourt la nature et qui précède la volonté humaine. Cet effort n'est pas cependant une force irrationnelle à la manière de Schopenhauer. C'est au contraire comme l'avait bien perçu Leibniz, une force qui tend vers l'esprit et quiapparaît en l'homme comme volonté voulante. Cette volonté voulante, l'homme doit la vouloir de manière voulue mais il ne peut pas le faire de manière immédiate comme le prétend le formalisme kantien. l'homme ne peut vouloir son action qu'en s'insérant dans le monde des phénomènes. Et l'action, pour Blondel, est justement ce qui opère ce passage incessant du voulant au voulu par la médiation de la volonté. Mais existe-t-il une possibilité de dégager une loi manifeste de l'agir humain à partir de cette inadéquation fondamentale87(*) entre volonté voulante et volonté voulue ? . D'où la tâche qui incombera au second chapitre. Celle justement qui va consister à éclairer ce passage et les moments articulatoires de la volonté dans l'Action de 1893. CHAPITRE DEUXIÈMEPROBLÉMATIQUE ET ARTICULATION DE LA VOLONTÉ DANS L'ACTION DE 1893 IntroductionLes analyses précédentes ont montré comment la pensée de Maurice Blondel s'est constituée en dialogue avec Aristote, Leibniz, Kant et Schopenhauer (pour ne citer que ceux-là). Ce dialogue avait pour but, en un certain sens, de montrer non seulement ce qui le rapprochait d'eux, par le thème abordé, mais beaucoup plus ce qui constitue à la fois leur dépassement et son originalité. Il est clair que la thèse centrale qui traverse l'Action est révélatrice du fait que l'action n'est pas une particularité de l'être (encore moins une force simple ni un élan singulier), mais une totalité88(*) : elle constitue la synthèse du vouloir du connaître, du pouvoir et de l'être. Elle est le point où convergent le monde de la pensée, le monde psychique et moral et l'univers de la science. Or, comme l'a si bien montré Victor Delbos, « ce n'est pas, par suite, ni de la nécessité ontologique de l'Absolu, ni de la nécessité pratique du Devoir qui peut servir de fondement à la pensée ; il faut un fait, un fait qui soit à la fois premier et dernier, qui contienne en lui seul ou qui soit capable de requérir par lui seul tout ce qui lui est indispensable pour être pleinement »89(*). Et ce fait, c'est la volonté, la volonté d'être. Montrer que cette volonté d'être est présente à la conception même du néant, voilà ce que entreprend Blondel lorsqu'il écrit d'ailleurs : « On a beau aiguillonner la pensée et le désir : du vouloir être, du vouloir n'être pas, du vouloir ne pas vouloir, il subsiste toujours ce terme commun, vouloir, qui domine de son inévitable présence toutes les formes de l'existence ou de l'anéantissement, et dispose souverainement de contraires. »90(*) Outre donc qu'il est inévitablement et volontairement posé, le problème de l'action réclame une solution positive. Mais qu'est ce que ce vouloir ? qu'est-ce qui fonde cette contradiction apparente à l'intérieur de la volonté même ? et comment expliquer que la recherche du néant s'explique par une solution positive ? Il nous faudra partir de l'énonciation du plan même de l'Action de 1893 d'abord, de dégager les fondements historiques ou philosophiques de la volonté chez Blondel ensuite, de proposer une approche définitionnelle pour mieux la circonscrire et enfin d'examiner les «étapes successives qu'accomplit la volonté pour se réaliser, sans pouvoir se satisfaire »91(*). 2.1. Plan de l'Action (1893)L'ouvrage de Maurice Blondel, l'Action , est divisé en cinq parties (dont la troisième partie au centre, « le phénomène de l'action », comporte elle-même « cinq étapes »), précédées d'une introduction elle-même en cinq étapes. On peut supposer là un projet clairement établi et défini qui répond à une certaine herméneutique92(*). En effet, à partir de la question existentielle qu'aucun homme ne peut éluder et qu'il se pose inévitablement : « oui ou non, la vie humaine a-t-elle un sens et l'homme a-t-il une destinée93(*) ? », Blondel expose, tour à tour, l'apparente nécessité du problème moral, la solution pratique au problème moral, le problème scientifique de la pratique, la méthode de la science de l'action et enfin la philosophie de l'action. Tout un projet. Car parcourant toute la série des démarches par lesquelles l'homme tente d'échapper aux sujétions nécessaires, Blondel va manifester une inadéquation entre ce qu'on croit vouloir et ce qu'on veut profondément, entre l'objet voulu et le mouvement spontané du vouloir, ou selon la terminologie qu'il a consacrée, entre la volonté voulue et la volonté voulante94(*). Ainsi, après deux premières parties de deux chapitres chacune, et où il est établi contre l'esthétisme et le dilettantisme que l'action constitue un vrai problème et, contre le pessimisme, que ce problème admet une solution positive, on passe au coeur de l'exposé dans les trois autres parties. Celles-ci analysent, en profondeur le dynamisme, mieux la phénoménologie de l'action et aboutissent aux conclusions suivantes : a) Insuffisance de l'ordre naturel, entendu comme l'ordre dans lequel se déploie l'action humaine ; b) Nécessité d'un ordre surnaturel, entendu comme de l'ordre de l'Absolu, du divin, du transcendant, qui seul peut donner à l'action humaine son accomplissement ; c) Impraticabilité d'une voie d'accès au surnaturel, pourtant nécessaire, et Blondel invite à tenter la voie de la foi chrétienne, qui connait un ordre surnaturellement défini et historiquement offert comme don. C'est dans ces conditions que l'objet de l'analyse philosophique de l'action humaine va consister à dévoiler et à élucider la disproportion intrinsèque entre la fin du vouloir (la volonté voulante) et ses réalisations effectives (volonté voulue). Plus concrètement donc : « l'auteur [Blondel] montre d'abord qu'on ne peut supprimer le problème moral, qu'on le pose et qu'on le résout d'une certaine manière au moment où l'on feint de s'y dérober. Il se dégage ensuite des prétendues solutions négatives qui font du néant le terme apparent de l'expérience, de la science et des aspirations humaines, les affirmations positives qui y sont impliquées. Amené dès lors à définir peu à peu toutes les conditions que requiert notre action pour se développer, en constituant l'ordre scientifique, moral, social et religieux, l'auteur fait voir comment toutes nos oeuvres composent le drame profond de la vie et le mènent forcément au dénouement. Ainsi, tout le développement de la pensée et de la pratique est suspendu à une alternative, question de vie ou de mort, de salut ou de perte, que la volonté humaine n'évite point de trancher, parce qu'au fond elle consent à la nécessité de la poser. Comment donc la résoudre ? Là est le point délicat, parce que la science de la pratique ne peut suppléer à la pratique même, et parce que l'homme ne réussit point, par ses seules forces, à atteindre comme une fin par ses actions voulues tout ce qui est au principe de son action volontaire. Mais sans cesser de réserver à la pratique même ce qu'elle apporte d'incommunicable enseignement, sans empiéter sur le domaine de la religion positive, il est possible de déterminer les conditions auxquelles est subordonné l'achèvement complet de notre action ; car à notre vie préside une dialectique telle que, du principe secrètement posé de nos actes volontaires découlent des conséquences inévitables ; comme la courbe commencée détermine le segment qui complète la circonférence, ainsi sont définies les conditions de l'action religieuse, et sans que l'homme y ait accès par sa pensée ou par son effort propre, l'ordre surnaturel est postulé par l'ordre naturel [...]. l'étude de l'action permet ainsi de retrouver le noeud commun de la science, de la morale et de la métaphysique ; elle étend la compétence de la philosophie jusqu'à l'examen de la notion de surnaturel, et jusqu'à la détermination des conditions de la vie religieuse. »95(*) Cette approche, nous le savons suscita des controverses. Mais, il nous revient ici de clarifier le contenu sémantique de la notion ou du concept de volonté qui est au coeur même de notre entreprise. Qu'est-ce donc cette disproportion entre volonté voulante et volonté voulue ? En quoi, leur dialectique peut elle nous être utile pour la saisie, d'une part de l'inachevabilité de l'action humaine et d'autre part de la découverte de l'Unique nécessaire? D'où Blondel fonde-t-il son discours sur la volonté et les implications qui lui sont liées ? C'est à partir de cette dernière question que nous engagerons notre dialogue en revisitant, de façon suggestive les filiations philosophiques de Blondel en ce qui concerne, exclusivement, la notion de volonté. Or, il se trouve qu'il y a une influence pertinente de Maine de Biran dans la constitution du binôme volonté voulue/volonté voulante d'une part, et d'autre part une critique de front à l'égard du pessimisme de Schopenhauer (qui est d'ailleurs nommément cité dans l'Action). * 86 On lira avec intérêt l'Itinéraire philosophique. Nous avons expressément limiter cette approche . * 87 Cf.Roger TEXIER, « Maurice Blondel : le défi de l'action à l'athéisme actuel » in Nouvelle revue théologique,1992, p. 708-725. * 88 Christian Godin, La totalité I. De l'imaginaire au symbolique, Seyssel, Champ Vallon, 1998, p. 164. * 89 Victor Delbos, « Compte rendu sur l'Action (1893) », Revue Philosophique de la France et de l'étranger, 1894(07-12), p. 635. * 90 Maurice Blondel, L'Action, p. 37.. * 91 Ibid. , p. 637. Voir aussi «Une soutenance de thèse» dans Maurice Blondel, OEuvres Complètes, t. I. 1893. Les deux thèses. texte établi et présenté par Claude Troisfontaines, Paris, PUF, 1995, p.691-760. * 92 «Pour arriver à cerner l'herméneutique de Maurice Blondel dans sa première période, écrit A. Letourneau, c'est d'abord à l'Action, puis surtout aux textes produits pendant la crise moderniste, qu'il faut accorder notre attention». Cf. Alain Letourneau, l'Herméneutique de Maurice Blondel. Son émergence pendant la crise moderniste, Québec, Bellarmin, 1998, p.10.Voir aussi, Rosino Gibellini, Panorama de la Théologie au XXè siècle.trad. Jacques Millon, 2è éd., Paris, Cerf, 1994 ; Cardinal Paul Poupard, «Maurice Blondel.1861-1949. L'intelligence de la foi, la sainteté au défi de l'histoire», Conférence de Carême 2003 à Notre Dame de Paris. * 93 Maurice Blondel, l'Action, p. I. * 94 Cf. Henri Bouillard, Blondel et le Christianisme, Paris, Seuil, 1961. * 95 Cf., OEuvres Complètes, t. I., p. 9. |
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