1.2. L'augmentation du nombre et du montant des transferts
de joueurs
Nous allons voir ici en détail l'évolution du
nombre et du montant des transferts de joueurs. Celle-ci a induit d'importantes
répercussions économiques et sportives. En particulier,
l'arrêt Bosman1 a remodelé en profondeur
l'équilibre des pouvoirs au sein du football européen.
Lors des premières décennies du football
professionnel, les joueurs sont liés à leurs clubs par des «
contrats à vie ». En France, les joueurs doivent s'engager avec un
club jusqu'à leur 35 ans, âge proche de la fin de carrière.
C'est pour cela que les transferts sont très peu nombreux. Ainsi Raymond
Kopa, alors vice-président de l'UNFP, déclare en 1963 que «
les footballeurs sont des esclaves ». A la suite des
événements de Mai 68, les joueurs réclament plus de
libertés et obtiennent en 1969 l'institution pour une durée
probatoire de trois ans du « contrat à temps ». La France
devient le premier pays dans le monde à instaurer des contrats à
durée déterminée pour des footballeurs professionnels. Peu
à peu, ce type de contrats se répand partout en Europe, et c'est
en 1978 que l'Angleterre adopte la « liberté de contrat ».
Celle-ci que, au terme d'un contrat, le club peut soit proposer au joueur un
contrat au moins aussi avantageux que le précédent, soit le
laisser partir librement, soit vendre le joueur contre une indemnité de
transfert.
A partir des années 1970 et jusqu`en 1995, les
règles relatives aux transferts sont restées quasiment les
mêmes en Europe. Lorsque le contrat d'un joueur arrivait à
échéance, un club désireux de l'enrôler pouvait se
voir réclamer une indemnité de transfert par le club
quitté. Par ailleurs, le nombre d'étrangers sur le terrain
était limité à trois par club, plus deux «
assimilés », c'est à dire résidents du pays depuis
plus de 5 ans, dont deux passés dans les équipes jeunes.
Un véritable bouleversement est intervenu avec
l'arrêt Bosman qui a marqué le début de la
libéralisation du marché des joueurs. En 1995, la Cour de justice
des Communautés européennes a statué que ces règles
de transferts étaient en contradiction avec l'article 48 du
traité de Rome portant sur la concurrence et la libre circulation des
travailleurs, et que la profession de footballeurs ne devait pas être
considérée différemment des autres, notamment en ce qui
concernait la mobilité des travailleurs entre les États
européens.
Le règlement en vigueur jusqu'alors, ainsi que les
quotas de joueurs étrangers ont alors été
abandonnés en faveur de la libre circulation des joueurs sur le
marché européen. L'indemnité de transfert pour les joueurs
en fin de contrat a été progressivement abandonnée.
Actuellement, les joueurs sont liés à leurs
employeurs par des contrats à durée déterminée ne
pouvant excéder cinq ans. Lorsqu'un club désire recruter un
joueur déjà engagé contractuellement, le club «
acheteur » doit racheter au club « vendeur » le contrat de
travail en lui versant des indemnités de transfert. Le versement
d'indemnités pour recruter un employé d'une entreprise
concurrente illustre que les contrats de travail constituent dans le milieu
sportif, bien plus que dans d'autres secteurs d'activité, des actifs
à part entière. Les joueurs qui ne sont pas liés
contractuellement sont, eux libres d'accepter ou non les contrats de travail
qui leur sont proposés.
1 L'arrêt Bosman est une décision de la
Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE), rendu le 15
décembre 1995 relative au sport professionnel.
Cet arrêt rend alors impossible la limitation du nombre de
nationalités dans une équipe ou une compétition
professionnelle.
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L'arrêt Bosman en 1995 a induit un essor
extrêmement fort des transferts de joueurs au niveau aussi bien national
qu'international. Leur fréquence a fortement augmenté, notamment
avec la présence de plus en plus importants d'agents de joueurs dont le
rôle est de multiplier les transferts pour toucher des commissions.
De plus, l'arrêt Bosman a également
alimenté la hausse des salaires des joueurs, car ils ont la
possibilité de faire jouer la concurrence entre les différents
clubs acheteurs potentiels.
La libéralisation du marché du travail
après l'arrêt Bosman (1995) et l'augmentation observée des
recettes courantes des clubs de football professionnel ont conduit à une
forte augmentation des opérations de transferts, créant un
véritable marché des transferts. Le nombre de transferts a ainsi
été multiplié par 3,2 entre 1995 et 2011, tandis que la
valeur totale des transferts a été multipliée par 7,4.
Depuis 2010, les montants des transferts atteignent ainsi près de 3
milliards d'euros chaque année. Les investisseurs privés ont
très bien compris que de plus en plus de clubs avaient besoin de
financements externes afin d'être davantage compétitifs.
![](La-multipropriete-des-joueurs-de-football-professionnel4.png)
Avec la forte mobilité des joueurs professionnels, les
championnats les plus faibles n'ont plus les moyens de retenir leurs joueurs
les plus talentueux. L'arrêt Bosman a favorisé les cinq grands
championnats (Angleterre, Allemagne, Espagne, Italie et France) par rapport aux
autres championnats européens et a progressivement fait
disparaître de l'élite européenne des clubs tels que le
Celtic Glasgow, le RSC Anderlecht, l'Ajax Amsterdam. La mobilité des
joueurs à l'échelle internationale renforce le
déséquilibre compétitif entre championnats. En Europe,
l'arrêt Bosman couplé à la réforme de la Champions
League a renforcé les clubs des cinq grands championnats qui peuvent
acheter les meilleurs joueurs du monde grâce à leurs revenus
largement supérieurs.
On s'aperçoit que quatre championnats sont très
nettement importateurs de joueurs, c'est à dire avec une balance des
transferts très négative : l'Angleterre, l'Allemagne, l'Espagne
et l'Italie. Quasiment tous les autres championnats professionnels, à
l'exception de la Russie, sont exportateurs nets de joueurs, c'est à
dire avec une balance des transferts positive.
Les ligues brésilienne et argentine sont les
principales ligues exportatrices de joueurs parce qu'elles produisent un nombre
important de joueurs d'excellent niveau qu'elles peuvent
![](La-multipropriete-des-joueurs-de-football-professionnel5.png)
Source : KPMG
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revendre relativement cher aux équipes de championnats
européens importants. Ces deux pays d'Amérique du sud font partis
des pays où la tierce propriété des joueurs de football
est la plus répandue.
Les investisseurs ont en fait très vite compris qu'avec
l'arrêt Bosman les transferts des joueurs allaient se
développés considérablement, que les très bons
jeunes joueurs se trouvent souvent en Amérique du Sud avec des clubs
endettés et qui ne peuvent pas faire autrement que d'utiliser ce moyen
de financement.
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