III.3.2.- Les théories rivales
- Théorie du filtre
Dans la théorie du capital humain, l'école
permet d'acquérir des compétences productives. La théorie
du filtre (Taubman et Wales, Stiglitz, Thurow) propose quant à elle une
autre interprétation de la corrélation entre éducation et
salaires. Dans cette théorie, la fonction de l'école n'est pas de
former mais de classer les individus. L'école n'apporte pas de
compétences aux individus, elle se contente de sélectionner ceux
qui étaient dès le départ les plus aptes. Dans un contexte
d'incertitude sur les aptitudes productives des individus, l'école
fournit aux entreprises un moyen de sélectionner leurs employés
(cette idée a surtout été développée par
Spence dans ses modèles de signalement). La longueur et la
qualité de la formation suivie seront
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autant de signaux permettant de repérer les bons
candidats, même si le contenu lui-même de la formation importe
peu.
Ces deux théories sont difficiles à
départager, car elles ont beaucoup d'implications communes au niveau
empirique. En particulier, elles ne se distinguent pas réellement au
niveau de la demande d'éducation : dans les deux cas, les individus ont
avantage à demander davantage d'éducation pour obtenir un salaire
plus élevé. En revanche, au niveau macroéconomique, si la
théorie du filtre se révélait exacte, il faudrait
réfléchir à l'existence éventuelle d'un moyen de
sélection moins coûteux. De manière plus
générale, on peut dire avec Blaug que « si la
différence entre les deux explications est bien de savoir si
l'école produit ou seulement identifie les qualités
valorisées par les employeurs, la réalité empirique qui
permettrait de trancher entre les deux est probablement à chercher dans
ce qui se passe effectivement dans les salles de classe. [...] Aucune
vérification sur le marché n'est susceptible de trancher entre
les explications de type capital humain ou de type crible, parce que la
question n'est pas de savoir si les études rendent compte des
rémunérations, mais pourquoi elles en rendent compte.
» (Blaug, 1994, p.223).
Dans la réalité, théories du filtre et du
capital humain sont sans doute complémentaires, et décrivent
chacune une partie de la réalité. Il est clair que l'école
n'apporte pas à chaque individu l'ensemble des compétences qui
lui seront nécessaires dans son futur métier : de nombreux
individus exercent d'ailleurs un métier auquel leur formation ne les
destinait pas particulièrement. Mais elle peut apporter une aptitude
à raisonner, elle peut « apprendre à apprendre ».
Samuel Bowles et Herbert Gintis sont d'ailleurs dans une perspective proche,
bien que plus critique, quand ils écrivent que la fonction essentielle
du système scolaire est de former chacun à la place qui sera la
sienne dans le système productif.
- Théorie de la Segmentation du
marché
Les théories de la segmentation du marché du
travail insistent sur le rôle de la demande de travail dans la
détermination des gains. Il n'y a pas un marché du travail
unifié, mais différents compartiments plus ou moins
étanches qui n'offrent pas les mêmes perspectives de
déroulement de carrière. Le fait de démarrer sur l'un ou
l'autre de ces marchés peut entraîner des conséquences
à long terme. Ainsi, la théorie du capital humain ne constitue
pas, loin s'en faut, la seule approche possible de la relation entre formation
et emploi. Le fait de ne pas préciser davantage le contenu du capital
humain, ses conditions de formation, en somme d'en faire une « boîte
noire », est sans doute en partie responsable de l'apparition de la
théorie du filtre. Puisqu'on ne précise pas quel est le contenu
du capital humain, rien n'empêche de faire l'hypothèse qu'il soit
justement vide de contenu.
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On remarquera de plus que la théorie du capital humain
se distingue des autres par sa référence marquée à
l'individualisme méthodologique. La théorie du filtre se situe
davantage au niveau du système scolaire dans son ensemble. Quant aux
théories de la segmentation du marché du travail, elles insistent
sur le rôle structurant de la demande de travail. Le point de vue de
l'entreprise y apparaît prédominant par rapport au point de vue de
l'individu qui offre son travail. Ces théories remettent en cause
l'hypothèse selon laquelle la productivité d'un individu ne
dépend que de ses propres caractéristiques.
Donc, dans le cadre de ce travail de recherche, notre approche
repose sur le capital humain au sens de Bernard Gazier qui définit le
capital humain comme l'ensemble des capacités productives d'un individu
(ou d'un groupe), incluant ses aptitudes opératoires au sens le plus
large : connaissances générales ou spécifiques,
savoir-faire, expérience... » Voilà pourquoi, un ensemble de
variables découlant de la théorie du capital humain seront
considérées comme facteurs susceptibles d'influencer le revenu
des agents de proximité.
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